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mardi 20 mai 2025

Le critère applicable à l’art. 475(1) C.cr. permettant de procéder ex parte dû à l'esquive de l'accusé lors de son procès

R. c. Douiri, 2023 QCCQ 6489

Lien vers la décision


1- Le critère applicable à l’art. 475(1) C.cr. permettant de procéder ex parte pour des infractions poursuivies par acte criminel

[39]         L’art. 475(1)(b) C.cr. a été adopté en 1974[21] et son texte demeure inchangé depuis[22]. La validité constitutionnelle de l’article a été confirmée à plusieurs reprises et ce, malgré le fait que des accusations criminelles peuvent entraîner des conséquences graves sur la liberté des accusés. Il se lit ainsi :

 

475(1) – Absence du prévenu au cours de l’instruction – Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, lorsqu’un prévenu, inculpé conjointement ou non, s’esquive au cours de son procès :

(a)   Ce dernier est réputé avoir renoncé à son droit d’y assister;

(b)   Le tribunal peut : (i) poursuivre le procès et rendre un jugement ou un verdict et, s’il déclare le prévenu coupable, lui imposer une sentence, en son absence.

 

(2) Conclusion défavorable – Le tribunal qui poursuite le procès conformément au paragraphe (1) peut tirer une conclusion défavorable au prévenu du fait qu’il s’est esquivé.

 

475(1) – Accused absconding during trial – Notwithstanding any other provision of this Act, where an accused, whether or not he is charged jointly with another, absconds during the course of his trial,

(a)   He shall be deemed to have waived his right to be present at his trial, and

(b)   The court may (i) continue the trial and proceed to a judgment or verdict and, if it finds the accused guilty, impose a sentence on him in his absence.

 

(2) Adverse inference – Where a court continues a trial pursuant to subsection (1), it may draw an inference adverse to the accused from the fact that he has absconded.

 

[40]         Le pouvoir de procéder en l’absence de l’accusé existe, même s’il y a l’option d’émettre un mandat d’arrestation et d’ajourner le procès. La décision du Tribunal est discrétionnaire.

[41]         On ne saurait sous‑estimer l’importance de cet article, dont l’impact sur les droits de l’accusé est énorme. Foncièrement, le droit pour un accusé d’être présent à son procès est un principe de justice fondamentale protégé par l’art. 7 de la Charte ainsi que l’art. 650 C.cr. Cette présence et sa participation sont des composantes du droit à un procès équitable.

[42]         Les enjeux sont d’une importance incontestable. Au‑delà du procès, si l’accusé s’esquive et qu’il est ultimement déclaré coupable, les tribunaux d’appel refuseront généralement d’entendre l’appel de sa condamnation. Il sera souvent considéré comme inapproprié de permettre à l’accusé d’utiliser les ressources offertes par la loi pour tenter de faire casser le verdict de culpabilité, tout en lui permettant de s’échapper des conséquences fâcheuses de sa condamnation en cas de rejet d’appel[23].

[43]         C’est donc avec prudence et parcimonie que cette disposition doit être invoquée.

[44]         Par ailleurs, le droit d’être présent pendant les procédures n’est pas absolu. En s’esquivant volontairement pendant son procès, l’accusé indique qu’il ne compte pas se prévaloir de son droit fondamental d’y assister. Ainsi, si les critères de l’art. 475 C.cr. sont satisfaits, l’accusé sera réputé avoir renoncé à son droit[24]. S’il s’est mis lui‑même dans la situation où il se trouve, il serait illogique de s’en plaindre ou de reprocher au Tribunal le fait d’avoir procédé en son absence. Il sera l’artisan de son propre malheur[25].

[45]         Soulignons qu’il est possible de procéder ex parte, même lorsque l’accusation est telle que l’accusé absent risque une peine d’emprisonnement[26].

[46]         De toute évidence, le fardeau incombe à la poursuite de démontrer que l’accusé s’esquive. Toutefois, dans l’arrêt de principe R. v. Garofoli, la Cour d’appel de l’Ontario a laissé sans résolution la question concernant la norme de preuve applicable : hors de tout doute raisonnable ou par balance des probabilités?[27] Dans l’affaire R. v. Francis, le juge Shaw a conclu que la norme était celle de la prépondérance des probabilités[28]. Certains auteurs partagent son opinion[29], quoique la jurisprudence est avare à ce sujet.

[47]         J’aurais tendance à être d’accord avec ces autorités. Ceci dit, la norme exacte importe peu en l’espèce. Comme le sera exposé ci‑dessous, le Tribunal arrive aisément à une conclusion sans équivoque que Douiri s’esquive dans l’intention spécifique d’éviter les conséquences des accusations. La norme plus stricte serait satisfaite dans le présent dossier. La preuve à cet effet est claire, convaincante et elle ne laisse planer aucun doute raisonnable à l’esprit du Tribunal.

[48]         Enfin, il importe de noter que ce régime est différent de celui qui est prévu pour les procès ex parte en matière sommaire. Dans ce dernier cas, l’art. 803(2)(a) C.cr. permet au juge du procès de procéder in absentia lorsque les deux conditions sont remplies :

(1)  Le défendeur néglige consciemment de comparaître aux date, heure et lieu fixés pour le procès; et

(2)  Il en avait été avisé.

[49]         Le test applicable est donc moins exigeant à deux égards. D’abord, l’art. 803 C.cr. ne prévoit pas que le procès doit déjà être entamé avant de se prévaloir de la disposition. Il vise donc les cas où une date de procès est fixée et l’accusé omet tout simplement de s’y présenter. De plus, il suffit que l’accusé ait négligé de se présenter tout en connaissant la date de son audition. Le ministère public n’a pas à démontrer qu’il s’esquive avec un objectif particulier dans son esprit.

