R. c. Martin, 2024 QCCQ 442
[153] La preuve de propension est généralement inadmissible. La preuve de faits similaires, même si elle arrive à démontrer autre chose que la propension, ne cesse pas d’être présumée inadmissible. Il incombe à la poursuite de convaincre le juge du procès, selon la balance des probabilités, que, dans le contexte de l’affaire en cause, la valeur probante de la preuve relative à une question donnée l’emporte sur le préjudice qu’elle peut causer et justifier ainsi sa réception[10].
[154] La preuve de faits similaires ne peut être recevable que si elle va au-delà d’une simple propension générale et qu’elle est plus probante que préjudiciable à l’égard d’un des éléments à prouver en relation avec les infractions reprochées[11].
[155] Le cadre juridique général de l’admissibilité d’une preuve requiert une analyse à trois volets c’est-à-dire a) la pertinence, b) si cet élément est visé par une règle d’exclusion et c) si le juge du procès doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin de l’écarter[12]. Le droit relatif à la preuve de faits similaires a tendance à commencer par les deuxièmes et troisièmes volets, dans la mesure où la pertinence est souvent discutée dans le cadre de l’analyse de la valeur probante de la preuve[13].
[156] Lorsque le ministère public demande à considérer une preuve comme fait similaire, le critère pertinent consiste à examiner la valeur probante de la preuve de faits similaires, à la mettre en balance par rapport à son effet préjudiciable et, après avoir abordé spécifiquement le degré de similitude, la possibilité de collusion, la probabilité de coïncidence et le risque de raisonnement par propension, à déterminer si les preuves doivent s’appliquer sur les chefs d’accusation pour lesquels la preuve de faits similaires est proposée.[14]
a) La méthodologie
(1) Définir avec précision la question pour laquelle la preuve est considérée comme pertinente parce que la valeur probante ne peut être évaluée dans l’abstrait.
(2) Évaluer la valeur probante de la preuve. Les deux éléments essentiels sont la connexité et la similarité. Il doit y avoir un lien logique établi entre la preuve de faits similaires et l’infraction que la preuve est censée prouver. Lorsque le lien logique dépend de la similitude des faits similaires avec l’acte reproché, la valeur probante augmente avec le degré de similitude, car la probabilité que la similitude résulte d’une coïncidence diminue. Le Tribunal doit être convaincu que l’improbabilité objective d’une coïncidence a été établie. Cette analyse ne peut être effectuée de manière abstraite, mais plutôt uniquement sur la base de faits similaires spécifiquement identifiés.
Les similitudes peuvent être circonstancielles. Dans les affaires d’agression sexuelle, des circonstances similaires sont souvent plus convaincantes que des similitudes ou des dissemblances de conduite.
(3) Évaluer l’effet préjudiciable de la preuve de conduite répréhensible. La preuve peut donner lieu à deux formes de préjudice : le préjudice moral et le préjudice par raisonnement.
Le préjudice moral consiste dans le risque de déclarer l’accusé coupable parce qu’il est une mauvaise personne plutôt que sur la base qu’il a commis l’infraction reprochée.
Le préjudice par raisonnement réfère au risque que le juge des faits soit distrait de sa concentration appropriée sur l’accusation elle-même, aggravé par le temps passé à traiter des allégations d’incidents multiples dans des circonstances divergentes plutôt que la seule infraction reprochée ou au risque que le juge des faits accorde à la preuve plus de poids que ce qui est logiquement justifié[16].
La distraction peut prendre plusieurs formes, l’une d’elles étant émotionnelle, suscitant des sentiments de répulsion et de condamnation même chez un juge seul qui est à la fois le juge des faits[17].
Le préjudice moral exige que le juge, dans un procès devant juge seul, se mette en garde contre la tendance à inférer la culpabilité en se fondant sur le raisonnement interdit d’inférer la culpabilité à partir d’une prédisposition ou propension générale.
