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lundi 21 avril 2025

Le fait de décharger à plusieurs reprises une arme à feu en direction d'une autre personne peut être suffisant, selon les circonstances de l'affaire, pour inférer l'intention de tuer cette personne même en l'absence d'un mobile précis, d'un complot préexistant ou de menace

Alexandre c. R., 2012 QCCA 935 

Lien vers la décision


[70]           Ainsi, l'inférence qu’une personne qui décharge une arme à feu en direction de quelqu'un a l'intention de la tuer ne constitue pas toujours une inférence raisonnable. Cela est particulièrement vrai, dit l'appelant, en l'absence d'un complot préexistant, de menaces ou d'un mobile. En pareils cas, la preuve circonstancielle sera généralement insuffisante pour permettre l'inférence d'une intention de causer la mort.

[71]           L'appelant reproche au juge de première instance de ne pas avoir fourni de directives à cet effet aux jurés. Pourtant, dit-il, la preuve révélait que l'accusé n'a prononcé aucune parole durant ou après la fusillade, que le tir provenant de l'arme d’un coaccusé, Gherry Dorsainvil, n’a pas mis la vie de la victime en danger, et qu'aucun des assaillants n'a tenté d'empêcher la victime de quitter les lieux.

[72]           Pourtant, soutient l'appelant, une pareille directive s'imposait car la Couronne a soutenu durant ses plaidoiries que le fait de tirer à bout portant en direction d'une personne démontre qu'on tente de causer sa mort.

[73]           De plus, selon l'appelant, le résumé de la preuve par le juge du procès n'aurait pas été équitable, n'ayant pas comporté une revue de la preuve favorable à la défense. Par exemple, il n'existait aucune preuve de préméditation, de planification, de complot ou d'un mobile et le juge du procès n'aurait pas formulé des directives adéquates à cet égard.

[74]           La Couronne soulève d'emblée que cette question est une question mixte de fait et de droit qui ne figure pas à l'avis d'appel. L'appelant, qui n'a pas présenté de requête pour permission d'appeler comme l'exige l'article 69.5 des Règles de la Cour d'appel du Québec en matière criminelle relativement à un moyen mixte de fait et de droit, serait forclos de plaider cet aspect.

[75]           Je ne partage pas le point de vue de la poursuite sur ce point. De façon générale, une question qui porte sur l'erreur commise par un juge dans ses directives au jury est une question de droit[18]. Une directive du juge du procès au jury n'est pas basée sur des conclusions factuelles. Le juge du procès a pour rôle d'identifier le cadre juridique qui s'applique à la situation, et de proposer ce cadre au jury. C'est au jury qu'il appartiendra de tirer des conclusions quant aux faits de l'affaire, dans le cadre juridique proposé par le juge, pour déterminer si l’accusé est coupable ou non.

[76]           Traitant maintenant du mérite de l'argument de l'appelant, l'appelant a raison d'affirmer que l'intention requise pour l'infraction de tentative de meurtre est une intention spécifique de causer la mort. Une intention moindre n'est pas acceptable, notamment celle prévue pour l'homicide coupable à l'article 229(a)(ii) C.cr. Ainsi, il ne suffit pas qu'un accusé ait « l’intention de causer [à la victime] des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non »[19].

[77]           Par contre, il est également faux d'affirmer que le fait de décharger à plusieurs reprises une arme à feu en direction d'une autre personne serait insuffisant pour inférer l'intention de tuer cette personne en l'absence d'un mobile précis, d'un complot préexistant ou de menaces. La jurisprudence citée par l'appelant ne lui est d'aucun secours, les circonstances factuelles ayant été différentes de celles de la présente affaire.

[78]           Par ailleurs, le juge du procès n'a pas indiqué au jury que la seule décharge d'une arme suffit à démontrer l'intention de tuer. Il a plutôt invité le jury à tenir compte de toutes les circonstances de la fusillade, et a expliqué que la déduction conforme au bon sens n'est pas automatique. Elle ne s'applique que si l'analyse de tous les éléments de preuve ne soulève aucun doute sur la question de l'intention.

[79]           Le juge a mentionné à plusieurs reprises que le jury devait tenir compte de l'ensemble de la preuve pour déterminer si l'appelant avait l'intention requise. Les directives du juge du procès n'ont pas à être parfaites, et il n'avait pas à insister davantage sur les conséquences probables d'une fusillade.

[80]           De plus, la preuve ne révèle aucunement que l'appelant ne voulait que susciter la peur, infliger des blessures ou se défendre. Il aurait donc été erroné pour le juge du procès de donner des directives en ce sens. La trajectoire des deux tirs de l'appelant ne supporte pas l'hypothèse qu'il aurait délibérément « manqué » la victime, qui n'était pas armée. Il ne l'a pas atteinte, mais il faut considérer que la victime fuyait, bougeait et s'était cachée derrière une colonne. Le coaccusé Dorsainvil a atteint la victime au thorax, et la pourchassait alors qu'elle tentait de sortir du bar. On ne saurait non plus soutenir que Dorsainvil et l'appelant n'ont pas tenté d'empêcher la victime de fuir les lieux. Dans ces circonstances, l'absence de préméditation n'implique pas nécessairement une absence d'intention de tuer la victime.

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