2- Est‑ce que Douiri « s’esquive » au sens de l’art. 475 C.cr.?

a)   La simple absence au procès ne suffit pas pour donner ouverture à cette disposition

[50]         La simple absence de l’accusé ne suffit pas, même s’il a fait preuve de négligence ou d’insouciance. Le ministère public doit plutôt démontrer qu’en s’esquivant, l’accusé a l’intention de nuire à l’administration de la justice, d’entraver le procès ou encore d’en éviter les conséquences potentiellement fâcheuses[30].

[51]         Évidemment, le Tribunal peut inférer cette intention spécifique de la preuve[31]. Rares seront les cas où l’accusé envoie une note énonçant explicitement qu’il fuit pour échapper à la justice. Incidemment, une telle preuve existe en l’espèce.

[52]         Le critère sera satisfait si l’accusé s’esquive parce qu’il craint les conséquences des procédures. Sa peur et son stress, même sincères, ne peuvent excuser son désir volontaire d’éviter les sanctions juridiques de ses actes[32].

[53]         Foncièrement, le but de la disposition est de protéger l’intégrité du système judiciaire et d’empêcher les fugitifs de profiter de leur fuite.

3- Est‑ce que l’accusé s’esquive « au cours de son procès »?

[59]         Comme le précise le libellé de l’article, le procès pourra se dérouler ex parte seulement si l’accusé s’esquive au cours de son procès, donc après son début.

a)   À quel moment le procès criminel débute‑t‑il?

[60]         La question est d’une simplicité trompeuse. Sa réponse est éminemment complexe.

[61]         Le procès commence‑t‑il dès l’enregistrement du plaidoyer? Commence‑t‑il seulement lorsque le premier témoin à charge est appelé à livrer sa déposition? Commence‑t‑il au moment de la présentation d’une requête préliminaire? Commence‑t‑il lorsque le dossier est remis à l’appréciation du jury? Si oui, qu’en est‑il des dossiers qui procèdent devant un juge seul (soit la vaste majorité des dossiers au Canada)? Quand l’accusé sera‑t‑il considéré « en péril »? Est‑ce le moment déterminant à l’analyse? Qu’en est‑il du processus de gestion de l’instance?

[62]         La question visant à identifier le début du procès se présente à divers endroits différents dans le Code criminel. Selon une jurisprudence abondante, la réponse à la question variera – parfois considérablement – en fonction des circonstances, du libellé de la disposition qui s’applique et de l’intention du législateur qui s’y rattache[33]. Une interprétation téléologique s’impose, ce qui s’explique du fait que les différents articles du Code ne protègent pas tous les mêmes intérêts[34]. Une grande prudence s’impose donc lorsqu’on consulte la jurisprudence concernant un autre article du Code, même si les notions de « début du procès » se recoupent dans une certaine mesure.

[63]         Il importe donc de dégager le but visé par le législateur avec l’art. 475(1) C.cr., pour ensuite interpréter l’expression « au cours de son procès » de façon à permettre que l’article atteigne l’objectif visé, tout en se rappelant qu’il y a lieu d’interpréter restrictivement les dispositions visant à restreindre les droits d’un accusé[35].

[64]         Ce serait un euphémisme de dire que la jurisprudence sur ce sujet – pourtant abondante – est contradictoire, voire parfois carrément incompatible. Puisque la question se pose dans divers contextes, il n’est guère surprenant que des interprétations divergentes se soient développées. Par ailleurs, le même concept a reçu un traitement diamétralement différent, même parmi les cas où les tribunaux appliquaient la même disposition statutaire.

[65]         Un bref tour d’horizon jurisprudentiel est utile, quoiqu’évidemment, une importance prédominante sera accordée aux jugements ayant spécifiquement appliqué l’art. 475(1) C.cr.

i)     Lors des poursuites criminelles poursuivies par voie sommaire

[66]         Dans l’arrêt R. c. Petersen, l’accusé était inculpé de conduite avec les capacités affaiblies. La dénonciation a été assermentée le 31 juillet 1978. Quatre jours plus tard, la Couronne a choisi de procéder par voie sommaire[36] et l’affaire a été ajournée. À la date suivante, soit le 7 septembre, l’accusé a formellement comparu et il a plaidé non coupable. Une audition pro forma s’est tenue le 27 octobre, lors de laquelle la date de procès a été fixée au 15 décembre. En fin de compte, ce procès a été ajourné au 11 janvier 1979. À toutes ces dates, l’accusé était représenté par avocat.

[67]         Le 11 janvier, le juge de la cour provinciale a rejeté la dénonciation pour des motifs liés à sa compétence. Le dossier s’est rendu jusqu’à la Cour suprême du Canada qui a dû se prononcer, entre autres, sur la question de savoir quand le procès avait commencé. Dans son analyse, la Cour a énoncé que l’accusé avait été mis en péril et que « son procès avait commencé » dès le dépôt de la dénonciation, notant qu’il avait plaidé non coupable et qu’il était prêt à répondre à la preuve du ministère public[37].

[68]         Sous la plume du juge McIntyre, la Cour a précisé que cette dernière condition ne requérait pas que la Couronne soit immédiatement prête à présenter sa preuve[38]. Dans le cadre de l’analyse de la compétence du juge de la cour provinciale, le « procès » est une notion large et elle ne se limite pas au « procès sur le fond ». Les deux concepts sont distincts[39].

ii)     Aux fins de révision d’une ordonnance de détention par le juge du procès (art. 523(2)(a) C.cr.) ou par la Cour supérieure (art. 520 C.cr.)

[69]         Les questions relatives (1) au tribunal compétent et (2) au moment qu’une ordonnance de détention pouvait être révisée ont donné lieu à un riche corpus jurisprudentiel.

