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dimanche 7 septembre 2025

Ce qu’il faut entendre par « urgence de la situation » et « difficilement réalisable » face à une perquisition sans mandat sous le par. 11(7) de la LRCDAS

R. c. Paterson, 2017 CSC 15

Lien vers la décision


[32]                        Cela dit, l’« urgence de la situation » a été reconnue dans des cas qui s’apparentaient beaucoup à ceux mentionnés dans la définition du par. 529.3(2). Les décisions de la Cour relatives à l’application de l’art. 10 de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, c. N‑1 (abrogée et remplacée par la LRCDAS), lequel disposait qu’une perquisition pouvait être effectuée sans mandat, sauf dans une maison d’habitation, lorsque l’agent de la paix croyait, pour des motifs raisonnables, à la perpétration d’une infraction en matière de stupéfiants, sont éclairantes. Dans l’arrêt R. c. Grant1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223 (« Grant 1993 »), la Cour statue que cette disposition respecte l’art. 8 de la Charte lorsqu’elle fait l’objet d’une interprétation atténuée de façon à permettre la perquisition sans mandat seulement en situation d’urgence. La Cour opine qu’il y a situation d’urgence lorsqu’il existe « un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée » (Grant 1993, p. 243; R. c. Feeney1997 CanLII 342 (CSC)[1997] 2 R.C.S. 13, par. 153, la juge L’Heureux‑Dubé, dissidente; R. c. Silveira1995 CanLII 89 (CSC)[1995] 2 R.C.S. 297, par. 51, le juge La Forest, dissident). De même, elle estime par ailleurs qu’il y a « situation d’urgence quand une action immédiate est requise pour assurer la sécurité des policiers » (Feeney, par. 52; voir également, relativement aux fouilles et aux perquisitions visant à assurer la sécurité des policiers, R. c. MacDonald2014 CSC 3[2014] 1 R.C.S. 37, par. 32, où la Cour affirme que ces fouilles et ces perquisitions constituent une réponse « à une situation dangereuse créée par une personne, situation à laquelle les policiers doivent réagir sous l’impulsion du moment »). Dans l’arrêt Feeney, la Cour ajoute au par. 47 qu’il peut y avoir situation d’urgence lorsqu’un policier prend un suspect « en chasse » (voir également R. c. Macooh1993 CanLII 107 (CSC)[1993] 2 R.C.S. 802, p. 820-821).

[33]                        Le thème commun qui émerge de ces descriptions de situations constituant des situations urgentes visées au par. 11(7) (« exigent circumstances » dans la version anglaise) dénote non pas simplement l’idée de commodité, d’avantage ou d’économie, mais plutôt d’urgence, une urgence découlant de circonstances qui commandent une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. Cette interprétation est confirmée par le texte même de la version française du par. 11(7), « urgence de la situation ».

[34]                        Par ailleurs, l’urgence de la situation ne justifie pas à elle seule la perquisition sans mandat d’une résidence sur le fondement du par. 11(7). Elle doit en effet rendre l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable ». À cet égard, je ne puis malheureusement pas convenir avec la Cour d’appel que, pour l’application du par. 11(7), lorsque l’obtention d’un mandat est difficilement réalisable, il y a nécessairement urgence de la situation. Le libellé du par. 11(7) (« lorsque l’urgence de la situation rend [l’]obtention [d’un mandat] difficilement réalisable ») montre clairement que le caractère difficilement réalisable de l’obtention d’un mandat ne permet pas de conclure à l’urgence de la situation. L’urgence de la situation doit plutôt être établie pour que l’obtention d’un mandat puisse être jugée difficilement réalisable. Autrement dit, le caractère « difficilement réalisable », quel que soit le sens de l’expression, ne saurait justifier une perquisition sans mandat en application du par. 11(7) au motif qu’il en découle une urgence de la situation. Il faut plutôt établir que l’urgence de la situation a fait en sorte que l’obtention d’un mandat était difficilement réalisable.

[35]                        Selon l’appelant, la condition que l’« urgence de la situation » rende l’obtention d’un mandat « difficilement réalisable » commande en effet que [traduction] « les policiers n’aient alors d’autre choix que d’entrer dans une maison d’habitation ». En d’autres termes, il soutient que le caractère « difficilement réalisable » doit s’entendre de l’impossibilité. En revanche, le ministère public fait valoir que le critère applicable est beaucoup moins strict, de sorte que l’obtention d’un mandat ne doit être ni [traduction] « réaliste » (quoi que cela puisse vouloir dire) ni « pratique ».

[36]                        Les prétentions de l’appelant ne me convainquent pas que le qualificatif « difficilement réalisable » retenu par le législateur suppose l’application de la condition stricte de l’impossibilité. Celles du ministère public ne me convainquent pas non plus qu’il sera « difficilement réalisable » d’obtenir un mandat de perquisition du seul fait que ce sera « peu pratique ». Cependant, considéré dans le contexte du par. 11(7), dont le critère de l’urgence de la situation, le qualificatif « difficilement réalisable » suppose, tout bien considéré, l’application d’un critère plus strict voulant que l’obtention d’un mandat soit impossible dans les faits ou inenvisageable. Dans la version anglaise de la disposition, le terme correspondant à « difficilement réalisable »  « impracticable » — se concilie également avec l’application d’une condition moins stricte que l’impossibilité mais plus stricte que celle du caractère « peu pratique »[3]. Dans cette optique, le qualificatif employé au par. 11(7) suppose que la nature urgente de la situation est telle que prendre le temps d’obtenir un mandat compromettrait sérieusement l’objectif de l’intervention policière, qu’il s’agisse soit de préserver la preuve, soit d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public.

[37]                        Dès lors, pour qu’une entrée sans mandat réponde aux exigences du par. 11(7), le ministère public doit démontrer qu’elle s’imposait en raison de l’existence d’une urgence commandant une intervention immédiate des policiers afin de préserver des éléments de preuve ou d’assurer la sécurité des policiers ou celle du public. De plus, il faut démontrer que cette urgence était telle que prendre le temps d’obtenir un mandat aurait sérieusement compromis ces impératifs.

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