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vendredi 6 juin 2025

Les principes de droit applicables à la faute criminelle et pénale

Fournier c. R., 2016 QCCS 5456



[30]        Depuis plus de trente années, le droit canadien relatif à la faute criminelle et pénale fait l'objet de plusieurs décisions importantes par la Cour suprême du Canada.

[31]        L'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés et la décision de la Cour suprême dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.)[10] déclenchent une réévaluation profonde de ces principes[11]

[32]        Dans le domaine de la négligence criminelle ou pénale, cette évolution donne lieu à des débats complexes, ce que reconnaît à plusieurs reprises la Cour suprême.

[33]        Dans l'arrêt R. c. Anderson[12], le juge Sopinka écrit ce qui suit :

En abordant la critique d'un jugement de première instance portant sur une accusation de négligence criminelle, on ne peut qu'avoir une profonde sympathie pour la situation difficile dans laquelle se trouve le juge du procès. Ce domaine du droit, tant ici que dans les autres pays de common law, s'est révélé l'un des plus difficiles et des plus incertains de tout le droit criminel[13]

[34]        Dans son analyse de ces défis, la juge Charron formule d'ailleurs l'observation suivante dans l'arrêt R. c. Beatty[14]:

Il n’est pas étonnant que, dans les années qui ont suivi [l'arrêt R. c. Vaillancourt], la mens rea requise pour certaines infractions criminelles fondées sur la négligence ait beaucoup retenu l’attention des tribunaux. Même lorsque la constitutionnalité de la mesure législative n’était pas contestée, les éléments constitutifs de l’infraction se voyaient maintenant interprétés à la lumière d’exigences constitutionnelles minimales.

[35]        Dans le panorama qu'elle trace dans l'arrêt Beatty, la juge Charron reconnaît les difficultés que l'application de certaines décisions de la Cour suprême, parfois ardues à réconcilier, pose aux tribunaux de première instance et elle constate une grande incertitude dans la jurisprudence à l'égard de certaines de ces questions[15].

[36]        Les questions soulevées par l'accusé s'inscrivent dans cette trame évolutive de la jurisprudence canadienne à l'égard des exigences en matière de faute pour les infractions de négligence ainsi que celles d'homicide involontaire coupable. 

[37]        La manière dont les parties abordent ces questions reflète ainsi les incertitudes qui persistent toujours dans l'application de la notion d'acte illégal à l'infraction d'homicide involontaire coupable, la norme de faute qui doit être prouvée par la poursuite et le fardeau qui lui incombe.

[38]        Avant d'analyser les rares décisions qui existent à ce sujet, il convient de résumer les éléments essentiels de l'infraction d'homicide involontaire coupable.

[39]        Dans l'arrêt R. c. Charbonneau[16], une décision récente de la Cour d'appel, le juge Claude Gagnon brosse un portrait général des éléments essentiels de l'homicide involontaire coupable commis au moyen d'un acte illégal ou par négligence criminelle :

[59]      Les tribunaux canadiens ont souvent été appelés à interpréter les alinéas 222(5) a) et b) C.cr. et à définir, en fonction des exigences constitutionnelles, les composantes essentielles de l’homicide coupable commis au moyen d’un acte illégal ou par négligence criminelle.

[60]      C’est ainsi qu’il est désormais reconnu que l’homicide coupable découlant d’un acte illégal exige la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments suivants : (1) une conduite qui constitue un acte illégal, (2) l’acte illégal a causé la mort d’un être humain, (3) l’acte illégal ne constitue pas une infraction de responsabilité absolue, (4) l’acte illégal est objectivement dangereux, (5) l’intention criminelle requise pour l’acte illégal sous-jacent et (6) la prévisibilité subjective de la mort ou de lésions corporelles que le délinquant sait de nature à causer la mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non dans le cas d’une accusation de meurtre ou la prévisibilité objective de lésions corporelles en ce qui concerne une accusation d’homicide involontaire coupable.

[61]      Le mode de perpétration de l’homicide coupable prévu par l’alinéa 222(5)b) C.cr. peut apparaître superfétatoire puisque l’article 219 C.cr. fait de la négligence criminelle un acte illégal pour lequel l’alinéa 222(5)a) C.cr. pourrait trouver application. De plus, l’article 220 C.cr. prévoit spécifiquement la sanction réservée à celui qui cause la mort par négligence criminelle.

[62]      Cela dit, causer la mort par négligence criminelle (art. 219 C.cr.) nécessite la preuve (1) d’un comportement (un acte ou une omission de faire quelque chose qu’il est de son devoir légal d’accomplir) qui cause la mort d’un être humain et (2) le comportement fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui. La mens rea de l’infraction est établie par la preuve que le comportement en cause constitue un écart marqué et important par rapport à la norme de prudence que respecterait une personne raisonnablement prudente placée dans des circonstances où l’accusé a, soit eu conscience du risque grave et évident sans pour autant l’écarter, soit ne lui a accordé aucune attention.

[63]      Dans R. v. M.R., le juge O’Connor souligne les composantes communes à l’homicide involontaire coupable commis en posant un acte illégal et à l’infraction de causer la mort par négligence criminelle, notamment en ce qui concerne l’état d’esprit blâmable :

[31]      An additional question concerns what mental element is required to establish liability as a principal offender for criminal negligence causing death as related to the consequence of the criminally negligent act : the death. In R. v. Creighton, at pp. 41-45, the majority of the Supreme Court of Canada dealt with this issue in relation to a charge of unlawful act manslaughter. The court held that the test is objective foreseeability of the risk of bodily harm which is neither trivial nor transitory. As stated by McLachlin J., at p. 75, the question is “whether the reasonable person in all the circumstances would have foreseen the risk of bodily harm”. I see no reason why the reasoning in Creighton on this issue should not apply equally to the offence of criminal negligence causing death. The offences of unlawful act manslaughter and criminal negligence causing death have much in common. Importantly, for present purposes, both involve a dangerous or unlawful act that causes death. From both a logical and policy standpoint, it makes sense that the mental element relating to the consequence of the offending conduct be the same for both offences.

[Je souligne]

[64]      Quelques années plus tard, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, sous la plume de la juge Neilson, adopte également le point de vue selon lequel l’homicide involontaire commis selon le mode prévu par l’alinéa 222(5)b) C.cr. exige la prévisibilité objective de lésions corporelles qui ne sont pas sans importance ni de nature passagère :

[36]      I agree with the Crown that the judge’s reference to « a risk of bodily harm » instead of « a risk to life and safety » appears to originate from R. v. Creighton1993 CanLII 61 (CSC)[1993] 3 S.C.R. 3 at 41-57. That case dealt with a charge of unlawful act manslaughter, McLachlin J., writing for the majority, held that the test for mens rea did not require foreseeability of the risk of death, but was met by objective foreseeability of the risk of bodily harm which is neither trivial nor transitory. It is reasonable to assume the same test will apply in manslaughter rooted in criminal negligence and, by analogy, to criminal negligence causing death. Indeed, this was the result reached by the Ontario Court of Appeal in R. v. M.R.2011 ONCA 190 at para. 31.

[Les appels de notes sont omis]

[40]        Comme on le constate, le juge Gagnon adopte la conclusion du juge O'Connor dans M.R. selon laquelle les caractéristiques communes de l’homicide involontaire coupable commis en posant un acte illégal et l’infraction de causer la mort par négligence criminelle exigent l'adoption de la même norme de faute[17].

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