[70]         Essentiellement, l’art. 523(2)(a) C.cr. prévoit qu’un juge « devant qui un prévenu subit son procès » peut, en tout temps, modifier l’ordonnance de détention ou de mise en liberté. Tant que ce juge‑là est saisi de l’affaire, toute demande de modification doit lui être acheminée. Par ailleurs, en tout temps « avant son procès », un accusé peut s’adresser à la Cour supérieure en vertu de l’art. 520 C.cr. pour une révision de cautionnement.

[71]         La question de l’identification du forum compétent a été vivement débattue dans la jurisprudence. À son tour, cette question repose pour une large part sur le sens que l’on accorde à l’expression « subit son procès ».

[72]         Dans l’arrêt R. v. Durrani, dans un jugement succinct, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le procès n’était pas considéré « commencé » aux fins de l’art. 523(2)(a) C.cr., même si un juge avait déjà été désigné et même si ce dernier avait déjà entendu de nombreuses requêtes préliminaires pendant plusieurs mois. L’accusé Durrani n’avait pas encore enregistré son plaidoyer de culpabilité[40]. Par ailleurs, la Cour d’appel a pris soin de noter en note de bas de page que même s’il avait déjà plaidé non coupable, la décision aurait été la même. Lorsqu’un procès se déroule devant jury, l’accusé doit réitérer son plaidoyer de non‑culpabilité au moment de la sélection des jurés.

[73]         Dans l’affaire R. c. Ruel, la Couronne sollicitait la modification d’une condition de mise en liberté. Le procès se déroulerait devant la Cour supérieure et la poursuite a présenté sa requête au juge Vauclair (siégeant alors à la Cour supérieure). La défense s’y opposait, plaidant que le juge n’entendait que des requêtes préliminaires et qu’il n’était donc pas le juge « du procès ». Le juge, déclinant respectueusement de suivre l’arrêt Durrani, a statué qu’il était clairement le juge du procès et que celui-ci avait déjà commencé. Dans son analyse, il a fait la distinction subtile suivante : il n’était pas un « juge qui entendait des requêtes préliminaires », mais plutôt un juge qui avait commencé le procès, mais ce dernier ne pouvait débuter à ce stade‑ci parce qu’il restait des « questions à trancher »[41]. Le juge a statué que le procès était entamé depuis les plaidoyers de non‑culpabilité des accusés et ce, même s’il restait des questions à régler avant qu’ils ne soient remis entre les mains du jury[42].

[74]         Il appert cependant que depuis 2011, la jurisprudence a évolué au sein de la Cour supérieure.

[75]         Dans la récente affaire R. c. S.V., le juge Downs a procédé à une révision exhaustive de la jurisprudence en la matière, tout en soulignant, lui aussi, que les autorités sont contradictoires[43]. Il en conclut que le courant majoritaire privilégie l’interprétation selon laquelle, aux fins de l’art. 523(2)(a) C.cr., le procès commence seulement lorsque l’accusé est remis entre les mains du jury. Cette étape coïncide avec le moment où la preuve est présentée au fond. Par ailleurs, le simple fait que le plaidoyer soit enregistré avant cette date ne signifie pas forcément que le procès a débuté, notamment en raison des différences entre les diverses juridictions, les pratiques locales et les inégalités que l’interprétation large provoquerait entre les accusés qui subissent un procès devant une cour provinciale et ceux qui le subissent devant une cour supérieure.

[76]         Dans cette affaire, le procès de S.V. a été ajourné à deux reprises, une première fois à sa demande et une seconde fois à la demande de la Couronne. Les deux remises ont été accordées par le juge Labelle de la Cour du Québec, qui était désigné pour entendre le procès. En attente de la tenue du procès au fond, l’accusé s’est adressé à la Cour supérieure pour la révision de sa détention. La poursuite s’y opposait, soutenant que la Cour supérieure n’avait pas compétence puisque le procès était déjà entamé. Selon elle, c’était l’art. 523(2)(a) C.cr. qui devait trouver application et non pas l’art. 520 C.cr.

[77]         Bien qu’aucune preuve n’ait été entendue lors des deux premières auditions, le juge Labelle s’était saisi de l’affaire dès le premier jour fixé pour le procès. L’acte d’accusation a été déposé et l’accusé, qui n’avait pas d’avocat, a plaidé non coupable devant lui. De plus, l’accusé se plaignait de certains problèmes dans la divulgation de la preuve. Le juge s’est saisi de ces questions. Au cours des deux auditions suivantes, le juge Labelle a également entendu et décidé deux demandes de remise en liberté en vertu de l’art. 523(2)(a) C.cr.

[78]         Dans les circonstances, la Cour supérieure a conclu que le juge Labelle avait agi comme « juge du procès » et non pas simplement comme juge de gestion d’instance désigné en vertu de l’art. 551.1 C.cr.[44]. En arrivant à cette conclusion, la Cour s’est exprimée ainsi :

Même si l’audition de la preuve n’a pas débutée, il est clair, à la lumière des arrêts Durrani et Passera et des autres décisions rendues par la Cour supérieure du Québec dans RuelRoy et Larouche que le procès du requérant a débuté puisque l’acte d’accusation a été déposé et que ce dernier a enregistré un plaidoyer de non‑culpabilité devant le juge des faits, en l’occurrence le juge Pierre E. Labelle de la Cour du Québec.

De plus, le juge Labelle, à titre de juge du procès, s’est saisi des demandes du requérant concernant la divulgation de la preuve[45].

[79]         L’approche énoncée dans Ruel serait actuellement minoritaire, dans la mesure où cette décision privilégiait une interprétation large du moment du début du procès, qui pouvait inclure les requêtes préliminaires. D’ailleurs, dans son ouvrage, le juge Vauclair lui‑même privilégie dorénavant l’interprétation stricte selon laquelle le procès n’est pas encore commencé à l’étape des requêtes préliminaires[46].

[80]         Ceci dit, comme le démontre l’affaire R. c. S.V., la Cour supérieure est tout de même encline à conclure qu’un procès est déjà entamé et ce, bien avant la présentation de la preuve au fond. Le contexte déterminera l’issue du litige. Le dépôt de l’acte d’accusation et l’enregistrement d’un plaidoyer seront toujours des facteurs pertinents à considérer.

[81]         Dans l’affaire R. v. Spicuglia, le juge de la cour provinciale de l’Ontario a jugé qu’il avait la compétence pour entendre l’examen de la détention, même si les parties n’étaient qu’au stade des requêtes préliminaires. Il était désigné pour entendre le procès au fond en janvier 2021. Entre‑temps, en novembre 2020, il a entendu une requête de type Garofoli pour contre‑interroger un affiant. De plus, une requête en exclusion de preuve devait être entendue en décembre 2020. Dans les circonstances, le juge considérait qu’il était saisi du dossier pour l’éventuel procès au fond. Le « procès » était donc déjà entamé[47].

[82]         Dans l’affaire R. c. D’Urso, le Tribunal a privilégié une approche beaucoup plus restrictive. Le juge de la Cour du Québec a décliné compétence pour entendre une demande de mise en liberté en vertu de l’art. 523(2)(a) C.cr. Au moment de la demande, le juge avait déjà été désigné juge de la gestion de l’instance en vertu de l’art. 551.1 C.cr. De plus, il avait déjà décidé certaines requêtes. D’autres étaient à venir[48]. Or, selon le juge, même s’il était désigné et même s’il entendait des requêtes préliminaires, il n’était pas le juge du procès au sens de l’art. 523(2)(a) C.cr., tant que la preuve au fond n’avait pas commencé.

[83]         La même approche a été adoptée dans l’affaire R. v. Mahmoud, un dossier impliquant une accusation de menaces poursuivie par voie sommaire. Même si l’accusé avait déjà comparu et plaidé non coupable, le Tribunal a conclu que l’art. 523(2)(a) C.cr. ne pouvait s’appliquer qu’au juge qui entendait le procès au fond, c’est‑à‑dire lorsque la preuve avait déjà commencé[49].

[84]         Aussi utiles que ces décisions puissent être, leur contexte fait en sorte qu’on ne saurait les appliquer intégralement à l’art. 475(1) C.cr.

[85]         D’abord, en 1985, le législateur a modifié le libellé de l’art. 523(2)(a) C.cr. Sa version antérieure prévoyait que la demande était présentable au juge « devant qui un prévenu subit ou va subir son procès ». Or, la formulation a été remplacée avec « le juge devant qui un prévenu subit son procès ». Ainsi, cet amendement démontrait la volonté claire du législateur de restreindre le concept du « début du procès » pour les fins du réexamen de la détention.

[86]         Un tel changement de texte est absent dans l’historique législatif de l’art. 475(1) C.cr. Qui plus est, comme le soulignent les auteurs dans le Traité général de preuve et de procédure pénales, dans le cadre d’un réexamen en vertu de l’art. 523(2)(a) C.cr., le juge du procès sera bien placé pour évaluer le changement de circonstances, notamment, en raison de la faiblesse apparente de la preuve entendue au procès[50]. Il est donc logique que le législateur ait voulu réserver ce pouvoir de réexamen aux juges devant lesquels le procès « au fond » est déjà entamé.

iii)   Aux fins du retrait d’admissions faites en vue du procès (art. 655 C.cr.)

[87]         Bien que le contexte soit certes différent, l’art. 655 C.cr. traite la question des « aveux au procès » (« admissions at trial »). Il prévoit que lorsque l’accusé subit son procès pour un acte criminel, il peut admettre tout fait allégué contre lui.

[88]         Selon la jurisprudence applicable, les ententes portant sur les admissions ne sont pas irrévocables[51]. Ceci dit, une admission formelle sur des questions de fait, dûment acceptée par la défense, ne peut être retirée au procès qu’avec la permission du Tribunal.

[89]         Quant aux admissions négociées et acceptées en vue du procès, mais avant la présentation de la preuve proprement dite, la question s’est posée de savoir si l’accusé maintenait un pouvoir absolu et unilatéral de les retirer, pourvu que le premier témoin n’ait pas été entendu.

[90]         C’était la situation dans l’arrêt R. v. Lapps. Dans cette affaire, l’accusé a subi trois procès[52] sur des accusations d’importation et de possession de cocaïne. La Couronne avait sollicité une admission formelle quant à l’admissibilité de registres de camionnage. Dans un échange de courriels qui a duré un mois, la question a été négociée entre les avocats. Finalement, dans un courriel, la défense a accepté de faire l’admission et de l’intégrer dans une déclaration commune des faits. Or, deux semaines plus tard, la défense a changé d’idée. Au procès, elle plaidait qu’aucune permission n’était requise pour retirer l’entente, puisque l’audition n’avait pas encore débuté. Le procès n’était donc pas « en cours ».

[91]         La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’argument, statuant plutôt que de telles admissions méritent le même traitement que les admissions déposées au cours du procès au fond :

The appellant argues that the trial judge erred in treating the agreement made before trial about the admission of the trucking logs as being governed by s. 655 of the Code which, he submits, only applies to agreements or admissions made at trial, not before. We do not agree that that distinction is operative in the circumstances of this case.

The agreement proposed by the Crown was to be used at a trial under s. 655. Once counsel agreed to it, the trial judge had a discretion to refuse permission to resile from an agreement that had been expressly made in anticipation of such use[53].

iv)   Aux fins de l’application de l’art. 650 C.cr. qui enchâsse le droit de l’accusé d’être présent « pendant tout le procès »

[92]         L’art. 650(1) C.cr. consacre le principe fondamental voulant que, sauf exception, l’accusé doit être présent au tribunal « pendant tout son procès ».

