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jeudi 31 juillet 2025

Rappel des éléments pertinents du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan relativement au droit d’un inculpé « d’être jugé dans un délai raisonnable »

M.G. c. R., 2019 QCCA 1170

Lien vers la décision


[72]        Il convient de rappeler brièvement les éléments pertinents du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Jordan relativement au droit d’un inculpé « d’être jugé dans un délai raisonnable, to be tried within a reasonable time » garanti par l’al. 11b) de la Charte.

[73]        Pour une affaire instruite devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire, un plafond de 30 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle et anticipée du procès, moins les délais imputables à la défense, est établi, au-delà duquel le délai est présumé déraisonnable. À moins que la poursuite ne démontre la présence de circonstances exceptionnelles, un arrêt des procédures doit être ordonné[32].

[74]        Si le délai est en-deçà du plafond de 30 mois, la défense a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable du délai[33].

[75]        Dans le calcul du délai net, la Cour suprême précise que le délai imputable à la défense comprend (1) le délai que la défense renonce à invoquer et (2) le délai qui résulte uniquement de la conduite de la défense[34]. « La renonciation peut être implicite ou explicite, mais elle doit être claire et sans équivoque »[35]. Le second volet concerne le délai causé par des demandes dilatoires ou lorsque la défense cause directement le délai alors que le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder[36]. Toutefois, « le temps nécessaire pour traiter les mesures prises légitimement par la défense afin de répondre aux accusations portées contre elle est exclu du délai qui lui est imputable »[37], ce qui inclut le temps raisonnable de préparation au début des procédures et les demandes non frivoles. Les délais qui en résultent sont déjà compris dans le plafond[38].

[76]        Si le délai net dépasse le plafond, le ministère public peut faire valoir que des événements distincts et exceptionnels qui surviennent au procès et qui sont hors de son contrôle justifient le dépassement du plafond[39]. À titre d’exemple, la Cour explique :

[…] En outre, si le procès a été plus long que ce à quoi on pouvait raison­nablement s’attendre — même lorsque les parties ont fait des efforts de bonne foi pour établir des es­timations de temps réalistes —, le délai était vrai­semblablement inévitable et est donc susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle.[40]

(…) In addition, if the trial goes longer than reasonably expected – even where the parties have made a good faith effort to establish realistic time estimates – then it is likely the delay was unavoidable and may therefore amount to an exceptional circumstance.

[77]        Ce nouveau cadre d’analyse s’applique aux affaires déjà en cours lors du prononcé de l’arrêt Jordan[41].

[78]        Pour les affaires ayant débuté avant le prononcé de l’arrêt Jordan, la Cour suprême prévoit toutefois l’application d’une mesure exceptionnelle transitoire. Cette mesure requiert d’appliquer « un examen contextuel, eu égard à la manière dont l’ancien cadre d’analyse a été appliqué »[42]. La Cour justifie cette mesure par la nécessité d’appliquer le nouveau cadre d’analyse « selon le contexte et avec souplesse aux affaires déjà en cours » puisqu’il serait « [injuste] de juger rigoureusement les participants au système de justice criminelle au regard de normes dont ils n’avaient pas connaissance »[43]. Une telle approche contextuelle vise notamment à éviter une vague d’arrêts de procédures et d’acquittements comme ce fut le cas après le prononcé de l’arrêt Askov[44].

[79]        Si le délai net est inférieur au plafond, il est difficile pour la défense de renverser la présomption que le délai est néanmoins acceptable malgré l’application de la mesure transitoire en raison des délais institutionnels prévalant avant Jordan[45].

[80]        Lorsque le délai net excède le plafond, la mesure transitoire exceptionnelle peut s’appliquer dans deux situations: (1) si les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable; ou (2) si la cause est moyennement complexe dans une région confrontée à des problèmes de délais institutionnels importants[46].

[81]        En l’espèce, l’affaire est relativement simple, ce qui milite contre l’application de la seconde exception concernant les affaires moyennement complexes. Mais qu’en est-il de l’application de la mesure transitoire lorsque le ministère public démontre que le délai « est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable? »[47].

[82]        À cette étape, les facteurs d’analyse sous l’arrêt Morin demeurent pertinents. Dans l’arrêt Cody, la Cour suprême reformule ainsi cette étape de l’analyse de la mesure transitoire :

Autrement dit, il est permis au ministère public de démontrer qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir pris de mesures additionnelles, étant donné que le délai lui apparaissant raisonnable eu égard à sa compréhension du droit avant Jordan et à la manière dont ce délai et d’autres facteurs tels la gravité de l’infraction et le préjudice étaient évalués suivant l’arrêt Morin.[48].

