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samedi 24 mai 2025

Le droit applicable en matière d’infractions « incluses »

R. c. G.R., 2005 CSC 45

Lien vers la décision


2                                   Pour que le procès soit équitable, il est essentiel que l’accusé connaisse l’accusation ou les accusations qu’il doit repousser.  L’accent doit être mis sur ce que le ministère public allègue et non sur ce que l’accusé sait déjà.  Un accusé connaît souvent mieux que la police ou le ministère public les circonstances d’une infraction, mais cela n’est pas suffisant pour que le ministère public dise à l’accusé : « vous savez parfaitement ce dont vous êtes coupable ».  Notre droit criminel repose sur le principe selon lequel l’accusé n’a qu’à repousser l’accusation portée par la poursuite.  En l’espèce, l’accusation portée contre l’intimé ne mentionnait pas l’absence de consentement (ou l’âge de sa fille).

3                                   À moins de connaître l’ampleur exacte du risque que son client court sur le plan juridique et tant qu’il ne la connaît pas, l’avocat de la défense ne peut lui donner des conseils éclairés sur la préparation de sa défense, la stratégie à adopter au procès ou un éventuel plaidoyer de culpabilité.  Après un acquittement, le ministère public doit aussi être en mesure de savoir avec certitude quelles autres accusations peuvent être portées, le cas échéant, sans se voir opposer l’autrefois acquit ou l’autrefois convict comme moyen de défense (art. 607 à 610 du Code) (voir, par exemple, R. c. Plank (1986), 1986 CanLII 4708 (ON CA), 28 C.C.C. (3d) 386 (C.A. Ont.)).  D’après ma collègue la juge Abella, ce qui peut être tenu pour une infraction incluse en l’espèce n’est pas nécessairement susceptible de l’être dans d’autres circonstances.  Selon ce point de vue, les « infractions incluses » varient selon les faits dont l’existence est établie à l’audience et selon la connaissance personnelle de chaque accusé.  J’estime, au contraire, que les exigences de l’autrefois acquit ou de l’autrefois convict commandent un fondement plus solide.  Le risque couru sur le plan juridique doit donc être facile à évaluer à la lecture de l’acte de procédure officiel.  Pour cela, il n’est pas souhaitable de chercher à déterminer (s’il est possible de le faire) l’état des connaissances personnelles d’un accusé déjà acquitté ou déclaré coupable.  En l’espèce, le ministère public a, pour une raison quelconque, omis d’accuser l’intimé d’agression sexuelle et de contacts sexuels sur un enfant de moins de quatorze ans, en même temps qu’il l’accusait d’inceste.  Il souhaite maintenant, à ce stade tardif, imputer à l’intimé ces infractions subsidiaires différentes uniquement en raison de son acquittement de l’accusation d’inceste qu’il a effectivement portée.

E.  Le droit applicable en matière d’infractions « incluses »


25                              Une infraction est « incluse » si ses éléments constitutifs sont compris dans l’infraction imputée (telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation) ou si le Code criminel la qualifie expressément d’infraction comprise ou incluse.  Le critère est strict : l’infraction doit « nécessairement » être comprise, comme l’affirmait le juge Martland dans l’arrêt Lafrance c. La Reine, 1973 CanLII 35 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 201, p. 214 :

 

. . . l’infraction créée par l’art. 281 [balade dans une voiture volée] n’est pas nécessairement comprise dans l’infraction de vol [. . .] et n’est pas comprise dans le chef d’accusation porté en la présente espèce.  [Je souligne.]

 

Ce qui n’est pas « nécessairement compris » est exclu.  Voir également Fergusson c. The Queen1961 CanLII 97 (SCC), [1962] R.C.S. 229, p. 233; Barton c. The King1928 CanLII 17 (SCC), [1929] R.C.S. 42, p. 46‑48.