[93]         Selon la jurisprudence, ce droit s’étend à toute étape impliquant les intérêts vitaux de l’accusé[54]. Il va de soi que ces étapes essentielles du « procès » affectant ses intérêts vitaux englobent une panoplie de requêtes ayant lieu bien avant le début de la preuve testimoniale au fond.

[94]         Par ailleurs, les auditions servant uniquement à la fixation des dates de comparution ou de procès ne constituent pas une partie intégrante du procès aux fins de l’application de l’art. 650 C.cr.[55].

v)     Aux fins de l’application de l’art. 561 C.cr. qui permet à l’accusé de changer son choix quant au mode de procès

[95]         En vertu de l’art. 561(2) C.cr., un prévenu qui avait choisi d’être jugé par un juge de la cour provinciale peut, de manière unilatérale, choisir un autre mode de procès, pourvu que son nouveau choix soit fait « au plus tard 60 jours avant la date fixée pour son procès ».

[96]         L’interprétation de l’expression « date fixée pour son procès » a suscité de nombreux débats dans la jurisprudence. Ces mêmes décisions se sont penchées sur la question de savoir si le procès était déjà entamé au moment de la demande de réoption.

[97]         Dans l’affaire R. v. Brahaney, l’accusée a choisi un procès devant un juge de la cour provinciale. Elle a plaidé non coupable. Lors d’une audition pro forma en octobre 2015, des dates ont été fixées en décembre 2015 pour une requête en séparation des chefs d’accusation (art. 591(3) C.cr.), ainsi que 10 jours pour le procès éventuel « au fond » en juillet 2016.

[98]         Le juge Paciocco (siégeant alors à la Cour provinciale de l’Ontario) a entendu la requête relative aux chefs d’accusation le 21 décembre 2015, rendant sa décision le 29 février 2016. Or, quelques mois plus tard, en juin 2016, l’accusée a annoncé son désir de réopter et changer son mode de procès. La Couronne s’y opposait, plaidant que le « procès » était déjà entamé, de sorte que son consentement était requis pour une réoption. Pour sa part, la défense soutenait que la requête en séparation des chefs d’accusation n’était qu’une « requête avant‑procès » [« pre‑trial motion »], qui ne faisait pas partie du procès proprement dit. Elle se disait donc en droit de réopter sans le consentement du poursuivant.

[99]         Le juge a d’abord observé que le titre que l’on donne aux requêtes importe peu, que ce soit une requête « préliminaire » ou une requête « avant‑procès ». Ce jargon juridique n’entraîne pas de conséquences procédurales concrètes[56]. La difficulté d’interprétation découle du fait que de nombreuses étapes doivent être accomplies et de nombreuses décisions doivent être prises avant le dénouement ultime du dossier[57] 

[100]      Notamment, il existe plusieurs étapes dites « administratives » qui, selon le juge Paciocco, ne sont pas considérées comme faisant partie du « procès », par exemple :

         Les auditions pro forma;

         Les conférences de gestion en cabinet;

         Les requêtes pour remise et désassignation[58].

[101]      Au même effet, selon le juge, le simple fait de plaider non coupable devant un juge ne constitue pas le début du procès[59]. À l’autre extrême, si une preuve testimoniale est présentée, le procès sera incontestablement amorcé[60].

[102]      Entre les deux pôles, on retrouve toutes les requêtes présentées ou décidées avant le volet testimonial du procès. Certaines ont déjà été jugées comme ne faisant pas partie du procès, puisqu’elles ne portaient pas sur l’admissibilité de la preuve; elles étaient donc « simplement procédurales »[61]. À l’inverse, les requêtes portant sur l’admissibilité de la preuve font clairement partie du procès[62]. Sans constituer une règle immuable, lorsqu’une requête ne nécessite pas la présentation d’une preuve pour la trancher, le procès ne sera pas entamé[63].

[103]      Le juge Paciocco devait donc décider si le fait d’entendre une requête en séparation des chefs (art. 591(3) C.cr.) devait être considéré purement procédural ou comme faisant partie du « procès ». Il a d’abord considéré que les décisions ayant une incidence sur la conduite substantive du procès, ou encore sur la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence, seront généralement considérées comme faisant partie du procès. La centralité ou importance de la question est donc un critère[64].

[104]      Il est également pertinent de considérer si un juge s’est « saisi » du dossier au moment de la requête préliminaire, peu importe sa nature. Dans le cas de Brahaney, le juge Paciocco s’était effectivement saisi du dossier entier, dès la première requête.

[105]      Au terme de son analyse, le juge a conclu qu’une requête en séparation des chefs a une grande incidence sur la conduite substantive du procès et ce, même si elle n’affecte pas directement la culpabilité ou l’innocence. Une telle requête est plus que simplement administrative; elle vise à assurer l’intégrité du processus, la cohérence des verdicts et le caractère équitable du procès[65]. Le procès avait donc débuté au moment de la requête en séparation des chefs[66].

[106]      Des questions semblables ont été étudiées dans R. v. G.H. Dans cette affaire impliquant des accusations en vertu de la L.s.j.p.a., le prévenu mineur n’avait pas encore enregistré un plaidoyer[67]. Malgré tout, la juge de la cour provinciale avait déjà entendu une requête pour communication de dossiers (art. 278.3 C.cr.), ainsi qu’une requête contestée pour le télétémoignage d’un témoin à l’étranger (art. 714.2 C.cr.). Une prochaine date était fixée pour le début de la preuve de la poursuite au fond.

[107]      Or, 61 jours avant ladite date, le prévenu a tenté de réopter pour un procès devant jury. La juge devait donc décider si le « procès » avait déjà débuté.