Put another way, the Crown may show that it cannot be faulted for failing to take further steps, because it would have understood the delay to be reasonable given its expectations prior to Jordan and the way delay and the other factors such as the seriousness of the offence and prejudice would have been assessed under Morin.

[83]        Le préjudice réel subi par l’accusé et la gravité de l’infraction conservent ainsi une certaine pertinence. Puisqu’ils « ont souvent joué un rôle décisif » dans l’ancien cadre d’analyse, ils « peuvent donc aider à déterminer si les parties se sont raisonnablement fondées sur l’état antérieur du droit »[49]. Ces facteurs ne permettent pas en soi de décider d’appliquer ou non la mesure transitoire, mais bien uniquement de déterminer si les parties s’étaient fondées sur l’état antérieur du droit.

[84]        Dans l’arrêt Williamson, la Cour suprême met en garde contre une prise en compte trop importante de la gravité de l’infraction, puisque « le droit garanti à une personne d’être jugée dans un délai raisonnable ne peut être restreint uniquement sur le fondement de la nature des accusations portées contre elle »[50]. Toutefois, dans l’arrêt Cody, elle nuance ces propos :

La décision de notre Cour dans R. c. Williamson ne doit pas être considérée comme ayant pour effet d’écarter le rôle important que jouent la gravité de l’infraction et le préjudice subi dans l’application de la mesure transitoire exceptionnelle. Les faits en cause dans Williamson étaient inusités, en ce qu’il s’agissait d’une affaire simple, où les efforts répétés de l’accusé pour accélérer l’instance contrastaient avec l’indifférence manifestée par le ministère public (par. 2629). En conséquence, malgré la gravité de l’infraction et l’absence de préjudice, le délai supérieur au plafond ne pouvait être justifié en appliquant la mesure transitoire exceptionnelle.[51]

 

[Renvois omis]

 

This Court’s decision in R. v. Williamson2016 SCC 28, [2016] 1 S.C.R. 741, should not be read as discounting the important role that the seriousness of the offence and prejudice play under the transitional exceptional circumstance. The facts of Williamson were unusual, in that it involved a straightforward case and an accused person who made repeated efforts to expedite the proceedings, which efforts stood in contrast with the Crown’s indifference (paras. 26-29). Therefore, despite the seriousness of the offence and the absence of prejudice, the delay exceeding the ceiling could not be justified under the transitional exceptional circumstance.

[85]        Dans le cadre d’analyse de l’arrêt Morin, il est possible de déduire qu’un délai prolongé cause préjudice à l’accusé[52]. Toutefois, le tribunal doit tenir compte du comportement de l’accusé qui ne correspond pas à un désir d’être jugé rapidement pour évaluer son préjudice[53]. Ainsi, une conduite de l’accusé qui n’équivaut pas à une renonciation peut néanmoins être symptomatique d’une absence de préjudice réel[54]. L’absence d’empressement est par conséquent un facteur pertinent pour évaluer si la mesure transitoire trouve application parce que les parties se sont raisonnablement conformées au droit antérieur[55].

[86]        La conduite des parties pour tenter de surmonter les délais institutionnels systémiques préexistants peut également être pertinente[56]. Ainsi, il faut tenir compte des limites que ces délais institutionnels préexistants posent dans les marges de manœuvre de la poursuite[57].

[87]        Dans l’arrêt Rice, cette Cour fait les commentaires suivants au sujet d’un dossier qui s’est entièrement déroulé avant l’arrêt Jordan :

[106]   Lorsque le dossier s'est entièrement déroulé avant l'arrêt Jordan, un délai raisonnable sous Morin pourrait bien le demeurer en raison de la mesure transitoire : R. v. Gordon2017 ONCA 436 (CanLII), par. 23. Cependant, ‘’le délai pourrait être jugé déraisonnable même si les parties agissaient en fonction de l’ancien cadre d’analyse. L’examen doit toujours être contextuel. […] [L]a Cour donne à titre d’exemple le cas où le délai excède considérablement le plafond, dans une cause simple, en raison d’erreurs et d’impairs répétés du ministère public : R. c. Jordan2016 CSC 27 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 631, par. 98.[58]

[Soulignements ajoutés]

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