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dimanche 16 mars 2025

Le secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige et les revendications de privilèges a posteriori

R. c. Trépanier, 2018 QCCS 2632



A)   Le secret professionnel de l’avocat

[67]        Au Canada, les justiciables ont le droit de retenir les services d’un avocat pour se défendre et faire valoir leurs droits[16].

[68]        Le secret professionnel de l’avocat est un privilège qui appartient au client et l’avocat agit comme gardien afin de protéger les renseignements privilégiés[17].

[69]        La Cour suprême reconnait que la force du système de justice canadien exige de préserver la confidentialité des communications complètes, libres et franches entre l’avocat et son client face à l’ingérence de l’État[18].

[70]        Elle indique dans Blank : « Le rapport de confiance qui s’établit entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice. »[19]

[71]        Néanmoins, des raisons d’intérêt public, en cas de danger clair et imminent, peuvent repousser l’application du secret professionnel de l’avocat[20].

[72]        Cela est également possible lorsque les communications sont faites dans le but de perpétrer un crime, que l'avocat soit ou non de bonne foi[21].

[73]        Un client peut aussi renoncer à la confidentialité de façon explicite ou implicite, par exemple par la présence d’un tiers au moment de la communication avec son avocat[22].

[74]        Nous ne sommes dans aucune de ces situations, alors il convient, dans un premier temps, de définir la portée de ce privilège qui comporte une règle de fond et une règle de preuve.

[75]        La règle de fond entre en jeu en premier et vise la confidence entre l’avocat et son client face au public. Elle interdit à l’avocat de dévoiler ces communications[23].

[76]        Ainsi, le privilège ne prend pas effet seulement au moment où il est invoqué puisqu’il existe indépendamment de sa revendication.

[77]        Le secret professionnel de l’avocat s'applique dès la perquisition mettant en cause le droit à la confidentialité. Cette règle de fond donne d’ailleurs au juge de paix la discrétion de refuser la délivrance du mandat de perquisition ou d'imposer des modalités d'exécution[24].

[78]        De son côté, la règle de preuve protège le droit du client de ne pas être forcé de révéler les communications qu’il a eues avec son avocat[25].

[79]        La question du secret professionnel de l’avocat est si importante qu’il incombe au juge de paix de soulever proprio motu la règle de preuve. Il peut aussi refuser d'autoriser un mandat de perquisition lorsque les documents ne seraient pas recevables devant un Tribunal[26].

[80]        Dans le contexte criminel, les principes qui sous-tendent les règles relatives au privilège du secret professionnel de l’avocat sont protégés par le droit à une défense pleine et entière, le droit au silence, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit de ne pas s’incriminer et la présomption d’innocence[27].

[81]        Un mandat général donné à un avocat, tout comme un mandat spécifique, peut constituer un privilège bloquant l’accès aux documents[28].

[82]        La communication de conseils juridiques à des parties impliquées dans une opération commerciale ou à leur avocat peut aussi être protégée lorsque l’intérêt commun face à cette opération est établi[29].

[83]        De surcroit, les communications faites pour obtenir un avis juridique demeurent privilégiées même lorsque ceux qui assistent de façon professionnelle l’avocat, comme le personnel du bureau, y ont accès[30].

[84]        Ce privilège s’étend également aux communications tenues entre un client et un expert dont l’avocat a retenu les services pour préparer une défense[31].

[85]        Par ailleurs, il est important de préciser que la relation avocat-client prend naissance dès les premières démarches que fait le client auprès du bureau de l'avocat en vue d'obtenir un avis juridique. Il inclut les renseignements que requiert un avocat pour décider s'il accepte de représenter ce client potentiel [32].

[86]        Même si l'avocat n'accepte pas le mandat de représenter la personne qui sollicite ses services, les communications sont privilégiées[33].

[87]        Malgré cela, ce ne sont pas toutes les communications entre un avocat et son client qui sont protégées[34].

[88]        La protection s’applique lorsque la consultation est voulue confidentielle et qu’elle est tenue dans un cadre juridique[35].

[89]        La confidentialité ne se réduit pas à l’opinion, l’avis ou le conseil donné par l’avocat à son client puisqu’elle s’applique aussi aux faits qui en découlent, telles la rédaction de documents, les représentations ou les négociations[36].

[90]        Ce fait qui découle de l’opinion, l’avis ou le conseil donné par l’avocat doit cependant demeurer rattaché à cette relation avocat-client pour devenir privilégié[37].

[91]        En l’espèce, l’intimée invoque, entre autres, le secret professionnel de l’avocat à l’égard de documents qui, de prime abord, sont non confidentiels et émanent d’un tiers.

