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dimanche 16 mars 2025

Les conditions d’application du secret professionnel de l’avocat

ArcelorMittal Canada inc. c. R., 2024 QCCQ 1927

Lien vers la décision


[17]      Le droit à la confidentialité des communications entre un client et son avocat est évidemment un principe fondamental essentiel à la bonne administration de la justice[25]. Cela suppose que l’individu qui reçoit l’assistance et les conseils d’un avocat n’ait aucune crainte que les actes et pensées dévoilés à son conseiller juridique puissent de quelque façon être connus des tiers et être utilisés contre lui[26]Il importe qu’il ait confiance que l'information ou la documentation qu'il partage ne risque pas d'être divulguée dans le futur et ce, que ce soit dans le contexte d'une enquête administrative, pénale ou criminelle[27].

[18]      La Cour suprême résume ce privilège ainsi : « [l]e secret professionnel de l'avocat vise à interdire la divulgation de toute communication échangée entre un avocat et un client - voulue confidentielle par ce dernier et faite dans le but légitime d'obtenir de l'aide ou des conseils professionnels licites - sauf si le client renonce à cette protection ou qu'une exception reconnue s'applique[28] ». Dans la mesure où les conditions d’application sont réunies[29], ce privilège générique a une portée particulièrement large et générale[30] et ne doit être levé « que dans les circonstances les plus exceptionnelles[31] ». En effet, le secret professionnel doit demeurer toujours aussi absolu que possible et ne doit être levé que lorsque les tribunaux sont d'avis qu'il est absolument nécessaire de le faire, et ce, dans un but très spécifique[32].

[19]      Considérant que la ligne de démarcation entre les faits et les communications peut être difficile à tracer et que la divulgation de certains faits peut parfois en dire long sur une communication, il n'est pas approprié de fixer une délimitation stricte entre les communications qui sont protégées par le secret professionnel et les faits qui ne le sont pas[33]. Il faut plutôt s'en tenir à l'existence d'une présomption réfragable voulant que l'ensemble des communications entre le client et l'avocat et des informations soient considérées prima facie de nature confidentielle[34].

[20]      Le secret professionnel peut s’appliquer aussi bien aux avocats qui œuvrent en pratique privée, au sein du contentieux d’une entreprise ou au service de l’État, y compris lorsqu’ils ont le statut de salarié[35]. Dans l’arrêt Campbell, la Cour suprême reconnait que ce privilège s’applique à un policier de la GRC qui demande l’avis d’un avocat du ministère de la Justice sur la légalité d’une opération de vente surveillée qu’il projetait[36].

[21]      Le secret professionnel de l'avocat ne protège toutefois pas l'ensemble des services rendus par un avocat. À titre d’exemple, les avocats du gouvernement qui œuvrent depuis des années auprès d'un ministère client peuvent être invités à prodiguer des conseils en matière de politique qui n'ont rien à voir avec leur formation et leur expertise juridiques, mais font appel à leur connaissance du ministère[37]. Les conseils que donnent les avocats sur des matières non liées à la relation avocat-client ne sont donc pas protégés[38]. En somme, le privilège peut s’appliquer ou non « selon la nature de la relation, l’objet de l’avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni[39] ».

A.     Les conditions du privilège relatif au secret professionnel de l’avocat

[22]      La nature privilégiée d'un document ou de l'information qu'il contient ne dépend pas de la catégorie à laquelle le document appartient, mais plutôt de son contenu et de ce qu'il peut révéler sur la relation et les communications entre un client et son conseiller juridique[40].

[23]      Afin de revendiquer le secret professionnel relativement à un document précis, l’intimé doit établir[41] qu’il répond aux critères suivants: (1) une communication entre un avocat et son client, (2) qui comporte une consultation ou un avis juridique et (3) que les parties considèrent de nature confidentielle[42].

1.               Une communication entre un avocat et son client

[24]      À la lumière de l’ensemble de la preuve administrée et des représentations des parties, le Tribunal conclut que l’intimé satisfait son fardeau d’établir la première condition; l’« avis légal » auquel l’agente fait référence dans son rapport pour fin d’enquête correspond à une communication entre un avocat et son client.

