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mercredi 5 mars 2025

Le privilège avocat-client

Comeau c. R., 2023 QCCS 866

Lien vers la décision


[99]        Le privilège avocat-client a fait l’objet de multiples arrêts et décisions majeurs depuis de nombreuses années et même en reprendre l’essentiel serait sans doute bien imparfait devant la richesse de ce corpus jurisprudentiel. Les arrêts les plus importants sont bien connus; qu’il suffise de noter ici, dans un ordre indistinct, l’arrêt Lavallee[8]McClure[9], Chambre des notaires du Québec[10], Fédérations des ordres professionnels de juristes du Canada[11], Maranda[12], Descôteaux[13], et Succession MacDonald[14] parmi d’autres.

[100]     Le privilège avocat-client fut d’abord une règle de preuve avant de devenir une règle de droit fondamentale et de première importance. On retrouve cette transition il y a maintenant plus de 40 ans dans l’arrêt Descôteaux, dans lequel le juge Lamer a souligné, notamment, que la confidentialité des communications entre avocat et client pouvait être soulevée à tout moment. Le juge Lamer a également résumé comment doit se résoudre un conflit mettant aux prises le privilège et d’autres intérêts contraires[15]. Le principe directeur sous-jacent aux préceptes énoncés par le juge Lamer est celui de l’atteinte minimale.

[101]     Par exemple, dans le contexte d’une perquisition, la Cour suprême, reprenant les propos du juge Lamer, réitérait que « [l’] on ne doit porter atteinte au secret professionnel de l’avocat que si cela est nécessaire et, même dans un tel cas, on doit le faire de la façon la moins attentatoire possible »[16].

[102]     Discutant des quelques exceptions au privilège, le juge Major, dans l’arrêt McClure, rappelle ce qui suit : « Toutefois, le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas »[17].

[103]     Dans l’arrêt Lavallee et dans le cadre d’une perquisition dans un cabinet d’avocats, la juge Arbour a souligné que l’État est l’« adversaire singulier » du détenteur du privilège dans le contexte d’une enquête criminelle. Le privilège doit livrer sa promesse : l’État n’a pas droit aux renseignements privilégiés[18]. Elle ajoutera : « L’atteinte minimale constitue depuis longtemps la norme dont se sert la Cour pour mesurer le caractère raisonnable des atteintes au secret professionnel de l’avocat par l’État »[19].

[104]     Parmi les dix règles dégagées par la Cour dans l’arrêt Lavallee quant à la procédure à suivre pour une perquisition dans un cabinet d’avocats, la juge Arbour identifie celui-ci : « Sauf lorsque le mandat autorise expressément l’analyse, la copie et la saisie immédiates d’un document précis, tous les documents en la possession d’un avocat doivent être scellés avant d’être examinés ou de lui être enlevés »[20].

[105]     Le privilège avocat-client n’est pas qu’une règle de preuve ou un principe juridique de premier ordre; il est également essentiel à l’intégrité de l’administration de la justice et constitue, de surcroît, un principe de justice fondamentale protégé par l’article 7 de la Charte, ce qu’avait déjà souligné la Cour suprême dans l’arrêt McClure[21].

[106]     Voici comment la juge Arbour résume ces aspects dans l’arrêt Lavallee:

 

Le secret professionnel de l’avocat constitue une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu’un principe de justice fondamentale en droit canadien. Même si le public a intérêt à ce que les enquêtes criminelles soient menées efficacement, il a tout autant intérêt à préserver l’intégrité de la relation avocat-client. Les communications confidentielles avec un avocat constituent un exercice important du droit à la vie privée et elles sont essentielles pour l’administration de la justice dans un système contradictoire. Les atteintes au privilège injustifiées, voire involontaires, minent la confiance qu’a le public dans l’équité du système de justice criminelle. C’est pourquoi il ne faut ménager aucun effort pour protéger la confidentialité de ces communications[22].

 

[107]     Lorsque de l’information privilégiée se retrouve en possession d’une partie qui n’y a pas droit, il existe une présomption de préjudice. Cette présomption est réfutable par la partie qui n’y a pas droit.

[108]     Ces questions sont discutées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Celanese.

[109]     L’arrêt Celanese porte sur une ordonnance Anton Piller qui s’est mal déroulée. Une ordonnance de ce type est l’équivalent d’un mandat de perquisition privé. Il s’agissait d’un litige sous-jacent portant sur de l’espionnage industriel.