[92]        Le privilège découlerait du fait que ces documents ont été consultés par Mme Trépanier et son avocat dans le contexte de sa préparation à témoigner devant une commission publique d’enquête.

B)   Le privilège relatif au litige

[93]        Ce privilège se distingue du secret professionnel de l’avocat en ce que la confidentialité n’est pas un élément essentiel du privilège relatif au litige[38].

[94]        Il vise autant la protection des communications avocat-client qu’avocat-tiers.

[95]        Son but est d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client, et ce, afin que les parties au litige préparent leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse, et sans crainte d’une communication prématurée[39].     

[96]        Une des particularités du privilège relatif au litige tient au fait qu’il englobe aussi des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication dans la mesure où ils sont reliés à un litige précis[40].

[97]        Les tribunaux ont historiquement interprété de façon restrictive le privilège relatif au litige puisqu'il constitue un obstacle au principe de la communication complète et à la découverte de la vérité[41].

[98]        Néanmoins, dans Lizotte c. Aviva, la Cour suprême a tout de même réitéré que le privilège relatif au litige est générique et que de ce fait, il comporte une présomption de non-divulgation une fois les conditions d’application démontrées[42].

i)            Les exceptions au privilège relatif au litige

[99]        L’exception concernant la divulgation d’éléments de preuve démontrant un abus de procédure ou une conduite répréhensible similaire de la part de la partie qui revendique le privilège est spécifique à cette catégorie de privilège[43].

[100]     De plus, les exceptions reconnues à propos du secret professionnel de l’avocat s’appliquent au privilège relatif au litige, ce qui inclut la sécurité publique, l’innocence de l’accusé et les communications de nature criminelle[44].

ii)            L’objet principal du privilège (dominant purpose test)

[101]     Le critère de l’objet principal (dominant purpose test) vise à déterminer si la création de l’information à protéger concernait un litige précis.

[102]     Une fois le litige terminé, le privilège prend fin, à moins qu’un litige connexe ne persiste[45].

[103]     Ce privilège générique est donc limité dans le temps contrairement au privilège du secret professionnel de l’avocat.

[104]     La première étape de l’analyse consiste donc à établir les conditions de son application, soit :

a.   L’objet principal du document est la préparation du litige et ;

b.   Ce litige est toujours en cours ou un litige connexe persiste.[46]

[105]     Un litige connexe ne nécessite pas les mêmes parties, mais il doit toucher des questions communes et les causes d’action doivent être étroitement liées, même si les faits à la base de chacun des dossiers sont identiques[47].

[106]     Si l’objet de création de l’information vise de multiples litiges, c’est l’objet principal de sa création qui entrainera l’application du privilège et une définition large du litige doit être priorisée[48].

[107]     Ce privilège peut s’appliquer aussi à un litige raisonnablement appréhendé, mais il faut plus qu’une simple possibilité que le litige survienne[49].

[108]     Lorsqu’une personne raisonnable possédant toutes les informations pertinentes peut anticiper le litige, le privilège sera applicable. La certitude que le litige surviendra n’est pas requise[50].

[109]     Ainsi, lorsque plusieurs litiges peuvent raisonnablement être anticipés, il est possible que plus d'un objet principal de création coexistent, mais le critère de « l’objet important » est insuffisant pour l’opposer à celui qui revendique l’information. En ce sens, il confère une protection plus limitée[51].

[110]     Il n’apparait toutefois pas opportun que ces objets de création soient exclusifs à la matière civile ou criminelle puisque restreindre le privilège d'une telle façon risquerait un accès dans la zone de confidentialité que notre système accusatoire veut préserver.

[111]     Par exemple, ce privilège peut permettre la protection d’une expertise produite en matière civile et qui pourrait être utile dans un litige criminel[52].

[112]     En résumé, la portée du privilège relatif au litige est limitée par le critère de l’objet principal, ce qui est plus conciliable avec la tendance contemporaine favorisant une divulgation accrue[53]

iii)           Le privilège relatif au litige et la création de documents

[113]     Le privilège relatif au litige s’attache aux documents créés en vue du litige, mais pas nécessairement à ceux recueillis ou copiés et ensuite rangés dans le dossier[54].  

[114]     L’arrêt Blank[55] fait une mise en garde relativement à la portée du privilège qui aurait pour effet « de soustraire automatiquement à la communication tout document ou renseignement qui aurait dû être communiqué au préalable, s’il n’avait pas été transmis à l’avocat ou versé aux dossiers constitués par une partie relativement au litige. » [56]

[115]     La Cour d’appel d’Ontario, dans Chrusz[57], ne tranche pas explicitement la question de savoir à quel type de document s’étend la protection.

