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lundi 1 septembre 2025

La Poursuite peut imposer des modalités pour établir le moment et la forme de la communication de la preuve, notamment en matière de pornographie juvénile

Abel c. R., 2023 QCCA 824

Lien vers la décision


[29]      Une deuxième demande d’accès est déposée le 16 novembre 2018, après l’enquête préliminaire. L’appelant requiert de nouveau que toutes les pièces lui soient communiquées, plus précisément que lui soit remise une copie miroir du matériel informatique afin de pouvoir analyser la preuve et la soumettre à un expert « pour bien connaître les détails relatifs à ces informations et les données techniques associées à ces informations », selon les termes de sa demande. 

[30]      L’intimé et l’intervenant, le Centre canadien de protection de l’enfance, s’y opposent et proposent, encore une fois, un accès à la preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec selon certaines modalités, dont le but est la protection des enfants et l’établissement d’un obstacle à la dissémination de la pédopornographie.

[31]      Cette demande est entendue par le juge du procès. Un enquêteur de la division technologique de la Sûreté du Québec témoigne sur les précautions à prendre avant d’autoriser la consultation de fichiers contenant de la pornographie juvénile et la faisabilité d’une expertise dans les conditions proposées par l’intimé. La consultation sur place par un expert de la défense prendrait une demi-journée et une expertise, environ une semaine.

[32]      Le juge conclut que le droit à une défense pleine et entière n’est pas enfreint par les conditions proposées par la poursuite :

[50] Enfin, les modalités proposées par le ministère public entraînent certes des inconvénients ou des irritants pour le requérant, son procureur et l’expert qu’ils retiendront éventuellement. Toutefois, outre des inconvénients d’ordre logistique, le requérant ne démontre pas en quoi son droit à une défense pleine et entière est atteint du fait qu’il doit aller consulter la preuve dans les locaux de la Sûreté du Québec, plutôt que d’en recevoir une copie intégrale.

[33]      Il rejette tout autant l’argument selon lequel les conditions sont indûment strictes, au point où elles empêchent tout expert d’accepter le mandat :

[52] La preuve révèle également que la multitude d’experts contactés par le requérant n’a pas refusé d’accepter le mandat en raison des contraintes imposées par le ministère public. La situation est toute autre : la liste d’experts potentiels ayant refusé d’accepter le mandat fait plutôt état d’entreprises qui, pour la plupart, n’acceptent pas de mandats de particuliers. Des 29 entreprises répertoriées, 2 refusent, car elles sont incapables d’effectuer des analyses suffisamment poussées, 14 car elles ne travaillent que pour des entreprises ou ne travaillent pas pour les particuliers, 9 car elles ne font pas d’analyse ou de dépannage, 1 car elle ne veut pas être exposée à ce type de matériel et 3 car elles n’ont pas les compétences ou la disponibilité requises.

[53] Considérant la nature hautement sensible du matériel, les intérêts en cause et le refus du requérant d’être assujetti à des restrictions permettant de tempérer le risque de dissémination de pornographie juvénile, il est nécessaire de restreindre la possibilité ou le risque que la preuve soit disséminée, copiée ou circulée ou que des tiers non autorisés y aient accès.

[54] Le Tribunal est d’avis que le ministère public a exercé sa discrétion en matière de communication de la preuve de façon raisonnable et que la consultation dans un environnement sécurisé constitue un juste équilibre entre le droit du requérant à la communication de la preuve et à une défense pleine et entière et les droits et intérêts des victimes figurant dans le matériel dont on demande copie.

[34]      Je ne vois pas d’erreur dans cette décision. Bien que l’accusé ait droit à la communication de la preuve et qu’il puisse évidemment faire une demande de communication supplémentaire, la poursuite conserve un pouvoir discrétionnaire de choisir « le moment et la forme de la divulgation » : R. c. Stinchcombe1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326, p. 339. Le refus de communiquer des renseignements pertinents ne peut toutefois se justifier « que par l'existence d'un droit au secret qui soustrait ces renseignements à la divulgation » : Stinchcombe, p. 327.

[35]      Ce pouvoir discrétionnaire peut toutefois être l’objet d’un contrôle exercé par un tribunal compétent, de sorte que le juge de la Cour supérieure avait compétence pour examiner la conduite de la poursuite, comme il l’a fait.

[36]      Il va de soi que les éléments de preuve saisis dans les ordinateurs et le téléphone portable de l’appelant sont pertinents tant pour la poursuite que la défense. La poursuite devait donc démontrer qu’il était dans l’intérêt de la justice de restreindre l’accès à la preuve : Stinchcombe, p. 340. Je n’ai aucun doute que c’est le cas ici. S’ils devaient être divulgués et, en principe, être communiqués, il reste qu’ils entrent dans la catégorie des éléments de preuve dont l’accès doit être balisé. Comme l’écrivaient les juges Watt et Paciocco dans York (Regional Municipality) v. McGuigan2018 ONCA 1062, il arrive que certains éléments de preuve ne doivent pas être reproduits ou remis à la défense :

[93] Ordinarily, disclosure is achieved by providing photographs, photocopies or electronic copies of documents or things capable of reproduction: Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charge Screening, Disclosure, and Resolution Discussions, the Hon. G. Arthur Martin, Chair (Ontario: Queen's Printer, 1993), at pp. 234-35, 470-72, recommendation 41.12 (the "Martin report"). This is arguably what Sopinka J. envisaged in Stinchcombe when he spoke, at p. 338 S.C.R., of "[p]roduction to the defence". Yet some things, such as pornographic images of children, should not be copied. Other information may be too sensitive to lose control over. In these exceptional cases, where it is in the interests of justice to do so, inspection by the defence may have to do: R. v. Blencowe (1997), 1997 CanLII 12287 (ON SC)35 O.R. (3d) 536, [1997] O.J. No. 3619 (Gen. Div.), at p. 44 O.R. [page100].

