R. c. Pierre, 2023 QCCQ 6731
[109] Il est clair que le simple fait de décharger une arme à feu, même intentionnellement, ne suffit pas en soi pour soutenir une condamnation sous l’art. 244.2[119]. Le législateur prévoit que le coup de feu doit être juxtaposé à une insouciance quant à la vie ou la sécurité d’autrui (élément de la mens rea). L’insouciance requiert la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise[120].
[110] Ainsi, l’infraction exige de prouver que l’accusé envisageait la possibilité que la décharge compromette la vie ou la sécurité d’autrui et que, conscient de ce fait, il a quand même fait feu[121] en direction de la cuisine.
[111] Toutefois, l’infraction ne requiert pas la preuve d’une intention spécifique de causer des lésions corporelles à autrui[122]. Au même chapitre, l’infraction ne requiert même pas une intention subjective de mettre en péril la sécurité ou la vie d’autrui[123]. Il s’agit d’un crime d’intention générale[124].
[112] Dans quelles circonstances pourra‑t‑on conclure que la décharge compromet la vie ou la sécurité d’autrui? En l’espèce, la Couronne réfère à l’emplacement des parties, notamment la grandeur de l’appartement, le fait qu’il soit bordé d’autres unités résidentielles et le fait que l’immeuble se trouve dans un centre métropolitain.
[113] Dans l’arrêt R. c. Griffith, la Cour d’appel mentionnait que l’infraction serait commise si le délinquant « choisit volontairement de ne pas voir » avant de décharger une arme à feu en direction de personnes dont il ne peut ignorer la présence et, d’autre part, qui le fait alors qu’il se trouve dans un milieu urbain qui était, par définition, un regroupement dense d’êtres humains. Dans un tel contexte, la conclusion qu’il connaissait le risque devient inéluctable[125]. Malgré la pertinence de ces énoncés généraux, le contexte de l’affaire se distinguait nettement du présent dossier. L’accusé Griffith avait tiré des coups de feu en direction d’un stationnement extérieur adjacent à plusieurs immeubles résidentiels et commerciaux, dans lequel se trouvaient plusieurs personnes. En l’espèce, la preuve ne démontre pas que Pierre aurait tiré en direction d’une personne.
[114] Dans l’arrêt R. c. Goupil, la Cour d’appel a statué que le fait de tirer deux coups de feu pour éloigner des chiens, dont le second à hauteur d’homme, dans un secteur habité, démontrait une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui[126]. Cet énoncé, fait dans le contexte d’un quartier rural, est également d’une pertinence limitée puisque les coups de feu avaient été tirés à l’extérieur, alors que son voisin s’approchait des lieux.
[115] Sans nommer la décision explicitement, il appert que la Couronne en l’espèce référait à l’arrêt R. c. Vézina[127]. Dans cette affaire, l’accusé, désorganisé et en état d’ébriété, dans le contexte d’une querelle conjugale, avait tiré 15 coups du fusil de calibre 12 à l’intérieur de sa résidence. Au moment du premier coup de feu sur un mur, quatre occupants se trouvaient encore dans la maison, un cottage de deux étages situé dans un quartier résidentiel. L’accusé se trouvait dans la chambre à coucher au deuxième étage lors de la première décharge, alors que la victime se trouvait au rez‑de‑chaussée et les autres invités étaient dans le sous‑sol. Après la sortie précipitée des témoins, l’accusé a continué à tirer des coups de feu, tous dans la chambre à coucher. Des grenailles de plomb ont été trouvées dans le plafond, sur le plancher, au‑dessus de la garde‑robe et dans un meuble.
[116] Je note que contrairement au présent dossier, Vézina était accusé en vertu de l’alinéa 244.2(1)(a) C.cr., qui lui reprochait d’avoir déchargé une arme à feu en direction d’un lieu, sachant (ou sans se soucier) qu’il s’y trouvait une personne. En confirmant la condamnation, la Cour d’appel a statué que l’élément « en direction d’un lieu » pouvait englober le fait de tirer de l’intérieur de la maison, puisque « lieu » comprenait toute partie d’un bâtiment[128].