[110]     L’exécution de l’ordonnance Anton Piller sur les lieux contrôlés par le défendeur s’est déroulée d’une manière désordonnée. Ainsi, notamment, des documents électroniques ont été copiés sans que leur contenu ne soit d’abord vérifié, puis ont été récupérés par la partie saisissante des mains du gardien sans que la partie adverse ne soit avisée.

[111]     Les avocats de Celanese ont pris connaissance du matériel privilégié bien que l’avocat ayant procédé à l’examen des documents ne s’en rappelait pas d’une manière particulière. Les documents ont été partagés avec un cabinet d’avocats américain qui y a eu accès et en a évalué la pertinence.

[112]     Au sujet de l’atteinte au privilège par inadvertance, ou encore l’importance relative de l’information compromise, le juge Binnie observe ce qui suit et qu’il importe de reproduire car l’extrait résume le principe applicable en quelques phrases :

 

Le problème est que, peu importe que ce soit consciemment ou par inadvertance, des renseignements échangés entre un avocat et son client se sont retrouvés dans les mauvaises mains. Même en admettant que les renseignements confidentiels protégés par le privilège avocat-client n’ont pas tous la même importance et le même caractère crucial, la possession de tels renseignements par la partie adverse compromet l’intégrité de l’administration de la justice. Des parties doivent être libres de soumettre leurs différends aux tribunaux sans craindre que leur adversaire ait pris injustement connaissance des secrets qu’elles ont confiés à leurs conseilleurs juridiques. Les témoins de la défenderesse ne devraient pas craindre, au cours de leur contre-interrogatoire, que les questions du contre-interrogateur soient motivées par des renseignements qui ont été transmis à titre confidentiel aux avocats de la défenderesse. Une telle possibilité supprime l’égalité des chances et risque sérieusement de compromettre l’intégrité de l’administration de la justice. Pour éviter ce danger, les tribunaux doivent agir « rapidement et de façon décisive », comme l’a souligné la Cour divisionnaire. Dans un cas comme la présente affaire, la mesure corrective est censée être réparatrice et non punitive[23].

 

[113]     Reprenant ensuite l’arrêt Succession MacDonald, le juge Binnie a souligné que lorsqu’un avocat a appris des renseignements privilégiés en raison de rapports antérieurs avocat-client, il existe une présomption d’un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client. Cette présomption est réfutable par une preuve « claire et convaincante », et les affirmations catégoriques d’affidavits « ne sont pas suffisant[e]s pour réfuter la présomption de diffusion ». La réfutation de la présomption s’apprécie selon la norme de la personne raisonnablement informée « qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels ». De plus, la partie requérante n’a pas l’obligation de produire des preuves additionnelles quant à la nature de l’information confidentielle au-delà de ce qui est nécessaire pour établir que « l’avocat en cause a appris des faits confidentiels qui concernaient l’objet du litige » [24].

[114]     Dans Celanese, la nature de l’information privilégiée était inconnue[25].

[115]     Dans le litige actuel, il importe de souligner que le cadre d’analyse de l’arrêt Succession MacDonald n’est pas limité à l’existence d’un lien antérieur entre l’avocat et le client.

[116]     Voici ce que note le juge Binnie à ce sujet : « Les éléments pertinents de l’analyse effectuée dans l’arrêt Succession MacDonald ne sont pas tributaires de l’existence préalable de rapports d’avocat à client. En l’espèce, le fond du problème est que les avocats de la partie adverse sont en possession de renseignements confidentiels pertinents qui ont été obtenus grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client et à l’égard desquels ils ne peuvent invoquer aucun droit »[26].

[117]     Pour le juge Binnie, ce n’est pas parce que l’information litigieuse pourrait être anodine que cela implique que le fardeau de prouver le préjudice doive échoir à la partie saisie. En particulier, les avocats de la partie saisie ne devraient pas avoir l’obligation de dévoiler ce qui est confidentiel. En sus, si la partie saisissante n’est pas en mesure de réfuter la présomption, elle n’a « qu’à s’en prendre à [elle]-même […] »[27].

[118]     Lorsque la partie qui est entrée en possession de l’information privilégiée ne réussit pas à réfuter la présomption de préjudice, se pose alors la question de la réparation appropriée.

[119]     Dans le contexte des arrêts Succession MacDonald et Celanese, le juge Binnie a souligné que la déclaration d’inhabileté doit être examinée après avoir considéré d’autres réparations, l’inhabileté étant une mesure draconienne compte tenu de l’importance de la représentation par l’avocat du choix du client. À cet égard, le juge Binnie observe qu’une conduite de la part de l’avocat qui n’est pas inacceptable peut tout de même résulter en une déclaration d’inhabileté.

