Rechercher sur ce blogue

samedi 22 février 2025

Quelle est l'utilisation permise d'une procédure civile dans le cadre d'un procès criminel?

R. c. Nedelcu, 2012 CSC 59

Lien vers la décision


[1]                             Le juge Moldaver — J’ai eu le privilège de lire les motifs du juge LeBel et je suis d’accord avec lui sur la question de la contrainte.  Tout particulièrement, je souscris à sa conclusion, au par. 109, selon laquelle M. Nedelcu « était un témoin contraignable en vertu de la loi et, par conséquent, un témoin “forcé” [. . .] pour l’application de l’art. 13 [de la Charte canadienne des droits et libertés] » en ce qui a trait à sa déposition à l’interrogatoire préalable dans le cadre de l’action civile. 

[6]                             Selon mon interprétation de cette disposition, le « quid » — le premier volet, capital, de sa justification historique — correspond au « témoignage incriminant » donné lors d’une procédure initiale lors de laquelle le témoin n’avait pas le droit de refuser de répondre.  Cette disposition ne vise pas toutes les sortes de témoignages antérieurs.  Elle vise seulement le « témoignage incriminant » que le témoin a été contraint de donner. 

[7]                             Le « quo » correspond à la part du marché fournie par le ministère public.  Après avoir contraint une personne à témoigner, l’État s’engage en retour — dans la mesure où cette personne a donné un « témoignage incriminant » — à ne pas utiliser ce témoignage pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou témoignages contradictoires. 

[8]                             Par conséquent, la partie qui invoque l’art. 13 doit d’abord démontrer qu’elle a été contrainte de donner un « témoignage incriminant » dans la procédure initiale.  Si elle ne satisfait pas à cette double exigence, l’art. 13 ne s’applique pas et le débat est clos. 

[9]                             En quoi consiste donc un « témoignage incriminant »?  À mon avis, la réponse devrait être simple.  Cette expression ne peut s’entendre que du témoignage que le témoin a fourni lors d’une procédure initiale et que le ministère public pourrait utiliser, à supposer qu’il soit autorisé à l’utiliser, pour démontrer la culpabilité du témoin, c’est‑à‑dire pour prouver ou pour l’aider à prouver l’un ou plusieurs des éléments constitutifs de l’infraction reprochée au témoin lors de son procès ultérieur. 

[10]                        Dans l’arrêt Henry, par. 25, le juge Binnie reprend la définition d’un « témoignage incriminant » énoncée par la Cour dans R. c. Kuldip1990 CanLII 64 (CSC)[1990] 3 R.C.S. 618, p. 633 : « On qualifie d’incriminant un élément qui “pourrait faire conclure au juge des faits que l’accusé est coupable du crime allégué” ».

[19]                        De toute évidence, je ne vois pas du même œil le témoignage qui a été fourni dans la procédure initiale et que le ministère public ne pourrait pas utiliser dans un procès ultérieur pour démontrer que le témoin est coupable de l’infraction qui lui est reprochée.  Dans ce cas, le témoignage initial n’étant pas un « témoignage incriminant », il n’y a aucun « quid » pour l’application de l’art. 13 — et sans « quid », aucun « quo » n’est exigible en échange.  La présente espèce en constitue un exemple classique. 

[22]                        La simple possibilité qu’un témoignage par ailleurs « non incriminant » devienne un témoignage « incriminant » si le ministère public prenait les mesures supplémentaires nécessaires pour qu’il le devienne ne suffit pas pour que l’art. 13 s’applique.  Utiliser le témoignage fourni par M. Nedelcu lors de l’interrogatoire préalable pour attaquer sa crédibilité, sans plus, ne suffirait pas à rendre ce témoignage incriminant.  Le témoignage issu de l’interrogatoire préalable conserverait ses caractéristiques initiales et ne deviendrait pas un témoignage à partir duquel les juges des faits pourraient inférer la culpabilité. 

[29]                        Bien que le juge Binnie emploie l’expression « témoignage antérieur forcé », l’art. 13 concerne le témoignage forcé « incriminant » obtenu antérieurement.  Il ne doit pas être interprété comme visant tout témoignage forcé, de quelque nature qu’il soit, — et certainement pas du témoignage forcé qui n’était incriminant ni au moment où il a été donné initialement, ni au procès ultérieur du témoin.  Or, la déposition de M. Nedelcu à l’interrogatoire préalable ne constitue pas un « témoignage incriminant » selon la définition qu’en donne le juge Binnie, soit « un élément qui “pourrait faire conclure au juge des faits que l’accusé est coupable du crime allégué” » (Henry, par. 25). 

[30]                        En l’espèce, le ministère public voulait utiliser le témoignage initial non incriminant de M. Nedelcu pour attaquer sa crédibilité.  L’utilisation de ce témoignage non incriminant à cette fin n’en fait pas un témoignage incriminant, c’est‑à‑dire un témoignage que le ministère public pourrait utiliser, à supposer qu’il soit autorisé à l’utiliser, pour prouver ou l’aider à prouver l’un ou plusieurs des éléments constitutifs des infractions reprochées à M. Nedelcu à son procès.  Pour cette raison, l’art. 13 ne s’applique pas.  En l’absence de « quid », l’État n’était pas tenu de fournir un « quo ».

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

La contestation d'une autorisation judiciaire & les inférences pouvant être tirées de comportements dans un dossier de trafic de drogue

R. c. Guertin Moreau, 2023 QCCA 1638 Lien vers la décision [ 33 ]        La partie qui conteste l’autorisation judiciaire a le fardeau de pr...