Une autre forme de préjudice par raisonnement survient lorsque le procès se concentre sur la conduite répréhensible elle-même, comme une sorte de procès dans le procès, ce qui peut prolonger et compliquer le procès et détourner le juge des faits des questions sur lesquelles repose sa responsabilité.
Les juges doivent évaluer l’effet préjudiciable sur trois angles : le préjudice moral, le préjudice par raisonnement et la présence de tout facteur susceptible de réduire l’impact du préjudice, dans les circonstances particulières de l’affaire.
Un autre risque de préjudice engendré par l’admission en preuve de faits similaires est que cela pourrait forcer l’accusé à témoigner dans une affaire où cela pourrait être déconseillé pour d’autres raisons.
(4) La mise en balance de la preuve de conduite répréhensible et de ses effets préjudiciables. Les deux variables n’opèrent pas sur le même plan. Les deux sont en réalité incommensurables. La valeur probante fait néanmoins bouger la balance dans des directions opposées en ce qui concerne la question de l’admissibilité et il est nécessaire de régler leurs exigences contradictoires.
En général, plus la preuve est grandement probante, plus il est probable qu’elle soit admise. Cependant, les dangers de la preuve de propension doivent être pris extrêmement au sérieux.
b) La pertinence
[158] Pour évaluer la pertinence à la première étape, il s’agit simplement d’examiner si la preuve, en l’absence d’une règle d’exclusion, est pertinente à un fait en cause. Le degré de pertinence est pondéré lors de la troisième étape pour tenir compte de la règle d’exclusion[18].
c) L’objectif
[159] C’est à la poursuite qu’il appartient de préciser la fin recherchée par la preuve de faits similaires de manière à pouvoir en évaluer l’effet préjudiciable. L’objectif poursuivi doit être défini par le poursuivant en fonction de la preuve présentée et non par le décideur en fonction de la décision à rendre.
➢ Le modus operandi
[160] Les similitudes ne doivent pas nécessairement résider dans les actes physiques précis eux-mêmes. Certains peuvent être plus graves que d’autres. Parfois, le fil conducteur de la similitude réside dans le modus operandi de l’agresseur[19].
[161] Dans l’arrêt Jean[20], la Cour ne voit aucune erreur dans la décision du juge d’admettre les éléments de faits similaires comme éléments à l’appui du modus operandi de l’appelant.
➢ L’actus reus
[162] Lorsque la preuve de faits similaires est invoquée à l’appui de la preuve de l’actus reus, il n’est pas toujours nécessaire qu’il y ait une forte particularité ou un caractère distinctif inhabituel sous-jacent aux événements comparés, quoique des faits similaires qui font ressortir un trait de caractère singulier, comme la nécrophilie, constitueraient vraisemblablement un outil puissant entre les mains de la poursuite[21]. La force de la preuve de faits similaires peut découler du caractère répétitif et prévisible du comportement de l’accusé dans des circonstances bien définies.
[163] Il n’est pas nécessaire que le degré de similitudes entre des infractions de même nature soit aussi frappant lorsque l’utilisateur de la preuve de faits similaires proposée soutient l’intention ou l’actus reus.
[164] Dans le cas de l’utilisation de la preuve de faits similaires pour prouver que l’actus reus s’est produit, le risque de s’appuyer principalement sur des similitudes génériques est double. Premièrement, l’inférence initiale découlant de la conduite initiale devient si générale qu’elle s’approche de celle d’une mauvaise personne. Deuxièmement, en raison de leur caractère non spécifique, les similitudes génériques peuvent masquer des dissemblances sous-jacentes qui pourraient être importantes dans un cas particulier[22]. Toutefois, dans un tel cas, la preuve n’a pas à devoir atteindre le seuil de la similitude frappante[23].
[165] La preuve de violence dirigée contre une autre victime peut être utilisée dans certaines circonstances pour prouver des éléments d’une infraction. Le but pour lequel les preuves sont utilisées est toujours clairement indiqué, que ce soit pour prouver que l’acte criminel a effectivement eu lieu, pour prouver un modus operandi ou une certaine forme de preuve de carte de visite ou pour réfuter une défense d’accident ou une autre défense[24].
