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mercredi 20 août 2025

Une personne accusée d’une infraction criminelle et assignée comme témoin dans un procès d’une autre personne accusée séparément de la même infraction ne peut refuser de témoigner dans ce procès en invoquant simplement son droit au silence

Sheikh c. R., 2017 QCCA 766

Lien vers la décision


[39]        Auparavant, au paragraphe 9, il avait indiqué quelles étaient les questions soulevées par le pourvoi :

Le présent pourvoi soulève principalement une question précise: une personne accusée séparément d'une infraction est-elle un témoin contraignable au procès criminel d'une autre personne accusée de la même infraction? Cependant, pour répondre à cette question précise, il nous faut entreprendre une analyse bien plus poussée. On nous demande d'examiner des questions fondamentales comme le principe interdisant l'auto-incrimination, le droit de garder le silence, la protection offerte par les privilèges du témoin et la perspective de l'immunité relative à la preuve. En quoi ces concepts s'harmonisent-ils avec notre système de justice criminelle et comment faut-il les traiter par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés?

[40]        Puis, aux paragraphes 23 et 24, il précise de quelle façon seront traitées ces questions :

Dans l'avis d'appel devant notre Cour, l'appelant énonce une question de droit semblable à la question précise formulée au début. En conséquence, notre Cour se trouve saisie d'une seule question que l'on peut formuler dans les termes généraux suivants:

Une personne accusée séparément d'une infraction est-elle un témoin contraignable au procès criminel d'une autre personne accusée de la même infraction, ou la contraignabilité dans ce contexte violerait-elle l'art. 7 de la Charte?

Pour répondre à cette question générale, il nous faudra examiner les questions constitutionnelles suivantes formulées le 19 juillet 1993:

1.      L'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, porte-t-il atteinte à l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.      Si la réponse est affirmative, s'agit-il d'une restriction raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer, conformément à l'article premier de la Charte?

[41]        Au final, les neuf juges de la Cour suprême ont répondu non à la première question constitutionnelle et, dans quatre opinions distinctes, ils ont décidé d’accueillir l’appel en estimant que le juge de première instance avait eu tort d’annuler le supboena en considérant comme absolu le droit au silence.

[42]        Voici la conclusion à laquelle arrive le juge Iacobucci au paragraphe 204, en s’exprimant aussi au nom des juges La Forest, Cory et Major :

Je conclus alors que le témoin J.P.M. était régulièrement contraignable en l'espèce. Dans le contexte du procès criminel de R.J.S., J.P.M. ne peut revendiquer à juste titre une protection aussi générale que le droit de garder le silence ou le privilège de ne pas s'incriminer. Il peut être contraint de témoigner en vertu de la règle générale applicable à tous les témoins, et le principe interdisant l'auto-incrimination est respecté si on lui accorde une immunité suffisante. Une immunité suffisante n'est pas la même chose qu'une immunité absolue contre l'utilisation de la preuve dérivée. Au contraire, le principe est respecté si J.P.M. bénéficie d'une immunité contre l'utilisation de la preuve visée à l'art. 13 de la Charte, ainsi que d'une immunité résiduelle contre l'utilisation de la preuve dérivée relativement à la preuve qui n'aurait pu être obtenue sans son témoignage forcé. Le juge du procès reconnaîtra cette immunité résiduelle par l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais il y aura probablement exclusion du fait que le principe interdisant l'auto-incrimination exige la préservation de l'équité du procès.

[43]        Pour sa part, le juge Sopinka, avec le concours de la juge McLachlin, déclare ce qui suit au paragraphe 326 :

Je conclus qu'une personne accusée peut avoir droit à une exception au principe selon lequel l'État a droit au témoignage de toute personne, comme principe de justice fondamentale en vertu de l'art. 7. La personne qui invoque l'exception devrait, en règle générale, faire valoir ce droit avant de témoigner et a le fardeau de convaincre le juge que, dans toutes les circonstances, l'atteinte à ses droits l'emporte sur la nécessité d'obtenir le témoignage en question. […]

[44]        Pour sa part, le juge en chef Lamer conclut de la façon suivante au paragraphe 8 :

Vu les faits de l'espèce, je partage l'opinion du juge Sopinka que le juge de première instance a commis une erreur en annulant le subpoena délivré contre J.P.M. sur le fondement que ce dernier possédait un droit absolu de garder le silence, qui le rendait non contraignable. Je suis aussi d'accord avec les conclusions du juge Iacobucci sur les autres questions soulevées en l'espèce, et suis d'avis de répondre aux questions constitutionnelles de la façon qu'il propose.