[116]     Dans Assessment Direct Inc. [58], la Cour supérieure d’Ontario refuse d’appliquer le privilège relatif au litige aux documents copiés ou recueillis, à moins que les originaux soient en possession de celui qui invoque le privilège et qu’ils aient été créés aux fins du litige principal.

[117]     Selon la Cour supérieure d’Ontario, l’organisation des documents serait donc distincte du document en soi :

[23]      Simply put, if there are documents in the possession, custody or control of the client, those documents do not become privileged, just because the lawyer asks for copies of them to be made and included in his/her brief.  Nor do those documents become privileged simply because the lawyer asks the client to organize the documents in a particular fashion, that will be of assistance to the lawyer in the litigation, unless that organization reflects skill and knowledge.  If it does, then the organization of the documents may be privileged, but the documents themselves still must be produced.  By way of example from this case, when dealing with some other documents, where a similar concern arose, the Referee released the documents to the O.P.P. intermingled with other documents, so that the organization of the documents would not be revealed.[59]

[Soulignements ajoutés]

[118]     Le Tribunal retient de l’évolution de la jurisprudence que les cas où les documents sont recueillis au moyen de recherches, ou à l’aide de connaissances et d’habiletés, la stratégie ainsi que les théories de l’avocat sont protégées par le privilège relatif au litige, mais pas nécessairement l’information dont la divulgation est demandée[60].

[119]     Ainsi, un document ou un renseignement versé au dossier de la partie qui invoque le privilège relatif au litige, mais qui aurait dû être communiqué avant de poser cette action, ne sera pas privilégié lorsque l’objet principal de sa création n’était pas la préparation du litige.

iv)         Le privilège relatif au litige en matière criminelle

[120]     Ce privilège existe en droit criminel canadien, bien que les contours précis de son application restent à définir[61].

[121]     La Cour suprême des États-Unis a confirmé le caractère « vital » de ce privilège en matière criminelle, autant en poursuite que du côté de l’accusé[62].

[122]     Les documents pour lesquels Mme Trépanier invoque ce privilège n’ont pas été créés à la demande de son avocat et cela n’a aucune importance en matière de privilège relatif au litige puisque la partie non représentée a autant besoin de cette zone de confidentialité[63].

[123]     Le Tribunal doit donc déterminer si les documents ciblés entrent dans le cadre de ce privilège et respectent ses conditions d’application, soit :

a.   L’objet principal du document est la préparation du litige et ;

b.   Ce litige est toujours en cours ou un litige connexe persiste.[64]

[124]     Ce cadre d’application doit tenir compte du fait qu’un prévenu n’a aucune obligation de divulguer sa défense et n’est pas tenu de collaborer avec le ministère public[65].

[125]     De plus, il bénéficie du principe général de common law interdisant l'auto-incrimination ainsi que du principe de justice fondamentale prévu à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[66].

[126]     Mme Trépanier indique que ce privilège doit entrer en force dès qu’une personne devient suspecte dans une affaire criminelle afin de préserver sa zone de confidentialité et assurer l’efficacité du processus contradictoire[67].

[127]     Du côté du ministère public, on reconnait que le privilège relatif au litige peut recevoir application en matière criminelle[68], mais il ne devrait pas pouvoir être soulevé avant la mise en accusation d’un accusé.

[128]     Cette position ne peut être retenue puisque la date de la mise en accusation dépend de la volonté du poursuivant qui peut, pour de multiples raisons valables, décider de retarder ce moment.

[129]     Ce délai ne saurait empêcher la personne visée par l’enquête de raisonnablement anticiper l’objet d’un litige précis. Elle voudra donc se préparer en conséquence.

[130]     Cela est aussi valable pour la poursuite qui bénéficie du privilège avocat-client[69] ainsi que du privilège relatif au litige[70].

[131]     La poursuite a évidemment une obligation constitutionnelle de transmettre à la défense les fruits de l’enquête policière, soit les éléments de preuve et les renseignements qui sont en sa possession ou sous son contrôle, sauf ceux manifestement non pertinents ou protégés par certains privilèges[71].

[132]     Le privilège relatif au litige se retrouve parmi ceux que peut invoquer le ministère public pour s’opposer à une divulgation. C’est pourquoi le procureur de la poursuite n’a pas à divulguer, par exemple, ses notes de préparation du dossier ou sa stratégie[72].

[133]     Dans un deuxième temps, la position de Mme Trépanier implique de cibler le moment où une personne devient suspecte.