[166] Dans l’arrêt Jean[25], la Cour note que le juge accepte la preuve de faits similaires que pour certains chefs et qu’il dresse la liste de 14 faits qu’il admet à titre de preuve de faits similaires et qu’il conclut que ces faits ont une force probante importante de l’improbabilité d’une coïncidence, notamment pour prouver que l’accusé a commis les actes dont on l’accuse[26].
[167] Dans l’arrêt Brooks, la Cour conclut que l’actus reus n’était pas en litige puisque l’appelant n’avait pas nié avoir touché à la patiente dont on voulait faire admettre la preuve comme fait similaire[27].
➢ L’accident
[168] La preuve de faits similaires peut servir à rejeter la possibilité qu’un geste soit accidentel[28].
[169] Lorsque la preuve de faits similaires est utilisée pour déterminer si des attouchements inappropriés dans le contexte d’une relation médecin/patiente étaient accidentels ou effectués dans le but d’une gratification sexuelle, le degré de similarité ne devrait pas suggérer plus que l’importation d’un comportement sexuel dans la relation professionnelle et, par conséquent, la manière de procéder ne doit pas nécessairement être la même pour chaque incident[29]. Par comparaison lorsque la preuve de faits similaires vise à prouver l’identité, un degré plus élevé de similitudes est nécessaire[30].
[170] Dans l’arrêt Brooks[31], l’appelant est un technicien de rayon-X qui a été accusé de trois chefs d’agressions sexuelles à l’égard de trois patientes. Le ministère public fait entendre une autre patiente et demande au juge d’inférer notamment de son témoignage que les attouchements aux trois plaignantes n’étaient pas accidentels.
[171] Quant à la défense d’accident, l’appelant avait nié avoir touché aux trois plaignantes de la façon dont elles l’avaient décrit, de sorte que la question d’un attouchement accidentel n’était pas soulevée à l’égard des chefs d’accusation portés. La preuve n’avait donc aucune pertinence à une défense d’accident[32].
➢ La crédibilité
[172] Sans l’application de la règle de la preuve de faits similaires entre les chefs d’accusation eux-mêmes, lorsqu’il s’agit d’évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins qui témoignent sur plusieurs chefs d’accusation, l’évaluation de la crédibilité et la fiabilité d’un témoin sur un chef peut éclairer de manière appropriée l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité de ce témoin sur tous les chefs d’accusation. Cependant le témoignage substantiel qu’un témoin donne au sujet d’un chef d’accusation ne peut pas être utilisé pour aider à prouver que l’accusé est coupable de tout autre chef d’accusation[33].
[173] Le Tribunal fait ici allusion au témoignage de B qui témoigne quant au chef d’agression sexuelle porté contre elle, mais aussi au sujet de l’événement concernant l’agression sexuelle de D.
[174] La preuve de faits similaires peut s’avérer utile afin de trancher la question de la crédibilité d’un plaignant ou de confirmer la version contradictoire d’un témoin à celle de l’accusé[34].
[175] L’évaluation de la crédibilité à l’étape de l’admissibilité n’est pas une évaluation de la crédibilité ultime. Au stade de l’admissibilité, il s’agit de déterminer si on peut raisonnablement y ajouter foi[35].
[176] Toutefois, il y a un certain danger à invoquer la question de la crédibilité générale des plaignantes sur les chefs d’accusation les concernant pour justifier l’admissibilité de la preuve de faits similaires. Cela peut accroître le risque de raisonnement par propension. Il faut donc préciser et circonscrire davantage un tel objectif poursuivi. Le juge devrait préciser avec suffisamment d’acuité les raisons qui mènent à la conclusion que la preuve de faits similaires est utile pour trancher des questions précises[36].
