R. c. Cameron, 2020 ABCA 276
[22] L’article 13 est libellé ainsi :
Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.
[23] La principale question en litige est de savoir si les déclarations non solennelles faites dans la convention de règlement signée par l’appelant dans le cadre de la procédure engagée par la BCSC sont protégées par l’article 13.
[24] Le ministère public affirme qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13, parce que la convention de règlement ne constitue pas un « témoignage » issu d’une procédure antérieure. Les déclarations n’ont pas été faites sous serment et constituaient des aveux volontaires. En outre, leur utilisation lors du procès criminel s’est limitée à attaquer la crédibilité de l’appelant. À titre subsidiaire, le ministère public affirme que, s’il y a eu violation, l’appel devrait être rejeté en application de la disposition réparatrice du sous‑alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel, étant donné que l’erreur était inoffensive et qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit.
[25] D’après l’appelant, bien que les déclarations qu’il a faites dans la procédure engagée par la BCSC aient été non solennelles, elles n’en constituent pas moins un « témoignage » protégé par l’article 13, parce qu’il était un témoin « contraignable » dans la procédure. Le problème que présente l’analyse de l’appelant est que celle-ci comprime deux notions distinctes – la question de savoir si l’accusé est un témoin « contraignable » et la question de savoir si les éléments de preuve qu’il a fournis lors de la première procédure constituent un « témoignage ».
[26] Bien qu’il faille avoir été un témoin contraignable dans la procédure initiale pour bénéficier de la protection offerte par l’article 13 (R. c. Nedelcu, 2012 CSC 59, aux par. 1, 8 et 109), cette condition n’offre pas la protection de l’article 13 aux déclarations non solennelles qu’une personne a choisi de faire au lieu de témoigner sous serment. À notre avis, la protection offerte par l’article 13 ne s’applique qu’aux témoignages faits sous serment dans une procédure antérieure. Les déclarations qu’une personne fait par affirmation solennelle ont « le même effet que si elle avait prêté serment » (Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, par. 14(2)). Dans le présent jugement, la référence aux témoignages sous serment ou aux déclarations sous serment vise aussi les déclarations faites par affirmation solennelle.
[27] L’article 13 n’a été appliqué à des déclarations non solennelles dans aucune des affaires traitées par la Cour suprême du Canada. Des instances inférieures ont également conclu que les déclarations non solennelles ne sont pas protégées par l’article 13, bien que, comme nous l’examinerons ci-après, il existe des décisions contradictoires sur ce point.
[28] Dans R. c. Shaw, 2003 ABCA 328, notre Cour a conclu qu’une déclaration non solennelle que l’appelant avait fait volontairement au cours de l’audience sur sa mise en liberté n’était pas protégée par l’article 13 dans un procès ultérieur. La Cour a indiqué ce qui suit au paragraphe 3 :
[TRADUCTION]
L’article 13 concerne le témoignage fait par un témoin au cours d’une procédure. Bien que l’audience sur la mise en liberté ait été une procédure, nous sommes d’avis que la déclaration en cause, qui n’a pas été faite sous serment, ne constituait pas un témoignage. L’appelant a demandé l’autorisation de parler, et il a volontairement déclaré que toute la drogue était à lui et non à son ami.
[29] De même, dans R. c. Baksh, 2008 ONCA 116, la Cour a conclu que l’admission au procès d’un exposé conjoint des faits issu d’un procès nul antérieur ne violait pas l’article 13 (par. 3) :
[TRADUCTION]
Nous ne sommes pas non plus d’accord pour dire que l’utilisation de l’exposé conjoint des faits a porté atteinte au droit que l’article 13 de la Charte garantit à l’appelant. Un aveu fait volontairement n’équivaut pas à un témoignage au procès, et il est possible d’établir une distinction entre la présente affaire et Dubois c. La Reine, 1985 CanLII 10 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 350, et R. c. Henry, 2005 CSC 76 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 609, sur ce point.
[30] Nous reconnaissons que ni dans Shaw ni dans Baksh le témoin n’était juridiquement contraignable dans la procédure initiale. Cependant, dans les deux cas, la Cour semble s’être penchée avant tout sur la question de savoir si les déclarations constituaient des témoignages sous serment plutôt que sur la question de savoir si les témoins étaient contraignables.
[31] L’appelant s’appuie sur un certain nombre de décisions de première instance qui, selon lui, étayent son argument selon lequel l’article 13 s’applique à tout témoignage fait (sous serment ou non) par une personne dès lors que celle-ci était un témoin contraignable (bien qu’il ne soit pas clair si les témoins dans toutes les affaires invoquées étaient « contraignables »).
[32] Dans une décision rendue peu après l’introduction de la Charte, les déclarations incriminantes faites par l’accusé lors d’une audience de libération conditionnelle ont été considérées comme un témoignage aux fins de l’article 13, bien que n’ayant pas été faites sous serment : R. c. Carlson (1984), 47 C.R. (3d) 46, 1984 CanLII 528 (C.S.C.-B.). La même démarche a été adoptée pour les déclarations non solennelles faites par un médecin à un comité de déontologie et de discipline de l’Ordre des médecins (R. c. Tyhurst, 1993 CanLII 814 (C.S.C.-B.)) ainsi que pour les déclarations non solennelles faites par un accusé à une audience de la commission d’examen psychiatrique (R. c. J.J.G., 2014 BCSC 2497).
[33] Dans R. c. Iyer, 2014 ABQB 356, le ministère public souhaitait présenter dans un procès ultérieur pour fraude la preuve d’une convention de règlement conclue avec la Alberta Securities Commission (ASC). La juge de première instance a conclu que l’accusé était un témoin contraignable dans la procédure de l’ASC et que la convention de règlement non solennelle équivalait à un témoignage pour les fins de l’article 13.
