R. c. Anderson, 2014 CSC 41
[57] Selon l’arrêt Krieger, la deuxième catégorie de décisions du ministère public susceptibles de contrôle judiciaire a trait « à la stratégie ou à la conduite du procureur du ministère public devant le tribunal » : par. 47. Comme la Cour l’affirme dans Krieger, « [c]es décisions relèvent [. . .] de la compétence inhérente du tribunal de contrôler sa propre procédure une fois que le procureur général a choisi de se présenter devant lui » (par. 47).
[58] Une cour supérieure possède la compétence inhérente de veiller au bon fonctionnement des rouages de la cour : R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 18; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, par. 26. De même, afin d’exercer sa fonction judiciaire, un tribunal d’origine législative possède des pouvoirs inhérents qui découlent du pouvoir de la cour de maîtriser sa propre procédure : Cunningham, par. 18. Cette compétence comprend le pouvoir de sanctionner les avocats qui font fi des décisions ou des ordonnances, ou qui affichent un comportement inacceptable, par exemple des retards, l’incivilité, le contre-interrogatoire abusif, un exposé introductif ou une plaidoirie finale inopportuns, ou une entorse au code vestimentaire. Les sanctions peuvent inclure l’ordonnance de se conformer, l’ajournement, la prorogation de délai, la mise en garde, la condamnation aux dépens, le rejet de demandes et les procédures d’outrage au tribunal.
[59] Bien que la déférence ne s’impose pas envers les avocats qui se comportent de façon inopportune dans la salle d’audience, notre système accusatoire fait effectivement preuve d’une grande retenue envers les décisions tactiques des avocats. Autrement dit, bien que les tribunaux puissent sanctionner la conduite des parties au litige, ils doivent généralement s’abstenir de s’immiscer dans la conduite du litige en tant que tel. Dans R. c. S.G.T., 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688, par. 36-37, notre Cour explique pourquoi les juges doivent être très prudents avant de s’immiscer dans des décisions tactiques :
Dans un système de justice criminelle accusatoire, les juges instruisant les procès doivent, à moins de circonstances exceptionnelles, déférer aux décisions tactiques des avocats [. . .] [L]’avocat sera habituellement mieux placé que le juge du procès pour apprécier l’opportunité d’une décision tactique particulière en fonction de sa stratégie globale. Le juge du procès, lui, doit agir en arbitre impartial du litige dont il est saisi; plus un juge remet en question ou annule les décisions d’un avocat, plus il risque de s’écarter, en apparence ou dans les faits, de son rôle d’arbitre neutre et de devenir l’avocat de l’une des parties. . .
Il en résulte que le juge du procès devrait rarement décider de son propre chef de remettre en question les décisions tactiques d’un avocat, et encore moins être tenu de le faire. Bien sûr, il doit toujours « s’assure[r] que le procès reste équitable et se déroule conformément aux lois pertinentes et aux principes de justice fondamentale » : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 68.
[60] Le procureur du ministère public a le droit d’avoir une stratégie de procès et de la modifier en cours de route, pourvu que la modification n’entraîne aucune iniquité pour l’accusé : Jolivet, par. 21. De même, comme notre Cour l’a affirmé récemment dans R. c. Auclair, 2014 CSC 6, [2014] 1 R.C.S. 83, un juge peut exceptionnellement passer outre à une décision stratégique du ministère public afin d’empêcher une violation de la Charte.
[61] Enfin, comme pour toute prise de décision du ministère public, les stratégies ou la conduite dans la salle d’audience peuvent équivaloir à un abus de procédure, mais l’abus de procédure n’est pas une condition préalable à l’intervention du juge comme c’est le cas pour les décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.
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