[120]     C’est dans ce contexte que le juge Binnie formule six facteurs pour décider si l’inhabileté est la réparation appropriée. Ces facteurs sont les suivants : la manière dont le demandeur ou ses avocats sont entrés en possession des documents, les mesures que le demandeur ou ses avocats ont prises lorsqu’ils ont constaté que les documents étaient potentiellement assujettis au privilège avocat-client, la mesure dans laquelle les documents privilégiés ont été examinés, la teneur des communications avocat-client et la mesure dans laquelle elles sont préjudiciables, l’étape de l’instance, l’efficacité potentielle d’une mesure de protection ou d’autres précautions destinées à éviter un préjudice. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive[28].

[121]     Il existe quelques exemples jurisprudentiels pertinents à ce qui précède.

[122]     Ainsi, dans le contexte des litiges entourant les certificats de sécurité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, M. Jaballah a vu certaines communications privilégiées interceptées dans le cadre de conditions plus générales de remise en liberté (qui incluaient l’interception de communications privées du consentement de l’intéressé). Le protonotaire de la Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel les ministres devaient avoir utilisé l’information privilégiée et que la simple possession de l’information, sans plus, n’appelait aucun préjudice. Le protonotaire a décidé que la possession des renseignements privilégiés pouvait compromettre l’administration de la justice, et que la distinction entre l’avocat et le client pour les fins de la possession n’était pas un argument recevable[29].

[123]     Dans l’arrêt Douglas, il était question de deux mandats de perquisition relativement à des transactions immobilières à la résidence et au domicile professionnel du demandeur. Certains documents contenaient de l’information privilégiée et les prescriptions de l’arrêt Lavallee n’avaient pas été respectées[30].

[124]     Même si la police pouvait avoir vu les documents, la Cour d’appel du Manitoba a conclu qu’une réparation s’imposait néanmoins; pourtant, le policier responsable de la dénonciation au soutien des mandats ne se rappelait pas le contenu des documents et ne les avait regardés que d’une manière superficielle.

[125]     C’est l’obtention ou la possession du matériel privilégié qui déclenche la présomption réfutable de préjudice[31].

[126]     La jurisprudence offre divers exemples où l’inhabileté de l’avocat est perçue comme un redressement « extrême ». Par exemple, dans Chan, les avocats ayant eu accès à l’information par inadvertance avaient refusé de la remettre, en plus de la consulter délibérément alors que le matériel en leur possession ne laissait place à aucun doute. Dans cette affaire, il n’existait aucune réparation autre que l’inhabileté[32].

[127]     Les auteurs proposent de nombreux exemples où l’inhabileté est ou non ordonnée en fonction de la gravité des faits. Certains exemples sont à l’effet que lorsque la partie ayant reçu le matériel ne peut démontrer que l’information n’a pas été utilisée dans le litige, alors que la vérification des conflits d’intérêt était déficiente et que cette partie n’avait pas prévenu un repartage ou un accès éventuel à l’information, l’inhabileté était la solution appropriée[33].

[128]     Cela dit, toujours selon les mêmes auteurs, les tribunaux hésitent à ordonner l’inhabileté lorsque l’information a été transmise par inadvertance puis vue par l’autre partie. Dans un tel cas, d’autres réparations sont accordées, comme l’interdiction de faire référence aux documents, l’interdiction de poser des questions à leur sujet[34], de même que leur destruction.

[129]     Ces divers remèdes peuvent s’appliquer en matière criminelle, incluant un arrêt des procédures après une conclusion que la présomption de préjudice n’a pas été réfutée[35].

[130]     Dans un cas, soit un autre certificat de sécurité, le juge Blanchard avait conclu que la présomption avait bel et bien été réfutée mais que le retrait de 11 membres de l’équipe chargée du litige pour les ministres était nécessaire à l’apparence d’équité procédurale, même si l’équité réelle n’était pas en cause[36].

[131]     Quant au reliquat des principes de base, il est utile de rappeler que lorsque, comme en l’espèce, l’avocat est consulté ès-qualité de conseiller juridique, il va de soi que le privilège est applicable. Dans une situation plus complexe, une preuve peut être nécessaire, encore que seul le juge puisse consulter l’information pour trancher l’existence du privilège[37].

[132]     Tel que discuté, le privilège doit être aussi absolu que possible et la divulgation de l’information privilégiée aussi limitée que possible[38]. De même, il est préférable de ne pas catégoriser le contenu informationnel de manière à tenter de distinguer le conseil, de l’identité du client ou encore des honoraires. Ce type d’information en apparence incident peut déborder rapidement sur de l’information assujettie au privilège.

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