[117] Quant à la mens rea requise, la Cour d’appel a évalué l’insouciance non pas par rapport à la vie ou la sécurité d’autrui, mais plutôt l’insouciance quant à la présence ou non d’une personne dans la maison, conformément à l’infraction spécifique en cause[129]. Les deux mens rea sont différentes[130]. Ceci dit, les observations suivantes demeurent logiquement pertinentes à l’analyse de l’alinéa 244.2(1)(b) :
L’appelant suggère que la preuve ne révèle pas que les coups de feu ont été dirigés contre une personne. Le premier coup de feu aurait été dirigé sur le mur de la chambre à l’étage alors que les occupants étaient aux étages inférieurs.
L’appelant se méprend sur le comportement que le législateur cherche à réprimer par l’adoption de l’alinéa 244.2(1)(a) du C.cr.
L’infraction ne requiert pas que le coup soit dirigé en direction d’une personne, mais bien en direction d’un lieu, sachant qu’il s’y trouve une personne ou sans se soucier qu’il s’y trouve ou non une personne.
Cette disposition vise donc plus généralement à protéger le public contre ceux qui utilisent les armes à feu de manière insouciante, au détriment de la protection de la vie humaine.
En ce sens, l’infraction ne requiert pas la preuve de la localisation précise des occupants de l’immeuble.
En l’espèce, l’appelant savait que des occupants se trouvaient dans l’immeuble lorsqu’il a tiré le premier coup de feu. Il ne s’est pas soucié de savoir dans quelle pièce ils se trouvaient exactement lorsqu’il débute sa fusillade.
Comme l’indique notre cour dans l’arrêt Goupil c. R. : « l’infraction exige de prouver que l’accusé envisageait la possibilité que la décharge compromette la vie ou la sécurité d’autrui et que, conscient de ce fait, il a quand même fait feu ».
C’est exactement ce que l’appelant fait lorsqu’il tire à l’intérieur de la résidence avec un fusil de chasse de fort calibre alors qu’il sait que des occupants s’y trouvent.
Un tel comportement dénote un mépris flagrant pour la sécurité et la vie des membres de sa propre famille[131].
[soulignement dans l’original]
[gras ajouté]
[118] Cet arrêt ne rend pas pour autant automatique une condamnation dans tous les cas où il y a décharge d’une arme à feu à l’intérieur d’un domicile et ce, même si d’autres occupants s’y trouvent.
[119] Par exemple, dans l’arrêt R. v. Ratt, la Cour d’appel de la Saskatchewan a confirmé l’acquittement d’un homme qui, depuis le salon, a déchargé un fusil à deux reprises vers le plafond de sa maison à un étage, même si deux autres personnes se trouvaient dans la maison, dont une qu’il séquestrait[132]. Dans les circonstances de la décharge, il n’y avait aucun risque réaliste qu’une personne se trouve dans le grenier. Il a donc été acquitté de l’infraction prévue à l’art. 244.2(1)(a) C.cr., quoiqu’il ait été condamné d’une panoplie d’autres infractions reliées aux coups de feu[133]. Dans son analyse, en obiter dictum, la Cour d’appel a fait les remarques suivantes au sujet de l’art. 244.2(1)(b) :
Finally, the Crown argues that a restrictive interpretation of s. 244.2(1)(a) ignores the risk that a person creates by discharging a firearm in an enclosed space. Brought into the circumstances of this case, it referred to the danger of ricochets and so on to the people present in the living room where Mr. Ratt fired the shotgun. The Crown invited the Court to conclude that Parliament intended to criminalize shooting within a building to suppress this very kind of dangerous activity. The answer to this last argument is that it will always be open to the Crown to seek to prove that a shooter in Mr. Ratt’s position was reckless as to the life or safety of another when he pulled the trigger, and thereby committed the offence created by s. 244.2(1)(b). However, the Crown did not set out to do this in this trial, which it might have if it felt his conduct met this standard. I am not prepared to give an unnecessarily expansive interpretation of s. 244.2(1)(a) simply because the discharge of a firearm within a room may sometimes involve danger to the life or safety of another person when another provision of the Criminal Code already serves the socially necessary purpose of criminalizing such dangerous conduct[134].
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