[25]      Le document litigieux provient de deux conseillers juridiques du Service juridique d’ECCC qui sont employés par le ministère de la Justice Canada. Ces derniers conseillent leur ministère client, c’est-à-dire ECCC. Le document est destiné à l’agente à titre d’agente d’application de la loi, œuvrant pour ECCC.

[26]      Le client n’est pas l’agente personnellement, mais bien ECCC[43]. En effet, bien qu’elle soit la destinataire de l’avis juridique, cet échange opère dans le cadre de l’exercice de son emploi pour ECCC[44]. Comme dans l’arrêt Campbell, le fait que les deux conseillers juridiques soient à l’emploi d’un service juridique gouvernemental interne « ne change rien à l’égard de la création ou de la nature du privilège[45] ».

[27]      Puisqu’il est question ici d’un seul document, le Tribunal ne croit pas nécessaire de qualifier ou non la relation entre les parties de mandat complexe à exécution prolongée au sens de l’arrêt Foster Wheeler[46]. Qu’il suffise de souligner qu’il ne s’agit pas d’un mandat ponctuel, mais bien d’un mandat continu où ECCC peut demander régulièrement des avis juridiques à ses conseillers juridiques.

2.               Qui comporte une consultation ou un avis juridique

[28]      Le Tribunal doit ensuite évaluer si l’intimé démontre que le document litigieux compte une consultation ou un avis juridique. Encore, une fois, le Tribunal conclut que c’est le cas.

[29]      D’abord, l’agente réfère à ce document dans son rapport pour fin d’enquête et le désigne comme étant un « avis légal[47] ». Ensuite, l’en-tête du document fait référence à « Note de service / Mémorandum[48] » et on précise plus bas que son objet est « L’autorité d’un exploitant d’une mine quant à une demande de retrait d’un point de rejet final[49] », ce qui suggère un questionnement de nature juridique au sujet de l’autorité d’un exploitant d’une mine et la réception d’une opinion juridique à ce sujet.

[30]      Finalement, le Tribunal a le bénéfice du contenu intégral du document. Il s’agit clairement d’un avis juridique émanant de deux avocats à la suite d’une demande en ce sens. Autrement dit, ce document est produit dans le cours d’une communication entre un client qui sollicite un avis juridique licite et d’avocats qui y répondent par écrit[50].

3.               Que les parties considèrent de nature confidentielle

[31]      Troisièmement, le Tribunal doit évaluer si l’intimé établit que les parties considèrent ce document comme confidentiel. D’abord, l’en-tête du document révèle « Protected : Solicitor/Client Privilege[51] », ce qui exprime l’idée que le contenu du document doit demeurer confidentiel[52]. Ensuite, selon les représentations de l’intimé, le document a été envoyé par courriel et mis en copie uniquement à des individus travaillant pour le client, soit ECCC.

B.     La démonstration d’une renonciation ou d’une exception au privilège

[35]      D’emblée, il convient de rappeler que le secret professionnel appartient au client et non au conseiller juridique; seul le client peut y renoncer[56]. Considérant notamment l’importance accordée à ce privilège qui doit demeurer aussi absolu que possible, il incombe à la partie qui veut l’écarter de le justifier en démontrant une renonciation ou l’application d’une des exceptions au privilège[57].

[36]      En l’espèce, les requérantes n’invoquent aucune des exceptions prévues au privilège[58] se fondant plutôt sur l’existence d’une renonciation. Celle-ci peut être explicite ou implicite, mais doit, dans tous les cas, être claire et non équivoque[59]Elle doit aussi être interprétée et appliquée de manière restreinte[60].

1.               La renonciation implicite

[37]      Dans un premier temps, les requérantes prétendent avoir démontré l’existence d’une renonciation implicite. L’analyse de ce qui peut constituer une renonciation implicite est nécessairement contextuelle et doit être entreprise avec prudence, afin de ne pas étendre la renonciation au-delà de ce qui est nécessaire pour les fins du litige[61]. Une renonciation implicite « s’infère des gestes posés par le titulaire du droit, qui se révèlent incompatibles avec la volonté de préserver le secret professionnel ou plutôt d'éviter la divulgation de l'information confidentielle que protège celui-ci[62] ».