[177] Ceci diffère de la situation où la preuve est admise en partie pour étayer les versions des plaignantes quant à l’actus reus est en litige[37].
[178] Dans l’arrêt Jean[38], après avoir écarté le risque de collusion entre les plaignantes, le juge précise que la preuve de faits similaires est demandée afin d’étayer la crédibilité des plaignantes.
[179] La Cour ne voit aucune erreur dans la décision du juge d’admettre les éléments de faits similaires comme éléments à l’appui de la crédibilité des plaignantes. Elle note que le juge accepte la preuve de faits similaires que pour certains chefs et qu’il dresse la liste de 14 faits qu’il admet à titre de preuve de faits similaires et qu’il conclut que ces faits ont une force probante importante de l’improbabilité d’une coïncidence, notamment pour trancher la question de la crédibilité des plaignantes[39].
[180] Dans l’arrêt Brooks, quant à la question de la crédibilité des trois plaignantes, la Cour rappelle qu’il faut veiller à ne pas ouvrir une porte trop large à l’admission de la preuve de propension ou à ne pas lui permettre de trop supporter le fardeau de preuve du ministère public.
[181] Tout ce qui ternit la réputation de l’accusé peut, par ricochet, renforcer la crédibilité d’un plaignant. L’identification de la crédibilité comme question en litige peut, à moins d’être circonscrite, risquer l’admission de preuve qui n’est rien d’autre qu’une disposition générale en raison d’une mauvaise personnalité[40].
[182] Les questions générales telles la crédibilité, le récit ou la nature de la relation ne sont pas des portails vers une preuve de propension concernant des faits similaires qui ne font pas l’objet d’accusations[41].
[183] De l’avis de la Cour, le témoignage de la patiente était une preuve de propension ne faisant pas l’objet d’une accusation et elle n’était pas probante d’un fait en cause en l’espèce. Son admission uniquement pour étayer le témoignage des trois plaignantes ne constituait pas un fondement approprié pour admettre cette preuve, car sa seule pertinence aurait été que l’appelant était le genre de personne qui avait commis les actes en question[42].
d) La valeur probante
[184] Comme condition préalable à l’évaluation de la valeur probante, le juge doit examiner s’il existe d’autres explications à la preuve, par exemple si elle est entachée de collusion ou autrement. Si l’allégation de collusion présente un air de vraisemblance, il incombe au ministère public de la réfuter selon la prépondérance des probabilités[43].
[185] Pour évaluer la valeur probante, le juge doit tenir compte du degré de pertinence par rapport aux faits de la cause et de la force de l’inférence qui peut en être tirée. Elle doit être évaluée par rapport à la question à l’égard de laquelle la preuve est considérée comme pertinente. La question en litige doit dépasser la disposition générale de l’accusé[44].
[186] Une valeur probante fondée sur une forte improbabilité de coïncidence peut faire en sorte que la preuve d’actes similaires peut aider à évaluer la crédibilité des dénégations de l’accusé et de ses déclarations selon lesquelles il n’adopterait pas certains comportements et que les plaignantes ont dû mal interpréter. Encore faut-il qu’une telle utilisation de la preuve de fait similaire soit proposée[45], ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[187] La coïncidence visée est celle selon laquelle une personne, agissant indépendamment, donnerait par hasard le même type de preuve[46].
[188] La valeur probante d’une preuve de faits similaires dépend des modèles similaires constatés dans la conduite de l’accusé et de l’improbabilité objective d’une coïncidence. Lorsque de tels modèles similaires sont constatés, la valeur probante de la preuve est suffisamment élevée pour contrebalancer son effet préjudiciable potentiel.
[189] Le degré de similarité varie selon le but pour lequel la preuve de faits similaires est présentée et selon la disponibilité d’autres éléments de preuve[47].
