Patry c. R., 2015 QCCA 845
[10] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Khela[8], rappelle les principes applicables au témoignage d’un témoin taré. Elle y reprend, en les approuvant, les enseignements de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Sauvé[9] :
[37] Dans Sauvé, par. 82, la Cour d’appel de l’Ontario a établi un cadre d’analyse raisonnée qui aidera les juges de première instance à construire des mises en garde de type Vetrovec qui soient adaptées aux circonstances de l’espèce. Le cadre proposé, que j’adopte et développe ici, comporte quatre éléments fondamentaux : (1) attirer l’attention du jury sur le témoignage qui nécessite un examen particulièrement rigoureux; (2) expliquer pourquoi ce témoignage doit être examiné de façon particulièrement rigoureuse; (3) prévenir le jury du danger de prononcer une condamnation sur la foi d’un témoignage non confirmé de ce genre, le jury étant toutefois en droit de le faire s’il est convaincu de la véracité du témoignage en cause; (4) indiquer au jury que, pour déterminer si le récit suspect est véridique, il doit chercher, à partir d’autres sources, des preuves tendant à établir que le témoin douteux dit la vérité quant à la culpabilité de l’accusé (R. c. Kehler, 2004 CSC 11, 1 R.C.S. 328, par. 17‑19).[10]
[11] Monsieur le juge Fish rappelle aussi, dans Khela, les propos que tenait Marc Rosenberg (maintenant à la Cour d’appel de l’Ontario) :
[35] En son nom et en celui des juges Iacobucci et Arbour, le juge Major a également cité en l’approuvant l’extrait suivant des commentaires de Marc Rosenberg (maintenant juge d’appel Rosenberg) concernant Vetrovec et les arrêts qui l’ont suivi :
[traduction] En premier lieu, le juge doit décider, de manière objective et en recourant aux moyens classiques de le faire, s’il y a une raison de douter de la crédibilité du témoin. Cela implique un examen de la preuve en vue de déterminer s’il y a des facteurs qui ont, à juste titre, amené les tribunaux à hésiter à accepter la déposition d’un témoin. Ces facteurs pourraient comprendre la participation à des activités criminelles, l’existence d’un motif de mentir en raison d’un lien avec le crime ou les autorités, le retard inexpliqué mis pour venir présenter sa version des faits, la présentation de versions différentes à d’autres occasions, les déclarations mensongères sous serment et d’autres considérations semblables. Il s’agit donc non pas de savoir si le juge du procès estime personnellement que le témoin est digne de foi, mais plutôt de savoir s’il existe des facteurs qui, d’après ce que l’expérience enseigne, exigent d’aborder avec circonspection le récit du témoin. En second lieu, le juge du procès doit évaluer l’importance que revêt le témoin pour la preuve du ministère public. Si le témoin joue un rôle relativement mineur dans l’établissement de la culpabilité, il ne sera probablement pas nécessaire de faire une mise en garde particulière au jury et d’examiner ensuite la déposition corroborante. Cependant, plus le témoin est important, plus le juge du procès est tenu de faire la mise en garde. À un certain point, comme dans le cas où le témoin joue un rôle central dans l’établissement de la culpabilité, la mise en garde est obligatoire. Je suis d’avis que cela découle de l’obligation qui incombe au juge, dans un procès criminel, d’examiner les éléments de preuve et de les rattacher aux questions en litige. [par. 79]
(« Developments in the Law of Evidence : The 1992‑93 Term — Applying the Rules » (1994), 5 S.C.L.R. (2d) 421, p. 463).[11]
[12] Il convient donc de retenir qu’une mise en garde de type Vetrovec devrait prendre en compte, selon les circonstances de l’affaire, les quatre éléments exposés ci-devant. En effet, comme le note le juge Fish :
[47] Il n’est pas « trop formaliste » de veiller à ce que les juges des faits soient suffisamment confortés dans leur opinion avant de condamner un accusé sur la foi de ce qui est considéré depuis des siècles comme une preuve non fiable. Une approche véritablement fonctionnelle doit prendre en compte le double objectif de la mise en garde de type Vetrovec : premièrement, éveiller l’attention du jury sur le danger de se fonder sur les dépositions de témoins douteux en l’absence de toute confirmation et expliquer pourquoi elles doivent être examinées de façon particulièrement rigoureuse; deuxièmement, si les circonstances le justifient, fournir aux jurés les outils nécessaires pour déterminer les éléments de preuve pouvant renforcer la crédibilité de ces témoins.[12]
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