[38]      Ainsi, les gestes du détenteur du privilège - y compris ses écrits et ses paroles - peuvent entraîner la renonciation au privilège[63]. Ce peut être le cas si « le titulaire du secret "met lui-même en question, dans un litige, un fait dont l'existence ne peut être démontrée ou infirmée sans que ce secret ne soit levé en tout ou en partie"[64] ». Un exemple de ce qui précède peut être le client qui prétend s’être fié à un avis juridique pour justifier sa conduite ultérieure[65].

[39]      Dans l’arrêt Campbell, la Cour suprême conclut à une renonciation implicite non pas parce que le titulaire du privilège avait divulgué une partie du contenu de l’avis juridique, mais plutôt parce qu’il appuyait un argument relatif à la bonne foi sur l'avis de l'avocat non divulgué et ce, alors que l'existence ou la non-existence de la bonne foi invoquée dépendait du contenu de cet avis[66]. Empêcher la divulgation de l’avis en cause aurait été inéquitable[67].

[40]      Dans cet arrêt, c’est la combinaison de l’affirmation de l’agent de la GRC selon laquelle il croyait légale l’opération de vente surveillée et du fait que la GRC invoquait l’existence d’un avis juridique comme argument contre l’imposition de l’arrêt des procédures qui fait en sorte que la Cour suprême conclut à une renonciation implicite[68]. Autrement dit, si la GRC n’avait pas invoqué cet argument en plus de l’affirmation de son agent lors de son témoignage, il n’y aurait pas eu de renonciation implicite[69].

[41]      La Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Soprema Inc. analyse plusieurs jugements discutant de la renonciation implicite, incluant l’arrêt Campbell précité, et conclut que le titulaire du privilège doit volontairement introduire dans le litige les conseils juridiques reçus ou sa compréhension du droit qui en découle avant de pouvoir conclure à une renonciation implicite. Le Tribunal partage cette conclusion qui découle naturellement de l’arrêt Campbell :

« 48  In my view, this case, although arising in a criminal context, strongly supports the proposition that it is not sufficient for implied waiver of privilege that a party's state of mind as to its understanding of its legal position or advice it received is relevant to a material issue. Here, even though Cpl. Reynolds' state of mind was relevant, he did not have to make his legal understanding an issue. Equally, even having received legal advice, the RCMP did not need to introduce it into the proceeding to justify police conduct. If neither of these things had happened, the assumption was that privilege would not have been waived, notwithstanding the legal advice's potential relevance.

49  In my view, the authorities in this province do not clearly preclude the approach taken by the judge, although on balance I think the weight of authority supports the proposition that a party must voluntarily inject into the litigation legal advice it received or its understanding of the law before waiver can be implied.[70] » (soulignements et caractères gras ajoutés)

[42]      Ceci correspond à l’état actuel du droit qui est décortiqué par l’auteur Adam M. Dokek dans son ouvrage Solicitor-Client Privilege où il propose trois éléments clés afin de pouvoir conclure à une renonciation implicite d’un privilège qui doit demeurer aussi absolu que possible faut-il le rappeler : (1) une divulgation volontaire par le titulaire du privilège qui a sollicité ou reçu des conseils juridiques, (2) sur une question en litige entre les parties et (3) une tentative du titulaire du privilège de s’appuyer sur ses conseils juridiques pour justifier une conduite particulière[71]. Ces trois conditions doivent être démontrées par la partie qui allègue l’existence d’une renonciation implicite[72].

a)        Une divulgation volontaire par le titulaire du privilège

[43]      La divulgation volontaire dont il est question ici correspond à la référence par l’agente à l’ « avis légal » dans le contexte précité qui est transmis d’ECCC à l’intimé puis aux requérantes. La divulgation doit être volontaire, en ce sens qu’elle a été faite sciemment par ECCC par opposition à une divulgation fortuite. L’intimé ne prétend pas à une divulgation accidentelle ou par inadvertance, ce qui aurait nécessité l’examen de facteurs différents[73]. Il s’agit donc d’une divulgation volontaire, mais celle-ci est limitée au titre que l’agente accorde à ce document. À première vue, cette simple référence apparait mince pour satisfaire la première condition permettant de conclure à une renonciation qui, bien qu’implicite, se doit d’être claire et sans équivoque en plus d’être interprétée restrictivement.