[190] Pour évaluer la force probante de la preuve, le juge doit tenir compte 1) de la force de la preuve selon laquelle les actes extrinsèques en question ont été commis 2) du lien entre l’accusé et les faits similaires et de la mesure dans laquelle la preuve proposée étaye les inférences que la poursuite cherche à tirer et 3) de l’importance relative de la preuve, c’est-à-dire la mesure dans laquelle les éléments que la preuve tend à prouver portent en l’espèce sur des questions en litige.
[191] En ce qui concerne les deuxième et troisième facteurs, la poursuite doit être prête à établir exactement quelles inférences elle demandera au juge des faits de tirer de la preuve et dans quelle mesure la preuve tend à permettre de tirer ces inférences[48].
[192] Le seuil est peu élevé. Un élément de preuve qui présente une faible valeur probante peut être admis en preuve[49].
[193] La valeur probante d’une preuve de faits similaires n’est pas déterminée en cataloguant les similitudes et les dissemblances des actes sexuels allégués par différents témoins et en comparant la longueur des listes. Le contexte dans lequel les faits allégués se sont produits est au moins tout aussi important pour déterminer la valeur probante de la preuve. Les circonstances dans lesquelles certains comportements se produisent peuvent démontrer une continuité et un lien à ce comportement, même si les actes physiques décrits sont différents[50].
[194] Dans l’arrêt Jean[51], l’appelant plaide que le juge a erré en concluant que les faits dits similaires sont particuliers plutôt génériques, c’est-à-dire qu’on retrouve dans des dossiers de cette nature, à savoir de proxénétisme, et que, par conséquent, l’effet du préjudice moral et du préjudice par raisonnement est nettement plus préjudiciable que la valeur probante.
[195] La Cour note que le juge accepte la preuve de faits similaires que pour certains chefs et qu’il dresse la liste de 14 faits qu’il admet à titre de preuve de faits similaires et qu’il conclut que ces faits ont une force probante importante de l’improbabilité d’une coïncidence pour prouver que l’accusé a commis les actes dont on l’accuse et pour trancher la question de la crédibilité des plaignantes[52].
e) Les facteurs reliant les faits similaires aux circonstances
[196] Les facteurs reliant les faits similaires aux circonstances énoncées dans l’accusation peuvent être notamment.
(1) La proximité temporelle des actes similaires;
(2) La mesure dans laquelle les autres actes ressemblent dans leurs moindres détails à la conduite reprochée.
(3) La fréquence des actes similaires;
(4) Les circonstances entourant les actes similaires ou s’y rapportant;
(5) Tout trait distinctif commun aux épisodes;
(6) Les faits subséquents;
(7) Tout autre facteur susceptible d’étayer ou de réfuter l’unité sous-jacente des faits similaires[53].
[197] Il est nécessaire de prêter une attention particulière aux similitudes existant sur les plans de la nature, de la proximité temporelle et de la fréquence[54].
f) La collusion
[198] C’est au ministère public qu’il revient de réfuter par prépondérance des probabilités la collusion une fois qu’il est démontré un air de vraisemblance à des affirmations de collusion réelle[55] ou de collusion inconsciente[56].
[199] La collusion peut résulter à la fois d’un accord délibéré visant à concocter des preuves ainsi que d’une communication entre témoins qui peut avoir pour effet, consciemment ou inconsciemment, de colorer et d’adapter leurs descriptions des événement contestés.
[200] Le juge peut conclure qu’il est possible qu’en partageant leurs histoires les uns avec les autres, les témoins aient pu intentionnellement ou accidentellement modifier leurs histoires pour que leurs témoignages semblent plus similaires, tout en concluant que la preuve ne dépasse pas la simple possibilité et que la poursuite a démontré selon la prépondérance des probabilités que la preuve présentée n’était pas entachée de collusion[57].
[201] La collusion, la contamination entre les témoins de la preuve similaire, ou même la possibilité réaliste de collusion ou de contamination peuvent avoir une incidence sur la valeur probante d’une preuve de faits similaires. Elles sapent la justification de l’admission en preuve de faits similaires dans la mesure où elles offrent une explication de la similitude des preuves fournies par différents témoins autre que la probabilité hautement improbable d’une coïncidence.
