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mardi 12 août 2025

Le pouvoir de common law d’émettre une ordonnance préventive de garder la paix

R. c. Gagnon-Chrétien, 2024 QCCQ 2230

Lien vers la décision


[188]     Malgré l’acquittement, la preuve entendue au procès et les propos tenus par l’accusé lors de son témoignage sont très inquiétants.

[189]     Lors des représentations des parties, le Tribunal a évoqué la possibilité, dans l’éventualité d’un acquittement, d’envisager une ordonnance de garder la paix en vertu de l’art. 810 C.cr. ou en vertu d’un autre régime. Il n’est pas question d’une « infraction moindre et incluse »[40]. Foncièrement, la détermination prévue à l’art. 810 C.cr. n’entraîne pas une condamnation. Le comportement visé par la disposition ne constitue pas une infraction. La disposition recherche plutôt l’intervention préventive du Tribunal fondée sur la crainte d’un plaignant[41].

[190]     Par ailleurs, une jurisprudence constante énonce qu’en plus des dispositions de la Partie XXVII du Code criminel, la common law reconnaît au juge le pouvoir de prononcer des ordonnances préventives afin de protéger le public[42]. Il est à noter que contrairement au texte de l’art. 810 C.cr., le pouvoir de common law ne requiert pas le dépôt d’une dénonciation comme document introductif d’instance[43].

[191]     L’émission d’une telle ordonnance ne requiert pas non plus le consentement de l’accusé[44].

[192]     D’ailleurs, le scénario est déjà survenu dans des cas où, malgré un acquittement sur une accusation de proférer des menaces de mort, de voies de fait ou de harcèlement criminel, le Tribunal en est arrivé à la conclusion que le plaignant avait tout de même des motifs raisonnables de craindre que l’accusé lui cause des lésions personnelles et qu’une ordonnance préventive de garder la paix – en vertu de la common law – s’imposait pour assurer sa sécurité[45]. Dans l’affaire R. v. Petre, le juge Trotter (siégeant alors à la Cour supérieure de l’Ontario) a décrit cette pratique comme un « pouvoir vénérable des tribunaux »[46].  

[193]     Dans l’arrêt R. c. Henry, la Cour supérieure du Québec a reconnu la possibilité d’agir ainsi en vertu de la common law, notamment après un acquittement en matière de menaces, pourvu que les parties aient eu la pleine occasion d’être entendues[47]. Au même effet, plusieurs autres tribunaux ont souligné l’obligation de strictement respecter la règle du audi alteram partem[48], surtout en raison des enjeux potentiels affectant la liberté de l’intimé qui sera assujetti à l’ordonnance de garder la paix. Rappelons que le non‑respect éventuel d’une ordonnance judiciaire en common law pourrait constituer une infraction prévue à l’art. 127 du Code criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans[49].

[194]     Tel que souligné ci‑dessus, le Tribunal reconnaît aisément que monsieur Castonguay et monsieur Giroux ont une crainte bien fondée, basée sur des motifs raisonnables, que l’accusé ne leur cause des lésions personnelles[50]. Rappelons que l’engagement de garder la paix est une mesure préventive qui cherche à mitiger le risque raisonnable d’un danger imminent et réel.

[195]     En matière d’ordonnance de garder la paix, le fardeau qui incombe à la partie demanderesse est peu onéreux. Elle doit démontrer par la prépondérance des probabilités que les craintes du plaignant sont raisonnables[51]. Cette crainte s’évalue à l’état actuel, mais à la lumière de tout l’historique entre les parties. De plus, bien que les décisions en matière d’ordonnance de 810 soient certes pertinentes, je note au passage qu’un certain courant jurisprudentiel voudrait que la norme applicable soit plus large en common law, car elle réfère à un risque plus généralisé de troubler la paix.

[196]     Tel qu’indiqué ci‑dessus, avant d’imposer une telle mesure, les règles de la justice naturelle doivent être respectées[52]. En l’espèce, le Tribunal a explicitement soulevé la question auprès des parties pendant les plaidoiries. La Couronne reconnaît que le Tribunal aurait effectivement la compétence d’émettre une telle ordonnance. Dans l’éventualité d’un acquittement, elle me demande d’émettre l’ordonnance.

[197]     Quant à la défense, d’un point de vue strictement juridictionnel, elle reconnaît également que le pouvoir existe à la fin du procès et ce, en dépit d’un verdict d’acquittement quant à l’infraction au fond. Toutefois, quant à l’application d’un tel pouvoir en l’espèce, la défense ne fait aucune concession. Rappelons que foncièrement, l’accusé nie avoir fait les déclarations inquiétantes relatées par les témoins de la poursuite. La position adoptée par la défense est donc parfaitement logique.

[199]     Certes, il semblerait qu’aucun autre incident ne soit survenu depuis son arrestation en avril 2022. Tant mieux. Normalement, l’écoulement d’une longue période depuis les événements peut considérablement rassurer le Tribunal quant à l’existence actuelle d’un danger. Malheureusement, le contenu du témoignage de l’accusé (jugé non crédible par le Tribunal) et certaines de ses réactions et interruptions en salle d’audience pendant le procès nous indiquent qu’avec égards, l’accusé est toujours aux prises avec une perception dénaturée de la réalité, en plus de certains problèmes de santé mentale perceptibles. Les craintes du Tribunal sont donc encore d’actualité. Compte tenu de la nature extrême du risque évoqué dans les propos de l’accusé, une prudence accrue s’impose.

[200]     Le Tribunal juge donc nécessaire, pour assurer la sécurité de tout le personnel et des étudiants de l’UQAM, d’imposer des conditions strictes interdisant à Gagnon‑Chrétien d’être présent sur le campus.

[201]     Selon le courant jurisprudentiel majoritaire, contrairement aux ordonnances prévues à l’art. 810 C.cr., les ordonnances de garder la paix rendues en vertu de la common law ne sont pas limitées à une durée d’un an[53]. La durée en l’espèce sera fixée à trois ans.

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