 

26                              L’interprétation stricte de l’art. 662 est liée à l’exigence de notification raisonnable du risque couru sur le plan juridique, comme le juge Sheppard l’a souligné dans l’arrêt R. c. Manuel (1960), 1960 CanLII 522 (BC CA), 128 C.C.C. 383 (C.A.C.‑B.) :

 

[traduction]  De plus, pour constituer une infraction incluse, l’inclusion doit être une composante si claire et essentielle de l’infraction imputée que l’accusé qui lit le chef d’accusation sera, dans tous les cas, raisonnablement informé qu’il devra se défendre non seulement contre l’infraction reprochée, mais également contre les infractions précises qui seront incluses.  Une telle inclusion claire doit ressortir de la « disposition qui [. . .] crée » l’infraction ou de l’infraction « portée dans le chef d’accusation »; [le par. 662(1)] permet de tenir compte de l’une ou l’autre de ces situations, mais non de l’exposé initial de l’avocat ni de la preuve.  [Je souligne; p. 385.]

 


27                              Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontario a également insisté sur l’importance d’expliquer clairement à l’accusé l’ampleur exacte du risque qu’il court sur le plan juridique :

 

[traduction] L’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit contenir les éléments essentiels de l’infraction qualifiée d’incluse. . .

 

. . . l’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit être suffisante pour informer l’accusé des infractions incluses contre lesquelles il devra se défendre.  [Je souligne.]

 

(R. c. Simpson (No. 2) (1981), 1981 CanLII 3284 (ON CA), 58 C.C.C. (2d) 122 (C.A. Ont.), p. 133, autorisation de pourvoi refusée, [1981] 1 R.C.S. xiii; voir aussi R. c. Harmer and Miller (1976), 1976 CanLII 570 (ON CA), 33 C.C.C. (2d) 17 (C.A. Ont.), p. 19.)

 

28                              Les principes énoncés par le juge Martin dans les motifs de jugement encyclopédiques qu’il a rédigés dans l’affaire Simpson (No. 2) ont, depuis lors, été adoptés et appliqués partout au Canada, y compris par la Cour d’appel du Québec dans les arrêts R. c. Drolet (1988), 1988 CanLII 1354 (QC CA), 14 M.V.R. (2d) 50, conf. par 1990 CanLII 40 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1107, R. c. Allard (1990), 36 Q.A.C. 137, et R. c. Colburne1991 CanLII 3701 (QC CA), [1991] R.J.Q. 1199.  Voir aussi R. c. Morehouse (1982), 1982 CanLII 3702 (NB CA), 65 C.C.C. (2d) 231 (C.A.N.‑B.), autorisation de pourvoi refusée, [1982] 1 R.C.S. xi; R. c. Angevine (1984), 1983 CanLII 124 (CSC), 61 N.S.R. (2d) 263 (C.S., Div. app.); PlankR. c. Taylor (1991), 1991 CanLII 2610 (NS CA), 66 C.C.C. (3d) 262 (C.S.N.‑É., Div. app.); R. c. Webber (1995), 1995 CanLII 333 (BC CA), 102 C.C.C. (3d) 248 (C.A.C.‑B.); R. c. Rowley (1999), 1999 CanLII 3804 (ON CA), 140 C.C.C. (3d) 361 (C.A. Ont.); R. c. Beyo (2000), 2000 CanLII 5683 (ON CA), 144 C.C.C. (3d) 15 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi refusée, [2000] 2 R.C.S. vi.

 


29                              En common law, lorsqu’une infraction comportait plusieurs éléments constitutifs (« infraction divisible »), le jury pouvait déclarer une personne coupable de toute infraction [traduction] « dont les éléments constitutifs étaient compris dans l’infraction imputée, sous réserve de la règle selon laquelle le jury ne pouvait pas prononcer une déclaration de culpabilité d’infraction mineure lorsque l’acte d’accusation imputait un crime grave » (Simpson (No. 2), p. 132).  La loi écrite traite maintenant de cette question et l’art. 662 autorise les déclarations de culpabilité d’infractions « incluses » dans le cas seulement de trois catégories d’infractions :

 

a)   les infractions incluses par la loi comme, par exemple, celles qui sont mentionnées aux par. 662(2) à (6), et les tentatives de commettre une infraction, dont fait état l’art. 660;

 

b)   les infractions incluses dans la loi qui crée l’infraction imputée comme, par exemple, les voies de fait simples dans une accusation d’agression sexuelle;

 

c)   les infractions qui deviennent incluses par l’ajout de mots appropriés dans la description de l’accusation principale.

 

Aucune de ces catégories ne mentionne le « caractère suffisant » des détails factuels de l’affaire à l’origine de l’accusation.  Il s’agit là d’un sujet totalement différent dont traite l’art. 581 du Code.