[34] Nous ne considérons pas que le raisonnement dans les décisions de première instance sur lesquelles l’appelant s’est appuyé soit convaincant ou compatible avec l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 13. Comme l’a récemment fait remarquer la Cour suprême du Canada dans R. c. Poulin, 2019 CSC 47, au paragraphe 32 :
[…] l’interprétation d’un droit garanti par la Charte est une entreprise téléologique (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344). Un droit garanti par la Charte doit être interprété en fonction de l’objet ou des objets qui le sous-tendent. Dans l’arrêt Big M, notre Cour a expliqué que l’objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé « en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s’il y a lieu, en fonction du sens et de l’objet des autres libertés et droits particuliers qui s’y rattachent selon le texte de la Charte » [citant R. c. Big M Drug Mart Ltd., p. 344].
[35] Dans l’arrêt R. c. Noël, 2002 CSC 67, la raison d’être de l’article 13 de la Charte a été qualifiée de quid pro quo, ou contrepartie :
21 L’article 13 incorpore une protection légale contre l’auto-incrimination forcée établie de longue date en droit canadien, et la meilleure façon de l’interpréter est de l’examiner en regard de l’art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada. À l’instar de la protection légale, la protection constitutionnelle représente ce que le juge Fish a qualifié de quid pro quo, ou contrepartie : lorsqu’un témoin contraint de déposer au cours d’une procédure judiciaire risque de s’auto-incriminer, l’État lui offre une protection contre l’utilisation subséquente de cette preuve contre lui en échange de son témoignage complet et sincère. Si son témoignage n’est pas vraiment complet et sincère, le témoin peut être poursuivi pour parjure ou pour l’infraction connexe de témoignages contradictoires.
[…]
24 L’attribution d’une contrepartie selon laquelle le témoin perd le droit important de ne pas s’incriminer que lui reconnaît la common law en échange d’une immunité contre l’utilisation des réponses qu’il est contraint de fournir à des questions incriminantes ne constitue évidemment pas une forme de contrat conclu avec un témoin en particulier, mais bien une règle de droit public voulant que l’érosion du privilège de ne pas s’incriminer soit contrebalancée par des garanties appropriées. Si l’on pousse plus loin l’analogie avec un contrat, comme le propose ma collègue le juge L’Heureux-Dubé, la réparation en cas de « manquement » est prévue dans le « contrat » : le témoin peut être poursuivi pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Selon moi, il convient davantage de dire que l’art. 5 est une règle de droit public qui, d’une part, prévoit la possibilité qu’un témoin mente et qui, d’autre part, fournit une solution convenable pour faire face à une telle éventualité, c’est-à-dire le retrait de la protection dans les limites expressément fixées par cette disposition. En ce sens du moins, la protection accordée n’est pas absolue.
(Les caractères gras sont de moi.)
[36] L’objectif du quid pro quo de l’article 13 a été décrit au paragraphe 39 de l’arrêt Nedelcu comme consistant à « favoriser un témoignage complet et sincère ». Les juges majoritaires ont affirmé ce qui suit aux paragraphes 40 et 41 :
[…] Un témoignage complet et sincère présuppose que le témoin veut dire la vérité, mais qu’il a peur de la révéler de crainte que son témoignage soit utilisé pour l’incriminer dans une procédure ultérieure. Il ne présuppose pas que le témoin a la ferme intention de faire un faux témoignage.
Quoi qu’il en soit, selon mon interprétation de l’art. 13, ni le témoin sincère ni le parjure n’ont à s’inquiéter de la possibilité que leur témoignage incriminant donné dans une procédure antérieure soit utilisé contre eux, à quelque fin que ce soit, dans une procédure ultérieure (le parjure ne devrait s’inquiéter que d’une éventuelle poursuite pour parjure ou pour témoignages contradictoires). Par conséquent, le témoin qui veut sincèrement dire la vérité – c’est-à-dire donner un témoignage complet et sincère – n’a pas à s’inquiéter des répercussions de son témoignage, quelles qu’elles soient. Il bénéficiera de la pleine protection offerte par l’art. 13 et le marché visé par cette disposition sera respecté.
[37] L’essence du marché envisagé par l’article 13 de la Charte et l’article 5 de la Loi sur la preuve est qu’une personne qui témoigne peut être contrainte de répondre à des questions incriminantes, mais que l’on ne pourra pas utiliser ses réponses contre elle dans d’autres procédures, sauf dans des poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Le marché sous-jacent est que, dès lors qu’une personne dit la vérité, on ne peut pas utiliser ses réponses contre elle dans une autre procédure. Cependant, si cette personne ne dit pas la vérité, elle peut être poursuivie pour parjure ou pour témoignages contradictoires.
[38] Ce marché sous-jacent ne tient pas si le témoignage issu de la procédure initiale n’a pas été fait sous serment et ne peut donc pas donner lieu à une poursuite pour parjure ou pour témoignages contradictoires. Appliquer l’article 13 aux témoignages non solennels permettrait à une personne de fournir des témoignages incompatibles dans deux procédures et d’éviter d’être poursuivie et d’être tenue responsable des contradictions lors de la seconde procédure. Cette approche irait à l’encontre de l’objectif de cet article, qui est d’encourager une personne à dire la vérité lors de la première procédure en limitant l’utilisation de ce témoignage dans une procédure ultérieure à une poursuite pour ne pas avoir dit la vérité. À notre avis, compte tenu de l’objectif de l’article 13, il ne s’agit pas de l’interprétation qu’il convient de donner à cet article. La protection offerte par l’article 13 se limite aux témoignages faits sous serment dans la procédure initiale.
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