[134]     Ce moment peut varier selon la perception de l’organisme d’enquête, de la personne visée et d’une analyse objective que pourrait en faire un tribunal[73].

[135]     La personne qui veut soulever le privilège relatif au litige doit savoir qu’elle est suspecte relativement à un litige précis et non simplement le supposer.

[136]     La question ultime est donc de déterminer quand le privilège relatif au litige entre en force en matière criminelle.

[137]     Pour ce qui est de la poursuite, le privilège peut naître dès l’élaboration de sa stratégie de mise en accusation et de présentation de sa preuve.

[138]     Mais qu’en est-il du moment où un individu peut raisonnablement anticiper être l’objet d’une mise en accusation?

[139]     Il est évident que la détention enclenche l’obligation de donner à cette personne une mise en garde ainsi que ses droits garantis par la Charte[74]. Il en résulte que cette personne comprend dès cet instant la nature du litige anticipé.

[140]     Il peut cependant survenir des situations où les autorités ciblent et enquêtent un individu à titre de suspect potentiel, sans qu’il n’en soit avisé, comme en matière d’écoute électronique.

[141]     Le fait que les autorités enquêtent sur cette personne n’enclenche pas l’application du privilège relatif au litige puisqu’elle ignore le litige qui se dessine.

[142]     De surcroit, les policiers peuvent choisir d’interroger une personne sans l’arrêter et celle-ci ne devient pas automatiquement détenue du fait de choisir librement de participer à cet interrogatoire[75].

[143]     L’anticipation d’un litige précis avec l’État n’est pas toujours palpable à cette étape et le même raisonnement s’applique à la poursuite jusqu’au moment où elle crée de l’information dont l’objet principal concerne ce litige spécifique.

[144]     Lorsqu’une personne est interrogée à titre de suspect, la mise en garde l’informera de son droit de garder le silence et de la possibilité que ses propos soient utilisés en preuve dans un litige précis en application de la règle des confessions[76].

[145]     Cependant, une personne peut décider de parler volontairement aux autorités sans qu’elle soit arrêtée ni détenue. Les déclarations qu’elle fait dans ces circonstances pourront lui être opposables lors d’un procès puisque rien n’empêche les policiers de lui adresser la parole et de la questionner[77].

[146]     La mise en garde peut d’ailleurs être donnée à un simple témoin sans qu’il ne soit détenu puisque la mise en garde est un acte juridique distinct de la notion de détention physique ou psychologique[78].

[147]     Par exemple, lorsqu’une personne est rencontrée à titre de témoin important relativement à une infraction précise, un tribunal pourra conclure qu’elle était dans les faits une suspecte dans l’enquête criminelle[79] et appliquer le privilège relatif au litige dès cet instant.

[148]     D’autres situations peuvent survenir où un citoyen comprend qu’une mise en accusation est imminente ou fortement plausible, par exemple suite à une enquête journalistique, ou comme dans la présente affaire, suite à une commission publique d’enquête.

[149]     Par ailleurs, une personne qui anticipe être l’objet d’une accusation peut consulter un avocat et voir à la préparation d’une éventuelle mise en accusation tout en s’assurant du caractère confidentiel et privilégié de sa démarche.

[150]     Mais lorsque ce n’est pas le cas, comme en l’espèce, le Tribunal devra faire une analyse contextuelle des conditions d’application du privilège relatif au litige.

[151]     C’est ce qu’invoque Mme Trépanier qui affirme avoir été une suspecte dès ses premiers contacts avec les enquêteurs et ainsi avoir créé des documents en vue de ce litige anticipé.

C)   Les privilèges a posteriori

[152]     Un avocat qui décide a posteriori de garder confidentiel un document déjà créé ou obtenu ne suffit pas à le placer sous la protection du secret professionnel de l’avocat[80]

[153]     De la même façon, pour appliquer le privilège relatif au litige, l’objet principal de création du document («dominant purpose test») doit nécessairement être connu avant sa création. Le simple fait qu’un avocat s’implique en cours de route ne justifie pas cette protection[81].

[154]     Dans le présent dossier, certains documents portent une mention manuscrite indiquant qu’ils sont privilégiés pour l’avocat de Mme Trépanier. Elle explique avoir inscrit cette mention sur la recommandation de Me Soulière, afin de prévenir tout accès illégal à ces documents.

[155]     C’était donc à titre préventif, avant la saisie, que Mme Trépanier a agi de cette façon et elle ne revendique pas le privilège avocat-client concernant ces documents. Seul le privilège relatif au litige est soulevé à propos de ces items.

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