Blais c. R., 2025 QCCA 877
[14] L’appelant avance cependant que des erreurs de fait engendrent ici une erreur judiciaire au sens de l’arrêt R. c. Morrissey (1995), 1995 CanLII 3498 (ON CA), 97 C.C.C. (3d) 193 (C.A.O.), un arrêt maintes fois repris, notamment dans l’arrêt Sinclair. Or, l’appelant invite avant tout la Cour à refaire l’évaluation de la preuve et rien dans ce qu’il met de l’avant n’autorise son intervention. L’analyse de la mémoire est un élément essentiel de la fiabilité d’un témoignage : R. c. Foomani, 2023 QCCA 232. On ne peut reprocher au juge de procéder à cette évaluation à partir de la preuve. Lorsque la preuve porte sur des événements qui, selon l’une des parties, se sont déroulés sur une période de 11 ans, alors que l’autre partie en nie l’existence, il est inévitable qu’un juge recherche dans les éléments périphériques des indices susceptibles de l’aider à éclaircir la situation.
[15] Les faits périphériques aux crimes, comme on se plaît à les appeler, ne doivent jamais être ignorés dans l’analyse des témoignages. La périphérie est mouvante et dépend des circonstances. Cela exige une approche prudente. En outre, plusieurs facteurs peuvent expliquer une absence de souvenir, notamment le passage du temps, l’importance concrète du fait en cause pour le témoin ainsi que la relation entre ces deux facteurs. Dès lors, à divers degrés et correctement soupesés, les faits périphériques sont les éléments qui consolident le récit et mènent aux conclusions concernant le cœur du litige. Des erreurs sur des faits périphériques seront habituellement inoffensives dans la mesure où le corps du récit demeure intact lorsqu’apprécié selon la norme de preuve requise. Toutefois, trop d’erreurs périphériques peuvent amener le juge à légitimement remettre en cause la fiabilité du récit. Elles peuvent également mener à un questionnement sur la probité du témoin et sa volonté d’offrir un récit conforme à sa mémoire et aux faits. C’est une décision factuelle qui appartient au juge des faits. Une cour d’appel ne peut pas intervenir, sauf si elle est entachée d’erreurs ou se révèle déraisonnable : R. c. A.A., 2021 QCCA 127 et R. c. W. (R.), 1992 CanLII 56 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 122,
p. 131-132, respectivement.
[16] Cela dit, en l’espèce, le juge ne rejette pas le témoignage de l’appelant parce qu’il ne le croit pas sur des faits collatéraux. Il conclut plutôt que la mémoire de l’appelant est problématique. Une mauvaise mémoire n’est pas en soi un indicateur de culpabilité, mais elle peut affecter la fiabilité du récit du témoin qui en souffre. Comme il se doit, le juge ne s’y arrête pas et il poursuit son analyse en évaluant la version de l’appelant, qui offre des réponses évolutives, contradictoires ou invraisemblables. Cela l’amène à rejeter son témoignage. Je n’y vois aucune erreur et l’appelant n’en démontre aucune qui soit manifeste et déterminante.
[17] Enfin, en l’absence de précisions sur les motifs sous-jacents à cette conclusion, l’observation du juge selon laquelle des discussions entre deux témoins affectaient la crédibilité de leur témoignage constitue une erreur. L’appelant a raison sur ce point.
[18] En l’espèce, la preuve est peu élaborée sur la discussion entre les deux témoins. Les questions de la poursuite à ces deux témoins en contre-interrogatoire sont demeurées très générales, tout comme les réponses. L’avocate au procès s’en satisfait. Le sujet n’a pas été approfondi et rien de plus n’est dit sur ces discussions. La poursuite et la défense n’y ont pas accordé d’importance, contrairement aux parties dans l’arrêt R. v. C.G., 2021 ONCA 809 [C.G.].
[19] Le problème dans l’arrêt C.G. tenait au fait que, sans plaider qu’il s’agissait de collusion, la poursuite avait invité le juge à tirer des conclusions spécifiques d’une [traduction] « collusion involontaire » (inadvertent collusion) suivant des discussions entre témoins en amont du procès. Dans sa décision, le juge n’avait évoqué que la collusion dont il disait tenir compte dans l’évaluation générale de la crédibilité. Par ailleurs, le juge ne motivait pas clairement pourquoi le rejet des témoignages en défense : voir C.G., par. 19-20 et 33-34.
[20] Il faut mentionner immédiatement que dans cette affaire, le juge Nordheimer, pour la Cour d’appel de l’Ontario, suggère de ne pas utiliser l’expression [traduction] « collusion involontaire ». La collusion affecte la crédibilité des témoins, voire leur probité, puisqu’ils fabriquent une histoire alors que la discussion entre témoins n'est pas une « collusion », mais affecte la fiabilité des récits : voir C.G., par. 30-31. En clair, une discussion entre des témoins est simplement un facteur parmi d’autres pour évaluer les témoignages. Cela ne signifie pas que l’un ou l’autre des témoins ne dit pas la vérité ou qu’il n’a pas ses propres souvenirs : voir C.G., par. 32.
[21] Par conséquent, le juge doit expliquer sur quels éléments de preuve portait l’échange d’information problématique, tout en examinant l’ensemble de la preuve pour vérifier s’ils sont confirmés ou non. C’est véritablement l’exercice de motivation qui permet de comprendre la portée des discussions entre des témoins. Cet exercice suppose que la preuve concernant la discussion soit moindrement élaborée afin que l’on comprenne sur quels aspects les témoins ont échangé et quelle a été l’incidence de ces échanges sur la fiabilité de leurs témoignages.
[22] Ici, deux problèmes minent l’affirmation du juge voulant que « [c]eci affecte directement la crédibilité de ces deux témoins ». Premièrement, la crédibilité n’est pas en cause à ce stade de la démonstration puisqu’il est évident que la collusion n’est pas démontrée : voir R. c. Neverson, 2020 QCCS 253, par. 263, confirmé par R. c. Neverson, 2024 QCCA 519, par. 91-110. Deuxièmement, les questions et les réponses sont si générales qu’elles ne dévoilent rien sur le contenu des discussions. Il devient très difficile pour un juge de tirer quoi que ce soit de cet état de fait.
[23] C’est sans doute pour cette raison que les parties au procès ne se sont pas préoccupées de cet aspect. Le juge ne pouvait rien en conclure dans l’état du dossier. Il s’agit donc d’une erreur. Néanmoins, je suis d’accord avec l’intimé qu’il s’agit d’une observation très accessoire parmi l’ensemble des éléments qui affectent la crédibilité des deux témoins. Ainsi, l’erreur n’est pas déterminante à elle seule.
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