[202] L’absence de collusion, de contamination ou de possibilité réaliste de collusion ou de contamination renforce presque inévitablement la valeur probante de faits similaires. La possibilité improbable d’une coïncidence reste alors souvent la seule explication innocente des récits très similaires des événements pertinents fournis par les témoins des faits similaires[58].
[203] Lorsqu’il y a plusieurs plaignants, la preuve de collusion rend la preuve de faits similaires moins susceptible d’être admise et, lorsqu’elle l’est, cela peut réduire le poids à être accordé à cette preuve[59].
[204] Il est possible que des discussions préalables entre les plaignantes et certaines modifications apportées à leurs versions ne permettent pas de conclure à l’existence de preuve de contamination ou de fabrication à la suite d’une analyse approfondie de la preuve[60].
[205] Bien que l’absence d’intention d’induire la justice en erreur n’est pas déterminante, il reste que le juge doit examiner l’impact des discussions sur la fiabilité de la version des témoins[61].
[206] Si les allégations d’un plaignant sont partagées avec un témoin de prétendue preuve de faits similaires avant que ce témoin formule son accusation, comme ce fut le cas en l’espèce pour ce qui est des allégations de D partagées avec B et des allégations de A, mise au courant des allégations de D, avant que A et B ne formulent leurs accusations, le témoignage du témoin d’un acte similaire (A et B) peut alors être vicié[62].
[207] Le contact entre les témoins ne constitue pas une fabrication de leurs histoires sans une collaboration à l’élaboration de leurs plaintes. Un plaignant peut démontrer qu’il n’était pas de connivence avec un témoin non appelé à la barre (D) et le juge peut considérer le témoignage d’un plaignant (A et B) entièrement crédible malgré cela et qu’il n’y a pas eu de collusion[63].
[208] Tout en reconnaissant qu’un risque de collusion a un air de vraisemblance, la poursuite peut démontrer, selon la prépondérance de preuve, qu’il n’y a pas eu de collusion et que les allégations des plaignantes sont véritablement indépendantes, même si les plaignantes se sont rencontrées à la suite des agressions alléguées avant de rencontrer les policiers. Il peut, par exemple, en être ainsi si les plaignantes n’ont pas discuté des détails des événements lors de leur rencontre[64]
g) L’effet préjudiciable
[209] Quant à l’effet préjudiciable, le juge doit déterminer si l’admission de la preuve entraînera une confusion chez le jury face à la multiplicité des incidents, de sorte qu’il accordera plus de poids que ce qui est justifié à la preuve de faits similaires, ce qui est dirigé comme étant le préjudicie par raisonnement, ou en déclarant l’accusé coupable uniquement sur la base d’une mauvaise personnalité, ce qui est désigné comme étant le préjudice moral.
[210] Le juge doit tenir compte de l’effet de l’admission de la preuve sur tous les aspects de l’équité du procès, y compris les aspects pratiques de la présentation de la preuve, l’équité envers les parties et les témoins, et l’effet potentiellement défavorisant (ou déformant) que la preuve peut avoir sur l’issue du procès[65].
[220] La preuve n’est pas préjudiciable du seul fait qu’elle est probante d’une inférence incriminante. Le préjudice signifie non pas le préjudice causé par une utilisation appropriée des éléments de preuve, mais plutôt par le préjudice qui pourrait être causé par une utilisation inappropriée de ces éléments de preuve. Le préjudice n’est pas inversement proportionnel à l’augmentation de la valeur probante de cette preuve .
➢ Les deux préjudices
[211] Lorsque le procès se tient devant un juge seul, impliquant uniquement l’application de preuves intrinsèques aux accusations, le risque de préjudice moral et par raisonnement est sérieusement atténué[66].