[45]        Finalement, voici ce que déclare la juge L’Heureux-Dubé avec l’appui du juge Gonthier, au paragraphe 295 :

Ce qui est nécessaire afin de trouver un équilibre véritable entre les intérêts du témoin contraint de témoigner et ceux de l'État, est une approche qui réponde aux deux pôles de cette équation. Les témoins ne doivent pas être contraints à participer à un simulacre mais ne doivent pas non plus être autorisés à se protéger derrière de faux murs. Un mode important de dissuasion contre une conduite fondamentalement inéquitable de la part du ministère public doit permettre de protéger le témoin contraint de témoigner contre les abus de pouvoir de l'État. Puisque, pour l'essentiel, mes deux collègues envisagent le problème sous un seul angle, ce genre de dissuasion n'entre pleinement en jeu ni dans l'une ni dans l'autre des approches qu'ils proposent. Je note que le Juge en chef favorise et l'approche fondée sur l'immunité contre la preuve dérivée et celle de mon collègue le juge Sopinka en matière de non-contraignabilité. Avec égards, j'estime que cette combinaison ferait pencher indûment la balance en faveur du témoin (accusé) et allongerait considérablement les procédures sans ajouter beaucoup à leur contenu.

[46]        Cela l’amène à la conclusion suivante au paragraphe 298 :

Compte tenu de ma conclusion quant à ce qui serait, de la part du ministère public, une conduite de nature à violer l'art. 7, je suis convaincue que les protections offertes au témoin en vertu des art. 7 et 13 de la Charte sont telles que, même si l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada abroge le privilège de common law contre l'auto-incrimination, ceci ne rend pas l'art. 5 inconstitutionnel. L'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada ne viole pas l'art. 7 de la Charte.

[47]        En définitive, on peut tirer de cet arrêt fort élaboré les conclusions suivantes :

1°        Le privilège du droit au silence qui résulte du principe interdisant l’auto-incrimination n’est pas absolu.

2°        Une personne accusée d’une infraction criminelle et assignée comme témoin dans un procès d’une autre personne accusée séparément de la même infraction ne peut refuser de témoigner dans ce procès en invoquant simplement son droit au silence.

3°        Cette personne jouit cependant d’une immunité selon laquelle son témoignage forcé ne pourra servir à l’incriminer elle-même pour l’infraction en question.

[48]        Dans le Traité général de preuve et de procédure pénales, notre collègue, le juge Martin Vauclair, traite de cet arrêt et d’autres arrêts concernant ces questions dans les termes suivants :

1466.    La question s’est posée de savoir si le fait de contraindre une personne à témoigner est contraire aux règles de justice fondamentale lorsque la personne assignée est un coaccusé dans un dossier différent ou est susceptible de l’être éventuellement. Certains tribunaux avaient soutenu que le fait de contraindre cette personne à donner des réponses l’amenant à dévoiler sa défense éventuelle constituait une violation de l’article 7 de la Charte.

1467.    La Cour suprême a cependant rejeté cette théorie dans l’arrêt S. (RJ.). Toutefois, dans les arrêts PrimeauJobin et Branch, elle a déclaré qu’il y aurait alors violation de l’article 7, qui protège l’individu contre l’auto-incrimination, si la personne assignée démontrait que le principal objectif poursuivi par son assignation était de l’amener à s’incriminer. On ne pourrait contraindre une personne à témoigner sans objectif valable relatif à la recherche de la vérité. On a par ailleurs rejeté la théorie qu’il y aurait violation de l’article 7 du fait qu’on assignerait un collaborateur de la cible de l’enquête, lequel pourrait dévoiler des éléments de stratégie de la défense, ou qu’on assignerait des témoins d’un acte criminel qui aurait été commis.

1468.    Hormis cette exception somme toute très étroite, la personne devra témoigner. Toutefois, cela ne saurait signifier que la poursuite est nécessairement à l’abri d’une allégation de contravention à l’équité que pourrait faire valoir le témoin s’il devait éventuellement faire face à une accusation. Ainsi, se servir de sa contraignabilité principalement pour l’amener à s’incriminer plutôt que pour faire la lumière sur l’accusation portée constitue une violation de l’article 7 de la Charte et peut donner lieu, lors de son procès subséquent, à l’exclusion de la preuve obtenue en conséquence. Cette preuve peut même être un témoignage. Par ailleurs, le témoin jouit évidemment, tant en vertu de la Loi sur la preuve au Canada que de la Charte, d’une protection relativement à l’utilisation ultérieure de son témoignage et de la preuve en découlant. Ce sera a fortiori le cas de la personne à qui on a conféré une immunité contre I’utilisation de son témoignage pour l’incriminer directement ou indirectement. La Cour d’appel du Québec a rappelé que le droit au silence n’est pas absolu et qu’un individu peut être contraint de témoigner dans le cadre de procédures d’entraide internationale.[21]

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