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mercredi 5 février 2025

L'appropriation de renseignements confidentiels revêtant la forme d'un secret industriel ou de données faisant l'objet d'un droit d'auteur ayant une valeur commerciale entraîne une privation si la victime entendait en tirer parti

R. c. Stewart, 1988 CanLII 86 (CSC)

Lien vers la décision


33.                     En outre, en raison de la nature inhérente de l'information, traiter purement et simplement les renseignements confidentiels comme des biens aux fins du droit relatif au vol susciterait une foule de problèmes pratiques. Par exemple, quelle est la définition précise du terme "renseignements confidentiels"? La confidentialité est‑elle fonction de l'intention du prétendu propriétaire ou dépend‑elle de certains critères objectifs? À quel moment les renseignements perdent‑ils leur caractère confidentiel de sorte qu'ils échappent au droit criminel? La protection du droit criminel doit‑elle être accordée seulement aux renseignements confidentiels ou bien à tous les types de renseignements qui sont censés avoir une valeur commerciale quelconque? Quant à moi, je crois qu'étant donné les progrès technologiques récents, les renseignements confidentiels, et en fait toute information ayant une valeur commerciale, ont besoin d'une certaine protection en vertu de notre droit criminel. Quoi qu'il en soit, j'estime qu'il appartient au législateur plutôt qu'aux tribunaux de déterminer dans quelle mesure cela doit se faire et de quelle manière.

 

35.                     Pour ces raisons, je suis d'avis qu'il est de bonne politique judiciaire de ne pas considérer les renseignements confidentiels comme des biens aux fins de l'art. 283 du Code. Dans la mesure où la protection des renseignements confidentiels est justifiée, elle doit être accordée par un texte législatif plutôt que par l'élargissement judiciaire de la notion de biens ou de la portée de la disposition du Code criminel relative au vol.

 

42.                     Le droit d'auteur est défini comme le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre sous une forme matérielle (art. 3). Celui qui ne fait que copier des documents, qu'ils soient ou non confidentiels, n'acquiert pas le droit d'auteur et ne prive pas le titulaire d'une partie de celui‑ci. Peu importe le nombre de copies qu'on fait d'une oeuvre, le titulaire du droit d'auteur continue à posséder le droit exclusif de reproduire son oeuvre ou d'en autoriser la reproduction. Aux termes de l'art. 17 de la Loi, quiconque fait ainsi des copies viole le droit d'auteur, mais cela ne constitue nullement un vol aux fins du droit criminel. Si l'on peut dans certaines circonstances voler un droit incorporel, les droits accordés par la Loi sur le droit d'auteur ne peuvent être pris ni détournés, car leur propriétaire n'en subirait jamais une privation. Par conséquent, indépendamment de la question de savoir si un droit d'auteur est un bien, il ne peut, selon moi, faire l'objet d'un vol au sens du par. 283(1) du Code.

 

43.                     Résumons de façon schématique: "une chose quelconque" n'est pas limitée aux choses tangibles, mais inclut les choses intangibles. Toutefois, pour pouvoir être volé, la "chose quelconque" doit être:

 

1.               un bien de quelque sorte;

 

2.               un bien qui puisse être

 

a)               pris‑‑donc les choses intangibles sont exclues; ou

 

b)               détourné‑‑donc éventuellement une chose intangible;

 

c)               pris ou détourné d'une manière qui prive de quelque façon le titulaire de son droit sur un bien.

 

Pour des raisons de politique judiciaire, les tribunaux ne devraient pas, dans les affaires de vol, considérer les renseignements confidentiels comme des biens. De toute façon, même si on les considère comme des biens, ils ne peuvent être pris puisque seuls des objets tangibles peuvent l'être. Ils ne peuvent être détournés, non pas parce qu'ils sont intangibles, mais parce que le propriétaire n'en serait jamais privé, sauf dans des circonstances très exceptionnelles et fantaisistes.

 

44.                     Pour tous ces motifs, je suis d'avis que l'expression "une chose quelconque" employée au par. 283(1) du Code criminel n'englobe pas les renseignements confidentiels.

 

47.                     Dans l'arrêt R. c. Olan, précité, cette Cour a conclu qu'on établit l'élément de frustration requis par le par. 338(1) en prouvant l'existence d'une privation malhonnête. La preuve que les intérêts économiques de la victime risquent de subir un préjudice suffit pour démontrer la privation; il n'est pas nécessaire qu'il y ait une perte économique réelle.

 

48.                     Se fondant sur cet arrêt, la majorité en Cour d'appel a estimé que, puisque des agences publicitaires avaient déjà offert de l'argent à l'hôtel en échange de la liste de ses employés, les intérêts économiques de l'hôtel auraient pu subir un préjudice si Hart s'était approprié les renseignements. La Cour a donc déclaré l'appelant coupable d'avoir conseillé à une autre personne la perpétration d'une fraude.

 

49.                     Dans sa dissidence, cependant, le juge Lacourcière s'est dit d'avis que l'appelant ne s'était pas rendu coupable de cette infraction. Il a conclu que l'hôtel n'avait pas été frustré de renseignements confidentiels parce que, selon lui, ceux‑ci n'étaient ni des biens, ni de l'argent, ni des valeurs. La seule question qui restait donc à trancher était celle de savoir si l'appropriation des renseignements en question aurait entraîné un risque de perte économique constituant une privation. À ce propos, le juge Lacourcière a dit (à la p. 236):

 

                  [TRADUCTION]  On reconnaît qu'il n'y a eu aucune intention de la part de l'hôtel d'utiliser les renseignements confidentiels en cause à des fins commerciales. L'hôtel n'aurait donc pas été frustré d'argent ni d'un avantage économique quelconque; tout ce qu'il risquait de perdre était le caractère confidentiel des renseignements. Quoique l'intimé eût reçu de l'argent en contrepartie des renseignements, je vois mal en quoi l'hôtel a pu subir la privation ou le préjudice exigés par l'arrêt R. c. Olan, précité. La privation aurait été claire si les renseignements confidentiels avaient revêtu la forme d'un secret industriel ou de données faisant l'objet d'un droit d'auteur ayant une valeur commerciale et dont la victime entendait tirer parti.

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