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vendredi 1 août 2025

Dans certaines circonstances, le juge du procès a le devoir de soulever de son propre chef les questions liées à la Charte

Joshua Hank Bannister c. Sa Majesté le Roi, 2024 NBBR 33

Lien vers la décision


[15]      L’appelant soutient que le juge du procès se devait d’être vigilant à cet égard et que, comme il n’était pas représenté, le juge aurait dû veiller à ce que les droits que lui garantit la Charte soient protégés et à ce que son droit de consulter un avocat lui soit régulièrement rappelé pendant toute sa détention. L’appelant renvoie la Cour à l’exposé qu’a fait la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse sur cette question dans l’arrêt R. c. Travers2001 NSCA 71, aux paragraphes 36 à 40 :

[TRADUCTION]

36      J’estime toutefois que la démarche appropriée est celle qui est exposée dans l’arrêt R. c. Arbour (1990), 4 C.R.R. (2d) 369 (C.A. Ont.), où la Cour a conclu que, dans certaines circonstances, le juge du procès a le devoir de soulever de son propre chef les questions liées à la CharteDans cette affaire, l’appelant avait dit dans son témoignage au procès que la police avait refusé de le laisser appeler un avocat avant de l’interroger et d’obtenir sa déclaration. Si cela s’était avéré, son témoignage aurait fait état d’une violation manifeste des droits que lui garantit l’al. 10b) de la Charte. Rien n’établissait qu’il eût renoncé à ces droits, et rien n’a été fait pour éclaircir cette violation présumée ni pour vérifier si, le cas échéant, sa déclaration restait recevable, malgré le paragraphe 24(2) de la Charte. À la p. 372 de l’arrêt Arbour, la Cour d’appel de l’Ontario a écrit :

 

[TRADUCTION]

Selon nous, à partir du moment où la Cour disposait de preuve recevable et non contredite montrant qu’il y a eu violation des droits que l’al. 10b) de la Charte garantit à l’appelant, il incombait au juge du procès de procéder à une enquête pour vérifier si les droits de l’appelant avaient été violés. Or, cela n’a pas été fait. Par conséquent, la déclaration n’aurait pas dû être admise en preuve ou, ayant été admise, elle n’aurait pas dû être considérée comme une preuve dans les circonstances.

 

La Cour a accueilli l’appel au regard de plusieurs des moyens d’appel invoqués, y compris l’admission erronée en preuve de la déclaration de l’appelant. Elle a annulé les déclarations de culpabilité et a prescrit la tenue d’un nouveau procès.

 

37      Dans l’affaire Arbour, l’appelant était représenté par un avocat. Je dirais que le principe énoncé dans cette affaire s’applique autant, voire plus, si le plaideur n’est pas représenté et ne connaît pas bien le droit.

 

38      La méthode suivie dans l’arrêt Arbour n’est pas propre à l’Ontario. Dans la décision rendue en appel dans R. c. Fraillon1990 CanLII 2828 (QC CA), (1991), 62 C.C.C. (3d) 474 (C.A.Q.), le juge du procès avait, de son propre chef, inscrit la suspension d’une instance pour fraude au motif que l’accusé était incapable d’opposer une réponse et une défense complètes aux accusations portées contre lui à cause du délai trop long mis à l’inculper. À la page 476, la Cour d’appel du Québec a écrit :

 

[…] Il est, en thèse générale, loisible au juge de signaler aux parties que, dans sa mission de rendre justice, il est troublé par un point de faits ou de droit que ni l’une ni l’autre n’a soulevé. Et cela surtout lorsqu’il s’agit d’un droit reconnu par la Charte. Mais encore faut-il qu’il le signale aux parties et leur donne tout le loisir de vider la question avant qu’il ne statue en conséquence. Or ici, les parties ont, à leur grand étonnement, appris au prononcé du jugement que celui-ci était fondé et uniquement fondé sur une question que le juge n’avait qu’alors soulevée et résolue proprio motu. […]

 

39      Dans l’arrêt R. c. Boire et autres1991 CanLII 2805 (QC CA), (1991), 66 C.C.C. (3d) 216, la Cour d’appel du Québec s’est penchée notamment sur la question de savoir si, même en l’absence d’une demande formelle, une cour d’appel était habilitée à soulever d’office la violation d’un droit garanti par la Charte. À la page 223, le juge d’appel Brossard a rappelé que, considérant que la Charte constitue la loi la plus fondamentale en ce qui concerne les droits de la personne et, en particulier, des accusés en matière pénale, il voyait difficilement comment on pourrait prétendre qu’un tribunal n’était pas autorisé, dans certaines circonstances et sous réserve de certaines conditions, à soulever d’office les dispositions de la Charte en présence d’une violation flagrante. Il a poursuivi en citant le juge Ewaschuk qui, dans l’arrêt R. c. Boron (1983), 1983 CanLII 1606 (ON SC)8 C.C.C. (3d) 25, p. 32-33, 3 D.L.R. (4th) 23836 C.R. (3d) 329 (H.C. Ont.), a écrit :

