R. c. Morin, 2024 QCCS 1092
[23] Le privilège du secret professionnel de l’avocat garantit de manière stricte la confidentialité d’une communication orale ou écrite : 1) entre un client et son avocat agissant es qualité; 2) qui a pour but d’obtenir ou de rendre un conseil juridique; 3) que le client considère confidentielle[25].
[24] Le secret professionnel ne s’attache pas uniquement aux communications par lesquelles les avocats fournissent des conseils juridiques à un client ou par lesquelles un client demande un conseil juridique à l’avocat. Le secret professionnel, étant un droit constitutionnel garanti[26], doit recevoir une interprétation large afin de couvrir toute communication entre l’avocat et le client qui fait partie du continuum de communications visant à obtenir l’information afin que les conseils juridiques puissent être obtenus et/ou rendus[27].
[25] Le privilège du secret professionnel assure la confiance du public dans l’administration de la justice et doit être aussi étanche que possible pour demeurer pertinent[28]. Toute communication, autant avec les conseillers internes qu’avec les conseillers externes, est protégée par le privilège du secret professionnel de l’avocat[29].
[26] Dans le cadre d’une enquête conduite par un avocat, sont protégées par le secret professionnel toutes les communications : 1) faites par le client ou ses représentants; 2) à un enquêteur interne ou externe retenu par les avocats; 3) pour que celui-ci collige et transmette des informations aux avocats; et 4) afin que ces derniers rendent des conseils juridiques au client[30].
[27] Le secret professionnel protège la communication dans son entièreté[31], s’attachant également aux pièces jointes de courriels et aux informations factuelles, financières et/ou administratives transmises par le client à l’avocat afin de permettre à ce dernier de le conseiller juridiquement[32].
[28] Dans les circonstances de l’espèce, toute information contenue dans ces neuf (9) échanges courriel s’inscrit dans le continuum de communications visant à tenir informés les conseillers juridiques internes et externes de SNC-Lavalin inc. afin que des conseils juridiques puissent être obtenus et rendus[33].
[29] Cette conclusion est appuyée par la présence de Me Fontaine, un avocat externe, qui démontre le besoin existant à l’époque pour des conseils juridiques spécialisés, ainsi que la mention « CONFIDENTIEL ET PRIVILÉGIÉ » sur plusieurs des communications, indiquant l’intention d’en maintenir la confidentialité[34].
[30] Les neuf (9) échanges de courriels sont donc protégés par le secret professionnel.
Le privilège relatif au litige
[31] Le privilège relatif au litige existe en dehors du cadre de la relation avocat-client[35]. L’objet du privilège relatif au litige est de fournir une « zone protégée » afin de faciliter l’enquête et la préparation d’un dossier en vue de l’instruction[36].
[32] Dans l’arrêt Lizotte, la Cour suprême du Canada a qualifié le privilège relatif au litige comme étant un privilège générique. Pour avoir recours à ce privilège, deux conditions doivent être satisfaites afin qu’un document ou une communication soit considéré prima facie inadmissible : 1) l’objet principal est la préparation d’un litige; et 2) le litige est en cours ou peut être raisonnablement appréhendé.[37]
[33] Bien que l’objet principal du document doive être la préparation du litige, le litige n’a pas à être le seul objet visé[38].
[34] En l’espèce, SNC-Lavalin inc. soutient que les deux conditions sont présentes pour invoquer le privilège relatif au litige. Au moment où la GRC l’informe de l’enquête sur les possibles incidents d’abus de confiance le 14 novembre 2013, un litige était raisonnablement appréhendé.
[35] Le Tribunal conclut que les neuf (9) échanges de courriel sont intervenus entre avocats, internes et/ou externes, et une employée de SNC-Lavalin inc. dans le contexte où un des principaux enjeux était en lien avec le risque de poursuites civiles et/ou criminelles et la préparation de celles-ci s’avéraient nécessaires[39].
[36] Les neuf (9) échanges de courriels sont donc protégés par le privilège relatif au litige.
Absence de renonciation aux privilèges légaux
[37] Une fois les conditions d’existence d’un privilège établies, le fardeau est reversé et il revient à la partie qui veut écarter ce privilège de démontrer que le privilège ne s’applique pas[40].
[38] Une renonciation aux privilèges légaux doit être clair et non-équivoque[41]. La renonciation ne se présume pas et le détenteur du privilège n’a pas à prouver l’absence de renonciation[42].
[39] Une renonciation au privilège peut être partielle. Cela signifie que la production d’un document privilégié d’un dossier n’emporte aucunement la renonciation automatique à tous les documents privilégiés de ce même dossier.
[40] SNC-Lavalin inc. soutient qu’elle n’a pas renoncé aux privilèges légaux qui s’appliquent « aux communications juridiques ou qui s’inscrivent dans un continuum des communications juridiques avec ses conseillers internes et/ou conseillers externes en lien avec le présent dossier ou l’enquête AGRAFE. » SNC-Lavalin inc. concède qu’elle y a uniquement eu renonciation au privilège de l’enquête interne « Case Watch » dont les documents ont été communiqués et divulgués[43].
[41] SNC-Lavalin inc. fait valoir que les neuf (9) courriels visés par la requête prédatent l’enquête interne « Case Watch »[44] et ne s’inscrivent donc pas dans le cadre de cette enquête ni font l’objet d’une renonciation.
[42] Par ailleurs, il n’y a pas d’exceptions aux privilèges applicables en l’espèce.
[43] Aucun avantage indu ni d’idée trompeuse n’est perpétué par la non-divulgation des neuf (9) échanges de courriel par SNC-Lavalin inc.[45]. De plus, il ne constitue pas une situation où ce dernier essaie de défendre sa conduite derrière ses conseils juridiques.
[44] L’exception de l’innocence de l’accusé n’est pas non plus engagée par ces communications privilégiées. Contrairement à ce que prétend l’accusé quant à l’existence d’une exception lorsque le droit d’un accusé à une défense pleine et entière est mis en cause[46], la Cour suprême du Canada rejette expressément une telle exception qui met en balance les intérêts[47]. Le cadre du privilège générique relatif au litige ne peut faire l’objet d’une mise en balance, ce qui le réduirait à un privilège au cas par cas. Le droit à une défense pleine et entière n’est pas équivalent à l’exception basée sur la démonstration de l’innocence de l'accusé.
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