[44]      Or, comme le démontre l’arrêt Campbell, la communication du contenu ou d’une partie de l’avis juridique n’est pas nécessaire pour satisfaire à cette première condition. Dans cette affaire, ce qui avait été communiqué était limité; un agent de la GRC avait sollicité et obtenu un avis juridique d’un avocat du ministère de la Justice au sujet de la légalité de la vente de stupéfiants surveillée projetée. Si l’existence de cet avis juridique découlait du témoignage de l’agent de la GRC lors de l’audition d’une requête en arrêt des procédures[74], l’information avait vraisemblablement été communiquée avant le procès, puisque les accusés avaient tenté, sans succès, d’assigner l’avocat du ministère de la Justice à témoigner relativement aux communications qu’il avait eu avec un agent de la GRC[75]. Malgré leurs tentatives en ce sens, les accusés n’avaient toutefois pas eu accès au contenu de l’avis juridique[76].

2.               La renonciation partielle ou sélective

[62]      Dans un deuxième temps, les requérantes prétendent qu’ECCC a partiellement et sélectivement renoncé au privilège relatif au secret professionnel de l’avocat. Ceci découlerait de la référence à l’avis juridique par l’agente dans le contexte déjà amplement discuté.

[63]      Comme le souligne la juge McKenna dans l’affaire Trudel, le concept de renonciation partielle ou sélective côtoie de près celui de renonciation implicite[89]. La renonciation partielle ou sélective empêche le titulaire du privilège de s’engager dans une divulgation sélective et intéressée sur un sujet particulier, en ne communiquant que les documents ou extraits privilégiés qui soutiennent sa position, tout en omettant de communiquer ceux qui ne la soutiennent pas[90]. Il s’agit essentiellement d’une question d’équité pour la partie opposée qui pourrait autrement être désavantagée et induite en erreur par une communication sélective et intéressée[91].

[64]      Dans ce cas de figure, les concepts d’équité (« fairness ») et cohérence (« consistency ») identifiés initialement dans l’affaire S. & K. Processors Ltd.[92] prennent tout leur sens; le titulaire du privilège ne peut utiliser celui-ci comme une épée pour justifier une position ou une conduite tout en l’invoquant comme un bouclier pour empêcher l’autre partie de tester ou valider cette position ou cette conduite particulière[93]. Ainsi, dans ces cas, la renonciation au privilège pour une partie d’une communication privilégiée peut être considérée comme une renonciation de l’ensemble de la communication[94], bien que cela ne soit pas automatiquement le cas[95].

[65]      Ici, le contenu de l’avis juridique n’a pas été communiqué aux requérantes directement ou indirectement. En effet, le document dans sa version intégrale n’était pas en possession de l’intimé initialement, jusqu’à la demande des requérantes pour l’obtenir. De plus, selon les représentations des parties, il semble que, de l’ensemble de la preuve communiquée, incluant le rapport pour fin d’enquête de l’agente, aucun extrait ou résumé de l’avis juridique ne s’y retrouve. La ou les conclusions de l’avis juridique ne sont pas non plus communiquées.

[66]      Bref, sans qu’il ne soit question d’une divulgation accidentelle ou par inadvertance de l’existence de l’avis juridique, force est de constater que le titulaire du privilège n’en a pas fait davantage que de dévoiler volontairement sa seule existence. Ceci est insuffisant pour permettre au Tribunal de conclure en une renonciation partielle ou sélective. La preuve administrée à cette étape préliminaire des procédures ne permet pas de conclure qu’ECCC s’appuie sur une sélection de certains passages de l’avis juridique pour justifier sa position ou une conduite particulière tout en omettant d’autres passages qui pourraient lui être défavorables créant ainsi une situation inéquitable pour les requérantes.

[67]      En conséquence, le Tribunal conclut que les requérantes ne démontrent pas une renonciation partielle ou sélective de la part d’ECCC à l’égard de l’avis juridique.

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