R. c. Primeau, 2021 QCCA 1768
[22] Dans l’arrêt Anthony-Cook, la Cour suprême a établi que les juges doivent appliquer le « critère d’intérêt public » lorsqu’ils décident d’écarter une recommandation conjointe. Selon ce critère, un juge du procès « ne devrait écarter une recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas par ailleurs dans l’intérêt public »[7]. Or, une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public lorsqu’elle « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale »[8]. Autrement formulé[9] :
[34] […] il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé – et à juste titre […].[10]
[Soulignement ajouté]
[23] En s’appuyant sur le critère de l’intérêt public, la Cour suprême confirme qu’il y a lieu de rejeter d’autres critères comme celui de la « justesse de la peine »[11] et celui de la « peine manifestement non indiquée »[12]. Pour ce qui est du critère de la justesse de la peine, il ne devrait pas être suivi parce qu’« il en résulterait une "suppression du recours à la négociation de plaidoyers dans le cadre du processus de poursuite criminelle" »[13]. Quant au critère de la peine manifestement non indiquée, la Cour le rejette également parce que le seuil de ce dernier « peut ne pas être suffisamment souple dans le cadre de la recommandation conjointe »[14].
[24] Le critère de l’intérêt public s’impose parce qu’il est « plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées »[15]. Ainsi, le seuil s’avère très élevé lorsqu’un juge veut écarter une recommandation conjointe. Sinon, cela « jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement »[16].
[25] Ayant établi le critère applicable, la Cour énonce six éléments que les juges doivent prendre en considération « lorsqu’une recommandation conjointe relative à la peine les préoccupe »[17], dont le deuxième prend toute son importance dans les circonstances de cette cause[18] :
[52] Deuxièmement, les juges du procès doivent appliquer le critère de l’intérêt public lorsqu’ils envisagent d’infliger une peine plus lourde ou plus clémente que celle recommandée conjointement (DeSousa, le juge Doherty). Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyse sera la même dans les deux cas. Au contraire, du point de vue de l’accusé, l’infliction d’une peine plus clémente ne suscite pas chez lui de préoccupations relativement au droit à un procès équitable, ni ne mine sa confiance envers la certitude des négociations sur le plaidoyer. De plus, quand il se demande si la sévérité d’une peine recommandée conjointement irait à l’encontre de l’intérêt public, le juge du procès doit être conscient de l’inégalité du rapport de force qu’il peut y avoir entre le ministère public et la défense, surtout lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat ou est détenu au moment de la détermination de la peine. Ces facteurs peuvent atténuer l’intérêt qu’a le public dans la certitude et justifier l’imposition d’une peine plus clémente dans des circonstances limitées. Par contre, lorsque le juge du procès envisage d’infliger une peine plus clémente, il doit se rappeler que la confiance de la société envers l’administration de la justice risque d’en souffrir si un accusé profite des avantages d’une recommandation conjointe sans avoir à purger la peine convenue.
[Références omises]
[26] En l’espèce, l’autre élément important énuméré par la Cour suprême est que le juge d’instance qui n’accepte pas les recommandations conjointes des parties devrait « énoncer des motifs clairs et convaincants à l’appui de sa décision »[19]. Dans tous les arrêts rendus par la Cour dans l’application de l’arrêt Anthony-Cook, les juges de première instance avaient imposé une peine plus sévère que celle suggérée par les parties, contrairement au présent cas[20]. Par contre, la Cour suprême a clairement envisagé le cas de l’imposition d’une peine plus clémente que celle suggérée, tel que démontré par le paragraphe précité même si en imposant une peine plus clémente que celle suggérée, l’analyse peut être différente. Le critère qui encadre la décision de s’écarter d’une suggestion commune demeure le même.
[27] Dans les affaires Séguin[21] et Binet[22], la Cour d’appel met en garde les juges de première instance de ne pas « utiliser le critère de l’intérêt public pour simplement imposer la peine qu’ils estiment appropriée »[23]. À cet effet, ces deux affaires citent ces passages de la Cour d’appel de l’Alberta qui illustrent cette interprétation de l’arrêt Anthony-Cook :
[19] La Cour d’appel d’Alberta, dans une affaire récente, indique bien la distinction entre les principes devant guider un juge pour accepter ou refuser une suggestion commune et ceux applicables à la détermination d’une peine. Elle s’exprime ainsi :
[17] After a review of the case law, the sentencing judge summed up the test as follows:
[51] The principles to be drawn from these cases suggest that a joint submission will bring the administration of justice into disrepute or otherwise be contrary to the public interest when it does not adequately reflect the general principles of sentencing identified in the Criminal Code and where the benefits of accepting the joint submission do not outweigh these concerns. (Emphasis added)
This, however, is not the test for accepting a joint submission set in Anthony-Cook. It echoes the “fitness” or “demonstrable unfitness” tests that were specifically rejected in that case.
[18] While the sentence that might have resulted after trial is relevant, it is an unhelpful approach to start the analysis by reverse engineering the joint submission. In other words, it is inappropriate to first determine what sentence would have been imposed after a trial, and then compare it to the joint submission. This inevitably invites a conclusion that the joint submission would bring the administration of justice into disrepute merely or primarily because it departs from the conventional sentence. Rather, the analysis should start with the basis for the joint submission, including the important benefits to the administration of justice, to see if there is something apart from the length of the sentence that engages the broader public interest or the repute of the administration of justice.
[20] La Cour partage ce point de vue. Le juge a commis une erreur de principe en refusant la suggestion commune des parties. Sous le couvert de l’intérêt public, il a plutôt imposé une peine qu’il trouvait plus appropriée dans les circonstances.
[Soulignements dans l’original]
[28] Nous sommes d’accord avec l’appelante que les circonstances de la présente affaire sont assimilables aux circonstances des affaires Séguin et Binet et que la juge rend, sous le couvert du critère de l’intérêt public, la peine qu’elle considérait la plus appropriée dans les circonstances. Essentiellement, au regard des facteurs aggravants et atténuants, la juge écarte la peine suggérée puisqu’elle considère qu’une peine privative de liberté n’est pas appropriée dans les circonstances.
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