[108]      Dans son analyse, après avoir survolé de nombreuses décisions, la juge Magotiaux a jugé que la présence d’un plaidoyer de culpabilité, bien qu’indéniablement importante, n’est pas déterminante à la question. Dans certaines circonstances, le procès sera considéré comme entamé même avant l’enregistrement du plaidoyer[68]. Bien qu’en obiter, la juge s’est dite d’avis que les requêtes pour ordonnance de non‑publication et les requêtes en déclaration d’inhabileté des avocats sont plutôt administratives; celles‑ci ne marquent donc pas le début du procès[69]. Quant aux requêtes en séparation des chefs d’accusation (art. 591(3) C.cr.), celles‑ci font partie du procès[70].

[109]      Dans le cas de G.H., la juge a considéré que la requête relative à la communication des dossiers était de nature substantive. Elle impliquait un nombre important de documents et de plaignantes, elle était intimement liée à la question ultime de l’innocence ou de la culpabilité et les parties s’attendaient à ce qu’elle soit tranchée par la même juge qui entendrait le procès au fond. La juge Magotiaux avait d’ailleurs été saisie de l’affaire dès le début de la requête[71]. Le procès avait donc débuté dès la présentation de la première requête.

[110]      Dans l’affaire R. v. Vella, après quelques conférences de gestion en cabinet, le procès de l’accusé a été fixé au 5 novembre 2019. Le matin du procès, avant que l’accusé n’ait enregistré son plaidoyer, son avocat s’est retiré du dossier pour des raisons déontologiques à la suite d’un incident survenu la veille. Le procès a donc été remis au mois d’octobre 2020. Entre‑temps, au printemps 2020, l’accusé a tenté de réopter pour un procès devant la Cour supérieure avec enquête préliminaire. La Couronne s’y opposait, notamment en plaidant que le procès avait déjà débuté en cour provinciale et que son consentement était donc requis.

[111]      Le juge Burstein a donné raison à la poursuite. Dans son analyse, il a d’abord reconnu que rien de substantif n’avait eu lieu le 5 novembre 2019. Le juge n’était pas saisi de l’affaire non plus. En temps normal, une simple demande d’ajournement du procès, sans plus, n’aurait pas marqué le début du procès aux fins de l’art. 561(2) C.cr.[72]. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des circonstances et privilégiant une interprétation téléologique de la notion de « début du procès », le juge a conclu que le procès avait effectivement commencé le 5 novembre 2019. Entre autres, le juge a considéré que la demande d’ajournement a été formulée seulement le matin du procès, alors que les témoins de la poursuite étaient présents et le ministère public était prêt à procéder. De plus, il y avait eu plusieurs auditions pro forma en septembre 2019 pendant lesquelles l’accusé aurait pu exprimer un désir de réopter. Il n’avait rien soulevé de cette nature. Enfin, sans conclure que la mesure était dilatoire, le juge a considéré le fait que la remise a été provoquée par le fait que l’accusé était incapable de maintenir une relation professionnelle avec son avocat de l’époque[73].

[112]      Dans l’arrêt R. c. Leventis, la Cour supérieure était saisie d’un recours en mandamus relativement à une réoption faite selon l’art. 561 C.cr. à laquelle la Couronne avait consenti, mais que le juge de la Cour du Québec avait malgré tout refusée.

[113]      L’accusé avait été inculpé en 2012. En avril 2016, un juge de gestion d’instance a été désigné en Cour supérieure. Entre autres, l’audition d’une requête de type Jordan s’est terminée en mai 2017 et le juge l’a rejetée en juillet 2018. Par la suite, une demande d’arrêt des procédures (fondée sur une allégation d’abus de procédure) a été entendue en octobre 2017. Après ces requêtes, avec le consentement de la poursuite, l’accusé a exercé un nouveau choix, demandant un procès devant un juge de la cour provinciale. Or, le juge de la Cour du Québec désigné pour entendre le procès a conclu que le procès de l’accusé avait déjà commencé lors de l’audition des requêtes préliminaires par le juge de gestion en Cour supérieure, de sorte qu’il ne pouvait plus y avoir de changement de mode et ce, même avec l’accord de la poursuite.

[114]      Au stade du recours extraordinaire, la Cour supérieure devait donc définir le moment charnière dans le cadre de la gestion d’instance. La gestion de l’instance marquait‑elle le « début du procès » ou seulement le « début d’une première phase du procès »? Le procès débutait‑il avec la gestion de l’instance ou plutôt avec la constitution du jury, ou encore la présentation de la preuve au fond[74]?

[115]      La Cour s’est livrée à une analyse minutieuse des arts. 551.1 et 551.3 C.cr., énumérant les pouvoirs du juge responsable de la gestion d’instance. Ce faisant, elle a statué qu’un procès criminel pouvait se diviser en deux phases, soit celle qui précédait la présentation de la preuve sur le fond et celle pendant la présentation de la preuve[75].

[116]      En fin de compte, l’analyse était axée sur l’art. 561 C.cr. plutôt que sur la définition du « début du procès » comme tel. La Cour a tranché que l’on peut considérer que le procès débute avec la gestion de l’instance[76]. Toutefois, même si la gestion marque le début du procès, il demeure que le Code criminel reconnaît qu’un procès est composé de deux phases et l’art. 561 C.cr. n’interdit pas une réoption avant la deuxième phase, soit celle impliquant la présentation de la preuve au fond[77]. Cette décision est donc d’une utilité limitée à la résolution de la question en l’espèce.

vi)   Lorsque le prévenu s’esquive « au cours de » l’enquête préliminaire (art. 544 C.cr.)

[117]      La jurisprudence appliquant l’art. 544 C.cr. est hautement pertinente, car son libellé est presque identique à celui de l’art. 475(1) C.cr.