➢ Le préjudice moral
[212] Toutefois, le fait de se mettre en garde n’élimine pas le risque de préjudice moral. Puisque la mesure dans laquelle les doctrines de l’admissibilité restreinte peuvent prévenir un préjudice moral est limitée, les tribunaux doivent être très conscients de l’effet préjudiciable potentiel de l’admission d’une preuve de faits similaires, en particulier lorsque la conduite de faits similaires est répréhensible.
[213] Il y a moins de risque de préjudice moral lorsque les faits similaires en question concernent des chefs d’accusation entre eux[67].
➢ Le préjudice par raisonnement
[214] Si l’accusé ne peut répondre adéquatement à la preuve extrinsèque en raison du passage du temps, de la surprise ou de la nature accessoire de l’enquête, il s’agit d’une forme de préjudice par raisonnement, tout comme de consacrer indûment du temps de procès en se concentrant sur la question de savoir si les faits similaires ont eu lieu[68].
➢ Facteurs de l’effet préjudiciable
[215] Pour évaluer l’effet préjudiciable de la preuve, le juge peut tenir compte de divers facteurs, notamment :
a) le degré de discrédit de la conduite. Plus la conduite est incendiaire et flagrante, plus la probabilité de préjudice moral est grande;
b) la mesure dans laquelle la preuve peut étayer une conclusion de culpabilité fondée uniquement sur une preuve de mauvaise réputation;
c) la mesure dans laquelle la preuve peut semer la confusion chez le juge des faits et;
d) la capacité de l’accusé de répondre à la preuve[69].
h) La mise en balance de la valeur probante et des effets préjudiciables
[216] La preuve présumée inadmissible peut être exceptionnellement admissible lorsque sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable[70].
[217] Le juge doit identifier les liens possibles entre, d’une part, la force probante de la preuve déclarée recevable à titre de fait similaire et d’autre part, ce que l’on cherche à étayer ou à réfuter. Lorsqu’il statue sur la recevabilité de la preuve de fait similaire contestée, le juge doit déterminer si la poursuite a démontré selon la prépondérance des probabilités que la pertinence et la force probante de la preuve en question l’emportent sur son effet préjudiciable. Une fois cette preuve admise, sa pertinence et sa force probante s’apprécient au fond en tenant également compte de l’ensemble de la preuve reçue au procès[71].
[218] La valeur probante l’emporte sur le préjudice lorsqu’il serait contraire au bon sens de laisser entendre que les similitudes relèvent de la coïncidence[72].
[219] Le type d’examen des éléments de preuve dans un scénario de faits similaires constitués des chefs d’accusation entre eux peut être justifié par de multiples voies d’admissibilité qui n’entraînent pas de préjudice moral ou de raisonnement dans une mesure qui l’emporterait sur la force probante[73].
[220] L’examen de chaque point de similitude pris isolément décontextualise l’analyse de l’admissibilité des actes similaires. L’évaluation de la similitude est contextuelle et de multiples points de similitude peuvent fonctionner en tandem pour rendre la preuve de faits similaires suffisamment probante pour l’emporter sur son effet préjudiciable[74].
i) L’effet de l’admission ou non de la preuve de faits similaires
[221] Lorsque le procès se tient relativement à des accusations multiples et que la preuve de faits similaires s’applique à l’égard de certains chefs, elle ne s’applique pas pour les autres chefs d’accusation[75].
[222] En l’absence d’une preuve de faits similaires, le juge des faits doit examiner chaque chef d’accusation séparément et ne pas utiliser la preuve relative à un chef d’accusation comme preuve sur l’un des autres chefs d’accusation.
[223] Par ailleurs, que le juge ait conclu ou non à l’admissibilité de la preuve de faits similaires, la preuve ne peut être utilisée qu’aux fins pour lesquelles elle a été admise. Le juge des faits ne peut se fonder sur la preuve d’autres chefs d’accusation comme preuve que l’accusé est le genre de personne qui commettrait l’infraction ou les infractions[76].
Aucun commentaire:
Publier un commentaire