 


30                              En ce qui concerne la nécessité d’une notification raisonnable, les infractions « incluses » relevant de la première catégorie peuvent être dégagées du Code criminel lui‑même; voir, par exemple, R. c. Wilmot[1940] R.C.S. 53.  Les cas relevant de la deuxième catégorie satisfont aussi au critère de notification raisonnable parce qu’[traduction] « un acte d’accusation imputant une infraction impute également toutes les infractions qui, en droit, sont nécessairement commises lorsqu’est commise l’infraction principale, telle qu’elle est décrite dans la loi qui la crée » (Harmer and Miller, p. 19 (je souligne)). Voir aussi : R. c. Quinton1947 CanLII 3 (SCC), [1947] R.C.S. 234, p. 240; R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (6e éd. (feuilles mobiles)), par. 6.4650; R. c. Lucas (1987), 1987 CanLII 497 (QC CA), 10 Q.A.C. 47; R. c. Lépine1992 CanLII 3729 (QC CA), [1993] R.J.Q. 88 (C.A.).

 

31                              En ce qui a trait à la deuxième catégorie, on peut dire que [traduction] « [s]i l’infraction imputée peut être commise intégralement sans que soit commise une autre infraction, cette autre infraction n’est pas incluse » (P. J. Gloin, « Included Offences » (1961‑62), 4 Crim. L.Q. 160, p. 160 (je souligne)).  La Cour d’appel du Manitoba a souscrit à cette proposition dans l’arrêt R. c. Carey (1972), 1972 CanLII 1410 (MB CA), 10 C.C.C. (2d) 330, p. 334, le juge en chef Freedman, comme l’ont fait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Simpson (No. 2), p. 139, le juge Martin, et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Colburne, p. 1206, où le juge Proulx a ajouté ce qui suit :

 

J’ajouterai, pour ma part, que sera incluse l’infraction dont les éléments essentiels sont partie de l’infraction imputée.  [En italique dans l’original.]

 

Il est évident qu’il est possible de commettre l’infraction d’inceste sans se livrer à une agression sexuelle ou à des contacts sexuels.

 


32                              C’est la troisième catégorie de cas qui est la plus susceptible de causer des difficultés.  Elle exige que les mots descriptifs de faits dans le chef d’accusation lui‑même informent l’accusé que, s’ils sont prouvés, ces faits pris avec les éléments de l’accusation révéleront la perpétration d’une infraction « incluse » (Allard).  Par exemple, dans l’affaire Tousignant c. The Queen (1960), 1960 CanLII 504 (QC CA), 33 C.R. 234 (B.R. Qué. (juridiction d’appel)), l’acte d’accusation reprochait à l’accusé d’avoir tenté de tuer la victime « en l[a] frappant sur la tête à l’aide d’un objet contondant » (p. 235 (je souligne)).  Les mots soulignés n’étaient pas essentiels à l’accusation de tentative de meurtre, mais leur inclusion a, de toute façon, permis de prononcer une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction moindre et (ainsi) incluse consistant à causer des lésions corporelles dans l’intention de blesser ou à commettre des voies de fait : voir Simpson (No. 2), p. 139.  De même, dans l’arrêt R. c. Kay[1958] O.J. No. 467 (QL) (C.A.), l’acte d’accusation faisait état d’un homicide involontaire coupable [traduction] « résultant d’un coup ou de coups ».  L’ajout de ces mots descriptifs dans l’acte d’accusation faisait état de l’allégation de voies de fait, et la déclaration de culpabilité de l’accusé relativement à l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles a été maintenue en appel.

 

33                              Les mots ajoutés doivent, bien sûr, avoir trait à l’infraction imputée.  Comme l’a écrit le juge Evans, dans l’arrêt Harmer and Miller :

 

[traduction]  . . . l’accusation doit être libellée de façon à notifier raisonnablement à l’accusé l’infraction ou les infractions que comprendrait l’infraction principale qui lui est reprochée.  De plus, l’infraction doit être incluse à juste titre dans le chef d’accusation.  [p. 19]

 

34                              La question en l’espèce est de savoir si le ministère public peut faire entrer l’infraction d’agression sexuelle ou celle de contacts sexuels, ou les deux à la fois, dans l’une ou l’autre des trois catégories d’infractions incluses.

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