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vendredi 22 août 2025

Un juge peut rouvrir le procès s'il constate un accroc à la règle d'équité procédurale (Browne c. Dunn) durant son délibéré et doit soulever l’écueil de lui-même s’il le constate, même en l’absence d’observations des parties, et il doit alors les appeler à commenter la situation

Blais c. R., 2025 QCCA 877

Lien vers la décision


[24]      Dans son mémoire, comme le permettent les règles de la Cour, l’appelant soulève deux nouveaux moyens qu’il qualifie de questions de droit. Présumant qu’il s’agit bien de questions de droit, et parce que l’intimé a présenté des observations sur ces moyens, j’y réponds. La première serait une erreur dans l’application du principe de l’arrêt Browne v. Dunn (1893), 1893 CanLII 65 (FOREP), 6 R. 67 (H.L.) : voir R. c. Chandroo2018 QCCA 1429 [Chandroo]. La seconde serait un double standard dans l’appréciation de la preuve testimoniale.

[25]      L’appelant reproche au juge d’avoir accordé moins de valeur probante au témoignage de la sœur de la plaignante, qui avait affirmé avoir été constamment dans la chambre de sa sœur lorsque l’appelant y était durant la période délictuelle.

[26]      Au procès, aucune partie n’a plaidé au juge que le défaut d’avoir contre-interrogé la plaignante sur cet aspect du récit de sa sœur avait une incidence sur l’évaluation du témoignage de cette dernière. Par conséquent, au procès, aucune observation n’a été offerte à ce sujet ou à propos des principes de l’arrêt Browne v. Dunn. Dans l’arrêt Chandroo, le juge Healy, pour la Cour, explique qu’un juge doit soulever l’écueil de lui-même s’il le constate, même en l’absence d’observations des parties, et il doit alors les appeler à commenter la situation : Chandroo, par. 21.

[27]      Qu’en est-il lorsque le constat est fait pendant le délibéré ? Dans l’arrêt Dowd, la Cour d’appel du Manitoba a rejeté l’argument voulant qu’il soit irréaliste de rouvrir un procès et de rappeler les parties si le juge, pendant son délibéré, estime qu’il y a un problème : R. c. Dowd2020 MBCA 23, par. 30-32. Cette approche est certainement envisageable et il est sans doute préférable d’y recourir lorsque les circonstances s’y prêtent.

[28]      Notre Cour ne s’est jamais prononcée sur le bien-fondé de cette exigence particulière et sur les conséquences qui en découlent. Aux fins du présent appel, sans trancher la question, j’accepte l’approche manitobaine puisqu’il s’agit de la position la plus favorable à l’appelant.

[29]      Le juge n’ayant pas alerté les parties, il était erroné de sa part d’évoquer l’absence de contre-interrogatoire de la plaignante, d’autant que ce facteur ne pouvait, dans les circonstances, affaiblir le témoignage de la sœur de la plaignante. En effet, il est douteux que les principes établis par Browne v. Dunn trouvaient application.

[30]      Il est évident que la réponse de la plaignante aurait été de nier la version de sa sœur puisqu’elle n’a jamais prétendu que les agressions dans la chambre ont eu lieu en sa présence. En fait, le juge aurait dû se passer de cette surenchère de motivation puisque le véritable questionnement soulevé par la version de ce témoin était le caractère raisonnable de son affirmation selon laquelle elle se trouvait toujours avec la plaignante dans la chambre. Ainsi, la valeur du récit de la sœur ne dépendait pas d’une réponse de la plaignante. Inéluctablement, il aurait été vain de lui poser la question. Après tout, il s’agissait de la théorie de cause de la défense que la plaignante mentait sur les événements.

[31]      Cela dit, il est tout aussi clair que l’erreur n’a pas compromis l’équité du procès. D’abord, les thèses étaient bien connues et claires. Ensuite, et probablement de manière plus importante, le juge écarte le récit du témoin pour plusieurs autres raisons indépendantes de cette erreur, qu’il explique dans son jugement. Comme le souligne l’intimé, le rejet de ce témoignage est non-équivoque malgré l’erreur. Il a raison. Cette erreur en soi semble inoffensive dans les circonstances.

[32]      Sur la seconde question soulevée dans le mémoire, soit l’évaluation des témoignages selon un double standard, l’appelant ne démontre pas que le juge a procédé à une telle évaluation de la preuve testimoniale, laquelle est souvent associée à d’autres erreurs : R. c. G.F.2021 CSC 20 (CanLII), [2021] 1 R.C.S. 801, par. 99-100. On ne peut pas simplement prétendre que le juge commet une erreur parce qu’il tranche une question de crédibilité. Il faut en plus pointer les passages où le juge applique un double standardR. c. Figaro2019 QCCA 1557, par. 19R. c. Gauvreau2017 QCCA 1414, par. 9. La généralité des reproches trahit l’absence de fondement de cet argument.

[33]      Bien que le jugement comporte une erreur en lien avec la notion de collusion de même qu’une erreur concernant l’application des principes de Browne v. Dunn, celles-ci n’affectent pas le récit des faits au cœur des accusations qu’ont livré les protagonistes. L’appelant a d’ailleurs, à bon droit, reconnu à l’audience que le témoignage de la sœur de la plaignante était très marginal.

[34]      En somme, vu leur nature, ces erreurs ne sont pas toujours inoffensives, mais dans la présente affaire, le dossier démontre que c’est le cas, principalement parce qu’elles touchent à des aspects sans conséquence. Le ministère public me convainc qu’elles sont négligeables ou inoffensives et qu’aucun tort important ni aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit. Il y a lieu d’appliquer la disposition réparatrice : R. c. Abdullahi2023 CSC 19, par. 33R. c. Châteauneuf2024 QCCA 598.

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