[118]      À l’art. 544(1)(b) C.cr., le législateur prévoit que lorsque le prévenu s’esquive au cours de son enquête préliminaire, le juge de paix peut la poursuivre ex parte.

[119]      Dans l’arrêt R. v. Plummer, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a statué que le simple fait que l’accusé ait été présent lors de la comparution suffira pour que l’art. 544 C.cr. reçoive application. Elle expliquait son raisonnement ainsi : une enquête préliminaire étant une conséquence obligatoire à la suite du choix d’un procès devant jury (à l’époque), les gestes posés à la suite de cette option sont réputés posés « au cours de l’enquête préliminaire » et ce, même avant qu’un témoin ne soit entendu[78]. Par conséquent, la disposition s’applique.

[120]      Dans cette affaire, au moment de la comparution, Plummer a choisi un procès devant jury en mai. Son enquête préliminaire a aussitôt été fixée pour le 26 juillet. Or, le matin de l’enquête préliminaire, le prévenu était absent. Avec la permission du Tribunal, son avocat s’est retiré du dossier et le juge a conclu que l’accusé s’esquivait. Il a donc procédé à l’audition des témoins ex parte. En appel, la défense reprochait au juge de première instance d’avoir procédé, plaidant que l’enquête préliminaire n’avait pas « débuté » au moment du choix du mode de procès. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’argument. Selon eux, il serait « déraisonnable et artificiel » d’exiger la présentation ou l’assermentation d’un témoin avant que l’article ne trouve application[79].

b)   L’interprétation de l’art. 475 C.cr.

[121]      Dans le Traité général de preuve et de procédure pénales, les auteurs mentionnent que pour que l’art. 475(1) C.cr. s’applique, il faut que l’accusé ait préalablement « comparu devant le tribunal »[80]. Au soutien de cette affirmation, ils citent l’arrêt R. v. Plummer, résumé ci‑dessus, qui adoptait l’approche minimaliste dans le cadre de l’enquête préliminaire. Ils réitèrent quelques phrases plus loin que « s’il a comparu et qu’il s’esquive », la Cour pourra procéder en son absence[81]. Le moment de la comparution et du choix serait donc assimilé au début du procès.

[122]      Dans l’arrêt R. c. Bolduc, la Cour d’appel du Québec était directement saisie de la question de l’interprétation du critère « au cours de son procès » au sens de l’art. 475(1) C.cr. Dans cette affaire, l’accusé et ses huit complices étaient inculpés de complot d’importation de stupéfiants. En décembre 1992, au terme d’une enquête préliminaire, ils ont tous été cités à procès et leur dossier a été fixé à l’ouverture du terme des assises criminelles en février 1993. Un mois plus tard, en mars 1993, les accusés ont réopté pour un procès devant juge seul, sans jury, conformément à l’art. 561(1)(a)(ii) C.cr. L’audition du procès au fond a été fixée au 18 octobre 1993.

[123]      Le matin en question, les accusés étaient devant le juge Trudel, un juge de la chambre criminelle de la Cour du Québec spécialement désigné pour entendre le procès. Tous les accusés étaient présents. La Couronne a alors suggéré que le juge tranche d’abord deux requêtes préliminaires[82] avant même le dépôt de l’acte d’accusation et l’enregistrement des plaidoyers des accusés. Après discussion, la Couronne a accepté de déposer d’emblée l’acte d’accusation, de façon à ce que le juge Trudel soit formellement saisi du dossier[83].

[124]      L’avocat de la défense a alors demandé d’enregistrer un plaidoyer de non‑culpabilité au nom de son client. Ne réalisant pas l’effet éventuel qu’aurait son objection, la Couronne s’est opposée au plaidoyer tant que la requête en disqualification de l’avocat n’aura pas été tranchée. Le juge s’est rendu à l’argument de la poursuite et il a refusé l’enregistrement du plaidoyer. En fin de compte, quatre jours plus tard, la première requête en inhabileté a été rejetée. Le 8 novembre 1993, les parties sont retournées devant le juge. Or, Bolduc était absent.

[125]      La Couronne a donc invoqué l’art. 475(1) C.cr. et a demandé au juge de procéder ex parte. La défense s’y objectait, soutenant que le procès n’était pas encore commencé; par conséquent, il n’était pas « en cours ». Le juge de première instance a conclu que le procès était effectivement commencé depuis le 18 octobre 1993 et ce, même si les accusés n’avaient pas enregistré de plaidoyer et même si l’audition de la preuve n’avait pas encore débuté. Le juge de la Cour supérieure entendant le recours extraordinaire était d’accord.

[126]      La Cour d’appel a rejeté l’appel, confirmant que le procès avait bel et bien débuté. Bien que l’enregistrement du plaidoyer fût certes un critère important, son absence n’était pas fatale, notamment parce que l’acte d’accusation avait été lu et déposé en présence de l’accusé et en présence du juge désigné pour entendre le procès. Citant l’arrêt R. c. Chabot de la Cour suprême[84], la Cour a reconnu l’importance singulière de l’acte d’accusation, dont le dépôt « marque le début du procès »[85]. Dans les circonstances, la Cour a conclu que le 18 octobre 1993 marquait le début du procès[86].

[127]      Dans sa décision, la Cour d’appel a pris soin de préciser que le qualificatif « juge du procès » importe peu. Le contexte est plus important que le titre que l’on attribue au juge. Par ailleurs, un juge peut fort bien être le « juge du procès » sans pour autant que le procès ne soit commencé[87].

