[78] La notion de preuve dérivée a été abordée sous deux angles par la Cour suprême dans l’arrêt Grant : (1) lorsqu’elle provient d’une déclaration qui ne respecte pas les exigences de la règle des confessions, et (2) lorsqu’elle provient d’une violation à un droit constitutionnel prévue à la Charte.
[79] On y rappelle que l’exclusion automatique des déclarations involontaires en common law est fondée sur la présence d’un doute au sujet de la fiabilité des déclarations forcées, mais que « la common law n’a pas étendu l’inadmissibilité automatique aux éléments de preuve matérielle découverts grâce aux renseignements tirés de ces déclarations »[21].
[80] Comme le résumait mon collègue Éric Downs dans l’affaire Dion, la règle des confessions en common law pourrait tendre à inclure une preuve dérivée fiable, malgré l'inadmissibilité de la déclaration, tandis que le paragraphe 24(2) préconise une approche axée sur la déconsidération de l'administration de la justice[22].
[81] Quoi qu’il en soit, il demeure toujours est possible « d’écarter une preuve recevable et pertinente, mais dont la valeur probante est si faible qu’il faut l’écarter à cause de sa tendance préjudiciable à l’égard du jury »[23].
[82] Ce principe n’est toutefois pas en cause dans le présent dossier puisque la preuve en litige a une bonne force probante (il s’agit d’une preuve matérielle fiable qui est pertinente à l’identification de l’auteur du crime) et n’entraine pas d’effet préjudiciable à l’égard du jury.
[83] L’effet préjudiciable dont il est question n’est pas lié au risque de condamner l’accusé, mais plutôt au mauvais usage qu’il pourrait être fait par le jury de cette preuve[24].
[84] Sans cette façon d’écarter une preuve dérivée d’une confession inadmissible en common law, ni par le truchement du paragraphe 24(2) de la Charte, il semble qu’il n’y a aucun moyen de l’exclure, à moins de revisiter l’arrêt Wray[25] où la Cour suprême a confirmé l’application de la règle « St. Lawrence ».
[85] Dans St. Lawrence, il avait été décidé qu'une déclaration involontaire était recevable dans la mesure où elle était confirmée par des preuves matérielles[26].
[86] On disait, dans Wray, qu’« [a]ucun pouvoir judiciaire ne permet d’écarter une preuve pertinente parce que la recevoir serait inéquitable envers l’accusé »[27].
[87] Néanmoins, comme le soulignent les auteurs Vauclair et Desjardins, on peut s'interroger sur la compatibilité de cette règle avec l'avènement de la Charte.
[88] Ils rappellent d’abord qu’« [e]n common law, la preuve dérivée d'une déclaration jugée inadmissible est toutefois recevable si elle est pertinente, même si la déclaration dont elle découle n'est pas jugée libre et volontaire »[28].
[89] Ils se questionnent ensuite sur la possibilité que de la règle de common law en matière d’exclusion de preuve dérivée puisse évoluer en fonction de l’adoption de la Charte.
[90] C’est ce que semble avoir proposé la Cour suprême dans Grant qui a indiqué que le « paragraphe 24(2) de la Charte a implicitement infirmé la pratique de common law consistant à toujours admettre les éléments de preuve dérivée fiables »[29].
[91] Dans la décision Azonwanna de la Cour supérieure de l’Ontario, il est indiqué qu’une preuve dérivée d’une déclaration non volontaire doit automatiquement être exclue de ce fait :
[176] Having found that the Crown has failed to prove beyond a reasonable doubt that the statement is voluntary, it is not strictly speaking necessary for me to consider s. 24(2) in relation to the statement. Because the statement is not voluntary, it is not admissible, nor are the fruits of the statement admissible (the contents of the cell phone obtained by Mr. Azonwanna giving his phone password in an involuntary statement).
[177] However, I consider s. 24(2) for completeness in relation to the Charter breaches I have found, and also in relation to the contents of the phone, in particular the video and other information taken off the phone.
[178] There is no question that the content of the statement is evidence obtained in a manner that infringed the Charter. It is causally, contextually, and temporally closely linked to the Charter breaches I have found. [30]
[Soulignement ajouté]
[92] Ce court passage dans la décision Azonwanna concernant l’inadmissibilité « des fruits » provenant d’une déclaration involontaire ne constitue toutefois pas le seul fondement de l’exclusion de la preuve dérivée, soit le contenu d’un cellulaire.
[93] Dans cette affaire, l’accusé était détenu au moment des verbalisations qui ont mené à la preuve dérivée. Des violations à ses droits constitutionnels ont été constatées, dont celui à l’assistance d’un avocat. Le juge a donc procédé à une analyse exhaustive des critères applicables au paragraphe 24(2) avant de conclure à l’exclusion de la preuve dérivée puisqu’elle n’aurait pas été découverte sans la preuve émanant de l’accusé, ce qui déconsidérerait l’administration de la justice[31].
[94] Dans la section de leur ouvrage traitant de la preuve dérivée, les auteurs Vauclair et Desjardins réfèrent à l'arrêt Sweeney[32] de la Cour d'appel de l'Ontario qui « s'est penchée sur la persistance de cette règle à la lumière de l'entrée en vigueur de la Charte ».