 

[TRADUCTION]

[…] Question soulevée par le juge du procès

 

[…] Une poursuite pénale est basée sur un processus accusatoire qui exige que les parties présentent de la preuve et non que le juge du procès y participe activement. La participation active laisse souvent présager que le juge prend parti, soit une apparence de partialité que l’on doit assidûment éviter. Si l’objectif d’une poursuite pénale est de rendre justice à la fois à l’accusé et au ministère public, l’objectif a plus de chance d’être atteint si le juge du procès s’abstient de participer à la présentation de la preuve et de soulever des questions de droit. Cependant, il se peut que l’intervention du juge dans une cause pénale soit nécessaire pour que justice soit rendue dans un cas précis, quoique cela ne devrait se faire que rarement.

 

40      Je ne prétends pas qu’à la moindre apparence de violation à la Charte, le juge des faits doit procéder sans délai à une enquête alors qu’aucune des parties comparaissant devant lui n’a invoqué cet argument. Je dirai toutefois, sans prétendre définir entièrement à quel moment naît l’obligation, que s’il dispose de solides preuves prima facie d’une violation d’un droit garanti par la Charte se rapportant à la procédure en cours, le juge doit soulever la question, inviter les parties à faire des observations et, s’il convient de le faire, tenir une audience d’exclusion afin de préserver l’intégrité du processus judiciaire.

 

                                                      [Gras et soulignement de moi]

 

[16]      L’intimé renvoie la Cour à l’examen, par le juge Hill, dans l’arrêt R. c. Kovac,1998 CarswellOnt 2453, de l’obligation qu’a un tribunal de procéder à une enquête sur le respect des droits que la Charte garantit à un accusé. Aux paragraphes 47 à 49, on lit ceci :

[TRADUCTION]

47      La jurisprudence est assez favorable à l’activisme judiciaire, s’agissant de soulever la question de l’admissibilité d’une preuve à la lumière d’une possible violation à la Charte R. c. Kutynec, précité; R. c. Rees (1994), 1994 CanLII 1372 (ON CA)19 O.R. (3d) 123 (C.A. Ont.)R. c. Arbour (1990), 4 C.R.R. (2d) 369 (C.A. Ont.)R. c. Sanchez-Flores (1992), 1992 CanLII 12772 (ON CA)75 C.C.C. (3d) 23 (C.A. Ont.)R. c. Fraillon (1990), 1990 CanLII 2828 (QC CA)62 C.C.C. (3d) 474 (C.A.Q.)R. c. Boire et autres (1991), 1991 CanLII 2805 (QC CA)66 C.C.C. (3d) 216 (C.A.Q.).

 

48 Dans l’arrêt R. c. Arbour, précité, la Cour a conclu, à la p. 372, qu’il incombait au juge de première instance, en présence de [TRADUCTION] « preuve admissible et non contredite » attestant la violation de l’un des droits que la Charte garantit à l’accusé, de vérifier si une telle violation a effectivement eu lieu. Dans l’arrêt R. c. Rees, précité, le juge d’appel Finlayson a écrit, à la p. 134, qu’il doit y avoir [TRADUCTION] « une preuve […] de nature à alerter le juge des faits » du problème lié à la CharteDans l’arrêt R. c. Sanchez-Flores, précité, une affaire où l’accusé avait demandé sans succès de retirer sa demande fondée sur la Charte par laquelle il alléguait une infraction au droit que lui garantit l’al. 10b), la Cour a écrit ce qui suit, à la p. 48 :

 

[TRADUCTION]

[…] Nous estimons que, malgré le retrait de la demande contestée, le juge des faits a une certaine responsabilité de préserver l’intégrité du processus judiciaire […]

 

Dans l’arrêt R. c. Kutynec, précité, le juge Finlayson, de la Cour d’appel, a écrit, à la p. 297, que, lorsque les circonstances le justifient, tout comme [TRADUCTION] « l’intérêt de la justice », le juge des faits peut être tenu de statuer sur une question d’admissibilité. Le juge d’appel Baudoin a fait un constat semblable dans l’arrêt R. c. Boire, précité, où il écrit, aux p. 223 et 224, que la Cour doit agir d’office devant une « violation flagrante » de la Charte.

 

49 J’estime qu’il ne s’agit pas ici de l’un de ces cas exceptionnels où la Cour doit demander d’office l’exclusion de certains éléments de preuve pendant le procès. La nature des témoignages entendus au procès est loin de laisser entendre qu’il y a eu violation flagrante de la Charte. Quant à la preuve fournie au regard de la question constitutionnelle, elle a été contredite et elle n’était pas suffisamment claire pour justifier une intervention par le juge des faits dans l’intérêt de la justice et pour préserver l’intégrité du processus judiciaire.

 

                                                                  [Gras et soulignement de moi]

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