Gignac c. R., 2013 QCCA 752
[27] Les appelants n'ont pas prétendu qu'ils avaient une attente subjective en matière de vie privée. Ils n'on pas tenté de faire cette preuve, comme le relate la première juge[29]. Ce critère n'est, il est vrai, pas très exigeant[30]. Mais cette attente ne pouvait être marquée pour ce qui concerne les portes d'expéditions de l'immeuble.
[28] Le local surveillé étant une propriété privée, une certaine attente de vie privée existait, mais il ne s'agit pas ici d'une chambre d'hôtel dont la porte est fermée comme dans l'affaire Wong. Le local des appelants est commercial, accessible au public et visible de la voie publique. L'attente ne pouvait être que limitée. D'un autre côté, comme le souligne à juste titre la juge, la fabrication et la vente de produits du tabac sont sévèrement réglementées. Les appelants sont tenus de déclarer leur production et leur volume de ventes.
[29] Si l'on s'arrête à l'objet de l'enregistrement contesté[31], la surveillance se concentrait sur les portes de livraison de la manufacture, avec pour objectif de quantifier le tabac qui en sortait. L'emplacement des caméras ne permet pas d'en douter. Les enquêteurs cherchaient à déterminer la production de tabac écoulée par les appelants. L'appelant possédait certes un droit sur la production et les ventes, mais il avait l'obligation, en vertu de la loi, de rendre des comptes précis et exacts. Les activités observées n'étaient pas dissimulées.
[30] Les appelants peuvent-ils néanmoins prétendre à une attente objectivement raisonnable de vie privée ? Il faut rappeler que « le besoin de voir respecter sa vie privée peut varier selon la nature de ce qu'on veut protéger, les circonstances de l'ingérence de l'État et l'endroit où celle-ci se produit, et selon les buts de l'ingérence »[32].
[31] Plusieurs éléments factuels doivent être soupesés : le chargement des livraisons se faisait à la vue du public; seule une connaissance particulière des obligations édictées en vertu des lois régissant le tabac permettait de déceler une irrégularité; plusieurs personnes avaient accès à l'immeuble, qui n'était pas exclusivement occupé par les appelants; deux caméras ne pouvaient faire de « zoom » alors qu'une permettait de voir comme si un agent utilisait des jumelles de rapprochement; une personne déambulant sur le trottoir, en bordure de la route 157, pouvait faire des constatations analogues à celles faites à l'aide des caméras de surveillance; l'activité que les appelants veulent protéger est strictement réglementée.
[32] Il faut qualifier l'endroit où la surveillance (« perquisition ») s'est déroulée[33]. Or, les policiers ont marché en un endroit sur une bordure de 56 centimètres du terrain des appelants pour installer des caméras sur des poteaux d'utilité publique. Tout comme dans l'arrêt Patrick, « l’intrusion physique de la police avait un caractère relativement périphérique»[34]. Et contrairement à cette affaire, il s'agit ici d'un commerce ouvert au public et non d'une maison d'habitation. Cet empiètement était temporaire et superficiel et la juge conclut, à bon droit, qu'il est « sans incidence »[35].
[33] Récemment, notre Cour arrivait à une conclusion semblable alors qu'une fouille sans mandat effectuée à 23 pieds de la voie publique a été considérée comme périphérique[36]. Ajoutons que les lieux observés étaient à la vue du public[37].
[34] Venons-en maintenant au caractère envahissant de la conduite policière vis-à-vis du droit à la vie privée[38].
[35] Il ne fait pas de doute que la police a utilisé un moyen envahissant, soit l'enregistrement en continu à l'aide de caméras placées à l'insu des appelants[39]. La juge de première instance ne l'ignore pas, elle mentionne que « [l]a technique utilisée permettait de capter des images sur une longue période alors que la présence d'un agent de police aurait forcément attiré l'attention »[40]. Elle note également que la preuve obtenue dépasse celle qu'aurait pu observer un agent[41].
[36] La technique utilisée était-elle pour autant objectivement déraisonnable ?[42] Je ne le crois pas.
[37] L'infraction était très difficile à déceler parce que dissimulée dans les activités normales de l'entreprise. Les enquêteurs devaient colliger une multitude d'informations afin de révéler la supercherie. Sans ces données, il n'était pas possible de conclure qu'une quantité importante de tabac était produite sans être déclarée conformément à la loi.
[38] La technique était beaucoup moins envahissante que dans l'affaire Duarte. De plus, comme il a été souligné dans l'affaire Hunter, « il faut dans chaque cas trouver un équilibre réaliste entre le droit au respect de la vie privée et les besoins légitimes en matière d’application de la loi et d’enquêtes criminelles »[43]. La juge de première instance considère, à bon droit, que cet équilibre n'a pas été rompu.
[39] Enfin, la surveillance n'a pas révélé de détails intimes ou des renseignements d'ordre biographique concernant les appelants. Aucun renseignement personnel n'a été obtenu. Pour ce qui concerne le volume d'affaires des appelants, il s'agit de données qui doivent de toute façon être déclarées en vertu de la loi.
[40] En somme, la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en décidant que les appelants n'avaient pas d'attente raisonnable de vie privée en regard de leurs ventes et livraisons de tabac.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire