Bilodeau c. R., 2022 QCCA 207
[15] L’appelant sollicitait également l’exclusion de la preuve en vertu de la Charte en invoquant le non-respect du délai de dépôt du rapport de perquisition prescrit par les paragraphes 487.01(7) et 487.1(9) C.cr. Suivant ces derniers, l’agent de la paix ayant obtenu un télémandat général ou traditionnel doit préparer et déposer auprès du greffier du tribunal un rapport dans les plus brefs délais, mais au plus tard dans les sept jours suivant l’exécution du mandat. Ce rapport doit indiquer les biens qui ont été saisis et l’endroit où ils sont gardés.
[16] Rappelons que les policiers ont perquisitionné les casiers 17 à 22 du local D-4 les 24 et 25 février 2017, que le rapport de perquisition a été signé le 10 mars 2017 par l’enquêteur Alain Gaudreault et qu’il a été déposé auprès du greffier du tribunal le 28 mars 2017[15], soit 24 jours après la fin de l’échéance prescrite par le paragraphe 487.1(9) C.cr.
[17] Le juge de première instance a conclu à une violation de l’article 8 de la Charte canadienne puisque le rapport n’avait pas été déposé dans les sept jours prescrits par le paragraphe 487.1(9) C.cr.
[18] Il a ensuite procédé à l’analyse prescrite par le paragraphe 24(2) de la Charte canadienne, et s’est demandé s’il y avait lieu d’écarter les éléments de preuve, en examinant les trois questions devant être mises en balance : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État; (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte; et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond[16].
La gravité de la conduite attentatoire de l’État
[19] À la première question, qui consiste à se demander si l’utilisation de la preuve saisie peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de l’État, il a répondu par la négative. Selon lui, la gravité de la violation était faible :
Ici, la gravité de la violation est faible. Tel que préalablement établi, le mandat était valide, les biens légalement saisis. Les policiers n’étaient pas de mauvaise foi. Il n’est pas question, non plus, de négligence. Pour des raisons de sécurité, en raison de la dangerosité des substances à manipuler, le processus de saisies, de prises d’échantillons et d’inventaires s’est échelonné sur plus de deux (2) semaines. Il n’existe pas de processus au Code criminel permettant de demander la prolongation du délai de sept (7) jours prévu au paragraphe 487.1(9). Ils se trouvaient dans une impasse. Les policiers ne pouvaient quand même pas remettre les substances et autres items liés à la production de stupéfiants saisis au requérant. Ils ont déposé un rapport quand c’était possible. Le délai n’était pas anormalement long dans les circonstances. Un juge pouvait donc contrôler la légalité de la détention des biens saisis.[17]
[20] L’appelant ne démontre pas qu’une telle conclusion soit viciée.
[21] Contrairement à ce qu’il prétend, rien dans la preuve ne soutient sa prétention que le retard dans la remise du rapport soit dû à une méconnaissance ou à une insouciance des policiers.
[22] Le juge a retenu que les délais dans la remise du rapport ont été causés par des précautions qui ont été prises pour des motifs liés à la sécurité et au danger de contamination dans le traitement de nombreux exhibits, et ce, en raison de la présence potentielle de fentanyl.
[23] Cette conclusion prend appui dans la preuve. En effet, dans son témoignage, l’enquêteur principal Steven Courtemanche a expliqué que le SPVM a fait des perquisitions multiples le 23 février 2017 en lien avec des laboratoires de drogues de synthèse et que celles-ci ont entraîné le déclenchement d’un protocole de partenariat avec la Gendarmerie royale du Canada pour en faire le démantèlement. Compte tenu de l’importance des perquisitions qui ont alors été effectuées, des précautions hors de l’ordinaire ont dû être prises pour traiter les exhibits dans le cadre du présent dossier, autant sur les lieux de la perquisition qu’ensuite, dans les bureaux du SPVM. Un extrait de son témoignage mérite d’être reproduit intégralement :
R. Comme je le mentionnais, ça n’a pas pu être traité sur les heures normales étant donné qu’il y avait des risques de contamination puis il fallait prendre des… certaines précautions par rapport à la sécurité de tout le monde. Ça fait que ça s’est échelonné sur plusieurs jours.
Dans le… quand je consulte les feuilles de biens, il y a eu de la manipulation des items qui ont été saisis jusqu’au quinze (15) de mars. Ça fait que c’est ensuite de ça que la… un coup que tous les items ont été traités, que les rapportables ont été transmis pour qu’il y ait le retour au juge qui soit fait.[18]
[Soulignement ajouté]
[24] L’appelant prétend que le juge a erré en retenant les explications de l’enquêteur Courtemanche puisque le rapport des biens montre que le décompte des biens saisis a été complété le 24 février 2017, ou au plus tard le 9 mars 2017, dépendamment des biens[19]. Par ailleurs, il faut souligner que les endos des feuilles de biens qui auraient permis de vérifier que des manipulations se sont bel et bien poursuivies jusqu’au 15 mars 2017, comme l’affirme l’enquêteur Courtemanche[20], ne sont pas au dossier.
[25] Il importe peu que les manipulations aient cessé le 9 ou le 15 mars 2017. L’impossibilité de respecter le délai de sept jours prescrit pour la remise de ce rapport était due à des circonstances particulières liées à la sécurité face à des risques de contamination. Partant, le juge a eu raison de conclure que le rapport avait été déposé au greffe du tribunal le 28 mars 2017 et que, dans ces circonstances, ce délai n’était pas anormalement long et la gravité de la violation demeurait faible[21].
L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte
[26] En ce qui a trait à la seconde question, soit celle concernant l’incidence de la violation sur le droit de l’appelant, le juge s’est exprimé ainsi :
L’incidence de la violation sur les droits du requérant est également faible. Son expectative de vie privée sur ces objets après leur saisie est faible. Il ne s’agit pas d’un ordinateur contenant une grande quantité d’informations personnelles, par exemple, dont la détention par les policiers est injustement prolongée. Les biens saisis ne révèlent en fait aucun renseignement personnel ou détail intime. Il s’agit essentiellement de matériels et substances servant à la production de stupéfiants. L’endroit perquisitionné n’est pas non plus l’un de ceux où les citoyens ont une très grande attente en matière de vie privée. Aucune preuve de préjudice, même théorique, n’est présentée.
L’effet de la violation sur les droits du requérant, s’il y en a eu un, était passager.[22]
[27] L’appelant ne fournit aucun argument concret sur l’impact qu’aurait eu la remise tardive du rapport, se contentant plutôt de formulations générales en lien avec l’ingérence injustifiée de l’État dans sa vie privée. Cela ne lui est d’aucune utilité considérant la validité du mandat délivré. Partant, le juge a eu raison de conclure que l’incidence de la violation sur le droit de l’appelant était faible, voire nulle, compte tenu des biens saisis et de la légalité de la saisie[23].
L’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond
[28] Enfin, concernant la dernière question portant sur l’intérêt de la société, le juge a conclu que « (…) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond est grand. Les accusations sont graves, les éléments de preuve dont on recherche l’exclusion sont d’une grande fiabilité et revêt une importance certaine pour la position de la poursuite »[24]. Cette conclusion est bien fondée en droit et en fait.
***
[29] À l’issue de cet examen, le juge a mis en balance les trois critères du test applicable :
Mise en balance avec le peu de gravité de la violation et de sa faible incidence sur les droits du requérant, il est évident que la preuve ne doit pas être exclue. L’exclure minerait la confiance du public dans l’administration de la justice.[25]
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