[37]      Il peut arriver, au moment où la poursuite prend sa décision, qu’une inspection suffise et que la remise des pièces soit refusée afin de ne pas perdre « le contrôle » de ces éléments de preuve. Parfois, et je dirais même généralement, des éléments de pornographie juvénile ne devront pas être copiés ou autrement remis à la défense dès ce stade ou même plus tard. D’une part, il s’agit de pièces dont la possession est interdite et dont il faut évidemment limiter totalement la dissémination. Un engagement de la part de l’avocat et de l’accusé doit à tout le moins être souscrit, mais même l’engagement le plus sévère signé par un avocat pourra, dans certains cas, être insuffisant, puisque l’accusé pourrait ensuite vouloir lui-même les examiner et qu’une erreur informatique entraînant leur mise en circulation serait toujours possible. D’autre part, la dignité et la vie privée d’enfants victimes de violence sexuelle doivent être adéquatement protégées, ce qui exige parfois de strictes modalités de communication de preuve et même d’accès. La dissémination de pédopornographie, même par inadvertance, alimente cette violence sexuelle puisque l’enfant qui en est victime « vit en sachant que d’autres personnes peuvent accéder aux films ou aux images, qui peuvent à tout moment refaire surface dans sa vie » : R. c. Friesen, 2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, paragr. 48, références omises.

[38]      La poursuite doit naturellement prendre sa décision en considérant le droit à une défense pleine et entière. À ce sujet, je suis d’accord avec le juge Cameron lorsqu’il écrit, dans R. v. O. (W.A.), 2001 SKCA 64 :

[22]   With that, we may turn to the second limb of the issue, concerning the exercise of the Crown's discretion in this instance. Having disclosed the existence and content of the tape, Crown counsel chose not to provide a copy of the tape to defence counsel, offering instead to provide defence counsel an opportunity to inspect and view the tape. Crown counsel did so on the basis of protecting the privacy interests of the complainant, on the one hand, and of enabling the accused to examine the tape, on the other. 

[23]   In our judgment, the Crown cannot be said to have exercised its discretion on an improper basis, though it remains to consider whether the effect was to infringe the appellant's right to make full answer and defence. The complainant was deeply concerned lest her privacy, and that of her children, be further compromised should the tape fall into another's hands. Given the content of the tape and the risk of it falling into the wrong hands, this is readily understandable and was worthy of consideration. And if, as Crown counsel thought—and Dawson J. held—the appellant's right to make full answer and defence was not compromised in the result, there can be no interfering with Crown counsel's exercise of this discretion.

[39]      En somme, comme tout pouvoir discrétionnaire, il doit être exercé judiciairement et judicieusement, ce qui signifie que la décision de la poursuite peut être contrôlée par un tribunal compétent et qu’il faut prendre en compte le droit à une défense pleine et entière. Or, l’appelant ne fait pas ici la démonstration d’une atteinte à son droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, comme cela lui incombe : R. c. Dixon1998 CanLII 805 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 244, paragr. 32 et R. v. O. (W.A.)précité, paragr. 25.

[40]      En réalité, l’appelant n’a fait aucun effort pour tenter de trouver une solution. Il a sans cesse demandé, sans équivoque, une copie complète de la preuve, sans s’interroger sur les alternatives et, surtout, sans démontrer en quoi l’examen des éléments de preuve aux bureaux de la Sûreté du Québec le privait de son droit à une défense pleine et entière. Il n’évoque que des hypothèses sans lien avec le dossier, même dans son mémoire. Ainsi, après avoir affirmé que « [l]’examen des fichiers, essentiel à la défense pleine et entière de l’appelant, nécessite d’avoir une copie des fichiers, et non seulement de pouvoir les consulter au poste de police », il écrit :

Ceci permet à la Défense de faire sa propre évaluation de la qualité de la preuve et d’effectuer de possibles enquêtes. Ainsi, en regardant les fichiers, la Défense peut observer, en outre, les participants à cette photo, le lieu où cette photo aurait été prise, les expressions faciales des participants, les marques ou l’absence de marques sur le corps des participants.

[41]      Je ne vois pas en quoi un examen au poste de police ne permet pas d’observer les participants, le lieu, les expressions faciales ou les marques sur leur corps. Qui plus est, je doute fortement qu’il puisse s’agir de faits importants pour la défense. D’ailleurs, aucun effort n’a été fait, pas même à l’enquête préliminaire, pour établir l’importance d’avoir une copie complète de la preuve. Ainsi, la Demande de l’Accusé pour obtenir copie des documents de novembre 2018, qui mentionne que « [l]’Accusé a aussi besoin de connaître les données numériques associées à ces documents, et pas seulement connaître les seules données que la Poursuivante veut bien dévoiler » et que « [l]a Poursuivante prive l’Accusé d’une défense pleine et entière et rend le procès à venir inéquitable » n’explique pas en quoi cela était si nécessaire pour assurer une défense pleine et entière. Il en est de même de l’affirmation selon laquelle « [l]’Accusé ne dispose d’aucun moyen de vérifier la qualité de la preuve que la Poursuivante se propose d’opposer à l’Accusé, tant avant, pendant qu’après le procès ».

[42]      Bien sûr, les modalités retenues par la poursuite n’étaient pas idéales pour la défense, mais l’accusé a droit à un procès équitable, non à un procès parfait.

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