[95] M. Sweeney était détenu lorsque sa confession involontaire a été obtenue. C’est donc l’atteinte à son droit au silence protégé en vertu de l'article 7 qui a finalement mené à l’exclusion de la preuve.
[96] Les auteurs soulignent que la révision de la règle d'exclusion de la preuve prévue au paragraphe 24(2) de la Charte implique de « nouveaux critères, notamment du principe de l'exclusion générale présomptive des déclarations et de la gravité de la violation »[33].
[97] Ils traitent ensuite spécifiquement de la possibilité d’exclure une preuve dérivée d’une confession involontaire lorsqu’il y a absence de détention. Ils indiquent ceci :
La question se pose donc véritablement dans l'hypothèse où l'auteur de la déclaration extrajudiciaire n'était pas détenu au moment où il l'a faite. La Cour d'appel de l'Ontario a rappelé que la fiabilité n'est plus la seule justification de la règle d'exclusion des confessions. On doit aussi se préoccuper de la crédibilité du système judiciaire. Le juge Rosenberg a indiqué qu'il ne saurait totalement mettre de côté la règle formulée par la Cour suprême dans l'arrêt Wray. Toutefois, il a rappelé, dans un long obiter, qu'à la suite de l'entrée en vigueur de la Charte, les tribunaux ont un plus vaste pouvoir d'exclusion d'une preuve dont l'utilisation porterait atteinte à l'équité du procès, notamment par le biais du paragraphe 24(1) de la Charte. Il en résulte donc que la déclaration involontaire, admissible en vertu de la common law puisque confirmée par une preuve réelle, pourrait quand même être exclue en se fondant sur cette dernière disposition.[34]
[Soulignements ajoutés et références omises]
[98] Il me semble cohérent que la règle de la common law puisse avoir évolué depuis l'avènement de la Charte. Admettre une preuve dérivée émanant d’une déclaration obtenue dans un contexte où les policiers n’ont pas respecté le cadre établi par la règle des confessions m’apparait fort préoccupant pour la crédibilité du système judiciaire.
[99] En effet, c’est le comportement de l’État qui a fait en sorte que la déclaration de l’accusé a été exclue. J’y reviendrai plus loin, mais ce sont les agissements des policiers qui ont conduit à la détention illégale de l’accusé à qui on a omis de donner les droits constitutionnels exigés en cas de détention, en sus de lui cacher volontairement son statut de suspect pour tenter de lui soutirer des aveux.
[100] Dans ce contexte, permettre à l’État d’utiliser une preuve qui en découle entacherait grandement la crédibilité du système judiciaire.
[101] De surcroit, l’admissibilité de cette preuve serait de nature en affecter l’équité du procès.
[102] Dans l’arrêt Burlingham, le juge Sopinka écrivait : « On ne peut certainement pas dire que l'exclusion de confessions faites involontairement n'a rien à voir avec l'équité du procès »[35].
[103] Il soulignait qu’une règle d'exclusion axée sur la seule valeur probante de la preuve s'apparente à la règle énoncée dans Wray, un arrêt « fort critiqué, [qui] n'a pas été suivi par notre Cour, et [qui] n'est pas à l'origine de l'adoption du pouvoir d'exclusion prévu au par. 24(2) de la Charte »[36].
[104] Au même effet, le juge Moldaver, dans Hart, rappelait les propos de la Cour suprême dans Harrer voulant « que le juge du procès demeure toujours investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’écarter l’élément de preuve dont l’admission compromettrait l’équité du procès »[37].
[105] Dans l’arrêt Harrer, le juge Laforest rappelait que « le principe général que l'accusé a droit à un procès équitable ne peut pas être entièrement réduit à certaines règles précises »[38].
[106] Il citait l'arrêt Corbett, où la Cour a « clairement indiqué qu'un juge a le pouvoir discrétionnaire d'écarter des éléments de preuve qui, s'ils étaient admis, nuiraient à la tenue d'un procès équitable »[39].
[107] Toujours dans Harrer, le juge Laforest référait ensuite à Thomson Newspapers où il avait mentionné que cette approche est un complément nécessaire au droit à un procès équitable garanti par l'al. 11d) de la Charte. Il indiquait : « Puisque l'admission ou le rejet appropriés d'une preuve dérivée n'est pas régi par une règle générale, il faut trouver un mécanisme souple qui permette de traiter la question selon le contexte en présence. Seul le juge du procès peut le faire »[40].
[108] Il ajoutait ensuite que « [l]e droit d'un accusé à un procès équitable est constitutionnalisé à l'al. 11d), lequel droit serait de toute façon protégé en vertu de l'art. 7 comme un aspect des principes de justice fondamentale »[41].
[109] Le juge Laforest concluait en mentionnant que « les juges doivent, en tant que gardiens de la Constitution, exercer leur pouvoir discrétionnaire lorsque cela est nécessaire, afin de donner effet au droit à un procès équitable garanti par la Charte. En un mot, il n'est pas nécessaire de recourir au par. 24(1) ou (2) à cet égard. Dans de telles circonstances, l'élément de preuve est écarté pour respecter l'impératif constitutionnel garantissant le droit à un procès équitable, c'est‑à‑dire afin d'empêcher qu'un procès soit dès le départ inéquitable »[42].
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