[128]      Dans l’affaire R. v. Cox, l’accusée était inculpée d’importation de cocaïne. Une première condamnation avait été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario. Lors d’une conférence de gestion devant la juge Durno en Cour supérieure en prévision du deuxième procès, l’accusée a annoncé une requête contestant la compétence du Tribunal. Cette requête a été entendue et rejetée par le juge Miller de la Cour supérieure. Un mois plus tard devait se dérouler son procès au fond, devant un juge de la Cour supérieure siégeant sans jury, soit le juge André.

[129]      Or, en raison du comportement perturbateur de l’accusée, celle‑ci a été expulsée de la salle d’audience. Plutôt que de se calmer pour pouvoir assister au procès, en guise de protestation, elle a quitté le palais de justice et un mandat d’arrestation a été émis contre elle. En fin de compte, à la suite de nombreux efforts infructueux par la police pour la localiser, la Couronne a demandé de procéder ex parte en vertu de l’art. 475(1) C.cr.

[130]      Le juge André devait donc déterminer si le procès était déjà entamé. Selon lui, le procès avait commencé, même si l’acte d’accusation n’avait pas été déposé et même si l’accusée n’avait pas enregistré son plaidoyer. La requête préliminaire portant sur la compétence de la Cour, entendue par le juge antérieur, aurait pu être déterminante à l’issue du litige. Elle marquait donc le début du procès, même si aucun témoin n’était présent et aucune preuve n’avait été présentée. Ce fait était suffisant pour satisfaire le deuxième critère de l’art. 475(1) C.cr.[88].

[131]      Le dossier dans l’arrêt R. v. Stacey présente certaines similitudes avec le cas de Douiri. Dans cette affaire, l’accusé était inculpé de fraude. Après quelques auditions pro forma, le 2 juillet 1997, l’accusé s’est présenté avec un avocat de l’aide juridique. En présence de l’accusé, l’avocat a mentionné que la défense choisissait un procès devant la cour provinciale et enregistrait un plaidoyer de non‑culpabilité. Dès lors, la date de procès a été fixée au 19 novembre 1997. Il est à noter que le juge n’a pas endossé la dénonciation pour y inscrire le plaidoyer ou l’option quant au mode de procès.

[132]      Le matin du procès, l’accusé était absent et l’avocat s’est retiré du dossier. Selon les recherches policières, l’accusé avait quitté Terre‑Neuve en octobre pour s’installer en Alberta. À la demande de la poursuite, le juge du procès a procédé ex parte en vertu de l’art. 475(1) C.cr.

[133]      La Cour d’appel de Terre‑Neuve a infirmé la condamnation. Selon elle, l’accusé s’était absenté à la date fixée pour la tenue de son procès, et non pas « au cours de son procès », qui n’était pas encore entamé[89]. En arrivant à cette conclusion, la Cour d’appel a considéré que, selon elle, le choix et le plaidoyer du 2 juillet 1997 étaient problématiques, puisque le texte de l’art. 536(2) C.cr. n’avait pas été lu à voix haute en présence du prévenu en salle d’audience[90]. À cela s’ajoutait le fait que le juge n’avait pas endossé la dénonciation. Malgré ces lacunes, la Cour était prête à inférer qu’il y avait eu renonciation valide à la lecture de l’avis[91].

[134]      Ceci dit, malgré la validité présumée du choix, la Cour d’appel était d’avis que le procès n’avait pas immédiatement débuté. Au contraire, tout au plus, conformément à l’art. 536(3)(b) C.cr., le juge a « fixé la date pour le procès », qui se tiendrait à une date ultérieure convenue entre les parties. De toute évidence, les 12 témoins de la Couronne n’étaient pas prêts à témoigner le 2 juillet 1997.

[135]      Enfin, dans l’affaire R. c. Elsayed, avec sa rigueur habituelle, le juge Mascia a procédé à un résumé exhaustif de la jurisprudence applicable. L’accusé était inculpé de cinq chefs d’agression sexuelle. Son enquête préliminaire s’était tenue en juillet 2017 et son procès était fixé au 14 mai 2018 pour une durée de cinq jours. Un mois avant son procès, il a demandé une remise du procès, invoquant ses difficultés financières et professionnelles. Incapable de trouver un emploi au Canada, il espérait travailler à l’étranger pendant quelques mois afin de lui permettre de mieux préparer son procès. La remise a été accordée et son procès a été fixé à la semaine du 25 février 2019.

[136]      Or, le 1er février 2019, l’accusé a demandé une autre remise, invoquant des motifs d’ordre médical. Lors de l’audition, il était absent, mais représenté par un avocat. À la lecture du billet médical provenant de Dubaï[92], le juge Mascia a refusé d’accorder la remise.

[137]      Finalement, trois jours avant le procès au fond, l’avocat de la défense a avisé le juge que l’accusé ne se présenterait pas pour son procès. Il demeurerait à Dubaï. Le matin du procès, l’accusé était bel et bien absent. L’avocat s’est retiré du dossier.

[138]      C’est dans ces circonstances que le juge a accordé la demande de la Couronne de procéder ex parte en vertu de l’art. 475(1) C.cr. Même si l’acte d’accusation n’avait pas été déposé et même si un plaidoyer de non‑culpabilité n’avait pas été enregistré[93], le juge a privilégié une interprétation large de la notion « au cours du procès ». Compte tenu de l’historique particulier des procédures, il a statué que le procès avait débuté le 1er février 2019, lorsque la demande de remise a été présentée – et rejetée – trois semaines avant le procès[94]. À cette étape, même s’il était physiquement absent, l’accusé était dûment représenté par son avocat[95].

[139]      L’étape de la demande de remise était assimilable à une requête préliminaire et ce, même si aucun juge de gestion de l’instance n’avait été désigné en vertu de l’art. 551.1 C.cr.[96]. D’ailleurs, la demande de remise avait été référée au juge Mascia parce qu’il avait été désigné pour entendre le procès éventuel[97].

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