R. c. Michaud, 2024 QCCQ 1025
3- Les éléments essentiels des infractions reprochées
[110] L’introduction par effraction ne constitue pas, à elle seule, une infraction criminelle au Canada[30]. Elle ne le devient que si, après s’être introduit, l’auteur commet à l’intérieur du lieu envahi un acte criminel (art. 348(1)(b) C.cr.) ou encore s’il s’est introduit avec l’intention d’y commettre un acte criminel (art. 348(1)(a) C.cr.)[31].
a) L’actus reus
[111] Quant à l’infraction prévue à l’art. 348(1)(b) C.cr., elle sanctionne celui qui s’introduit par effraction dans un endroit et commet, pendant qu’il est à l’intérieur de celui‑ci, un acte criminel. Les voies de fait n’ont pas nécessairement à être concomitants au moment exact de l’introduction. Il suffit qu’ils soient commis à tout moment durant le séjour illégal à l’intérieur de la maison[32].
[112] Au niveau de l’actus reus, l’accusé doit donc commettre l’introduction par effraction et les voies de fait.
[113] En l’espèce, il n’y a aucune allégation voulant que l’accusé ait commis une effraction au « sens réel »[33], soit en brisant la porte d’entrée. On allègue plutôt une effraction présumée, qui elle, peut être commise même en traversant une porte déjà grande ouverte.
[114] En déterminant si l’entrée de l’accusé constitue une introduction par effraction, il y a lieu de noter que la poursuite bénéficie d’une présomption légale à l’art. 350(b)(ii) C.cr., qui prévoit que l’accusé est réputé s’être introduit par effraction s’il s’est introduit dans l’immeuble « sans justification ou excuse légitime ». Évidemment, cette présomption peut être réfutée, quoique la jurisprudence est contradictoire quant à la question de savoir quelle partie en supporte le fardeau.
[115] Dans l’arrêt R. v. Chanyi , la Cour d’appel de l’Alberta a statué qu’il appartient d’abord à la Couronne d’établir l’absence de justification ou d’excuse légitime, si elle veut se prévaloir de la présomption d’introduction par effraction prévue à l’art. 350(b)(ii) C.cr.[34].
[116] À l’inverse, dans les arrêts R. v. Todorov[35] et R. c. Fiset[36], la Cour d’appel du Québec a tranché qu’il incombe plutôt à l’accusé de réfuter la présomption en faisant la preuve d’une justification ou d’une excuse légitime. Cela est conforme à la jurisprudence énonçant, de manière générale, que l’accusé a le fardeau d’établir, par prépondérance, l’existence d’une excuse raisonnable[37] lorsqu’il s’agit d’un moyen de défense distinct, au‑delà de l’absence de mens rea[38].
… une personne est réputée s’être introduite par effraction dans les cas suivants : elle s’est introduite sans justification ou excuse légitime, dont la preuve lui incombe, par une ouverture permanente ou temporaire.
[soulignement ajouté]
[118] Or, le 13 décembre 2018, la disposition a été amendée et les mots « dont la preuve lui incombe » ont été soigneusement supprimés[39]. En principe, tout amendement législatif est de nature curative. D’ailleurs, comme l’indique le sommaire de la Loi, l’un de ses objectifs était d’abroger des passages et des dispositions qui avaient été jugées inconstitutionnelles. Incidemment, dans l’arrêt R. v. Singh, la Cour d’appel de l’Alberta a invalidé ce renversement du fardeau[40]. Au même effet, à l’étape de la première lecture du Projet de loi C‑51, le secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice a énoncé que les amendements avaient pour but d’éliminer les renversements de fardeau relatifs aux excuses légitimes, protégeant ainsi mieux la présomption d’innocence[41].
[119] On peut donc déduire que par la force de l’amendement législatif, le fardeau appartient effectivement à la Couronne d’établir l’absence de justification ou d’excuse légitime, tel qu’énoncé dans l’arrêt R. v. Chanyi[42]. Il va de soi qu’avant tout, je suis lié par les décisions de notre Cour d’appel. Ceci dit, les arrêts Todorov et Fiset ont été décidés avant le plus récent amendement à l’art. 350(b)(ii) C.cr. Pour ces motifs, le Tribunal considère que si la Couronne veut évoquer la présomption d’introduction par effraction prévue à cet article, elle doit établir que Michaud se trouvait dans la maison de Sauvé sans justification ou excuse légitime.
[120] Une invitation à entrer dans l’immeuble par le propriétaire constituerait indubitablement une excuse légitime.
[121] À tout événement, comme il sera exposé ci‑dessous, l’issue du litige en l’espèce ne dépend pas de l’attribution du fardeau de la preuve sur cette question. Peu importe à quelle partie incombe cette charge, nous sommes loin d’un cas limite.
[122] Enfin, il importe de souligner que le moment qui est pertinent lorsqu’il s’agit de considérer si une personne s’est introduite sans justification ou excuse légitime est celui de l’introduction[43].
b) La mens rea de l’infraction d’introduction par effraction et voies de fait (art. 348(1)(b) C.cr.)
[123] La poursuite doit établir l’intention de s’introduire par effraction ainsi que l’intention de commettre des voies de fait.
c) La mens rea de l’infraction d’introduction par effraction avec l’intention de commettre un crime (art. 348(1)(a) C.cr.)
[124] Tel qu’indiqué ci‑dessus, ce mode de commission de l’infraction exige la preuve d’une intention spécifique de la part de l’accusé. L’infraction se compose donc de deux intentions cumulatives, soit :
(1) L’intention de s’introduire par effraction dans un endroit; et
(2) L’intention préalable d’y commettre un acte criminel une fois à l’intérieur[44].
[125] La Couronne doit établir hors de tout doute raisonnable chacun des volets de la mens rea. À cet égard, la poursuite bénéficie d’une présomption légale de mens rea, prévue à l’art. 348(2)(a) C.cr. :
Présomptions – aux fins de poursuites engagées en vertu du présent article, la preuve qu’un accusé s’est introduit ou a tenté de le faire constitue, en l’absence de preuve contraire, une preuve qu’il s’y est introduit par effraction ou a tenté de le faire, selon le cas, avec l’intention d’y commettre un acte criminel.
[gras ajouté]
[126] Suivant l’application cette présomption, la preuve de l’introduction par effraction peut suffire pour constituer la preuve que ladite introduction avait comme but la commission d’un acte criminel. La présomption découle de l’inférence logique selon laquelle, lorsqu’un individu s’introduit dans le domicile d’une victime, où il n’a aucun droit d’être, il l’a sûrement fait à des fins répréhensibles[45]. Évidemment, comme l’indique le texte du Code, cette présomption peut être réfutée par une « preuve contraire »[46]. La preuve, évaluée dans son ensemble, n’a qu’à soulever un doute raisonnable à cet égard. Ledit doute peut découler de la preuve de la Couronne[47]. La défense ne supporte pas de fardeau de persuasion comme tel. Elle n’est surtout pas obligée de prouver l’innocence de l’accusé[48].
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