Vinet c. R., 2021 QCCQ 3474
[124] Dans la mesure où ils affectent indubitablement l’état d’esprit de l’accusé au moment du crime, les troubles mentaux constituent un facteur pertinent dans le processus de détermination de la peine[71]. À cet égard, il y a lieu de citer les propos du juge Mainella dans l’arrêt R. v. Okemow :
La détermination de la culpabilité morale d’un délinquant atteint d’une maladie mentale ou d’une autre forme de limite cognitive est un exercice empreint de tact et de considération. En procédant à cette détermination, les juges doivent éviter de commettre l’une des deux erreurs de principe évidentes décrites dans ce qui suit. La première est d’être indifférent à la question de savoir si la situation mentale d’un délinquant a une incidence sur son degré de responsabilité. L’autre erreur de principe est le cas inverse, c’est-à-dire de supposer que la culpabilité morale d’un délinquant pour une infraction est automatiquement moins élevée parce qu’il souffre d’une maladie mentale ou d’une autre déficience cognitive[72].
[125] Une condition psychologique ou psychiatrique peut avoir un impact considérable sur le degré de responsabilité du délinquant. La jurisprudence n’établit pas une liste exhaustive de conditions ou de diagnostics qui peuvent être pertinents. L’approche est flexible. Même la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires peuvent avoir un impact sur la peine[73].
[126] Pour ce motif, il est très important que le plus de renseignements possible soient fournis au juge de sorte que la peine réponde équitablement au degré de culpabilité morale du délinquant[74]. Une preuve contemporaine de l’état de santé mentale est préférable. Au besoin, pour remédier aux insuffisances du dossier, le juge chargé de la détermination de la peine peut exiger (selon l’art. 723(3) C.cr.) la présentation des éléments qui l’aideront à porter un jugement éclairé sur la question[75]. C’est la raison pour laquelle le Tribunal a ordonné – d’office – la confection d’un rapport pré-sentenciel avec un volet d’évaluation psychiatrique, une pratique avalisée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. v. McGee[76]. C’est également à cette fin que le Tribunal a pris connaissance du rapport d’évaluation quant à l’aptitude de l’accusé à subir son procès, daté du 31 août 2020, qui était annexé au rapport pré-sentenciel et qui se trouvait déjà au dossier de la Cour[77].
[127] Avant qu’une condition mentale ne puisse avoir un impact sur la peine, le Tribunal doit d’abord saisir la mesure dans laquelle cette condition mentale a affecté la culpabilité morale du délinquant par rapport à l’infraction.
[128] Comme l’ont expliqué les juges majoritaires dans l’arrêt R. c. Martin, lorsqu’un accusé est affligé d’une maladie mentale, il est reconnu que l’accent doit être placé sur des mécanismes permettant la réhabilitation et le traitement de l’accusé, et non pas la punition[78].
[129] Au même effet, les troubles mentaux auront parfois une incidence sur l’importance accordée à l’objectif de la dissuasion spécifique. Autrement dit, si l’accusé souffre de délires (généralisés ou ponctuels), il sera plus difficile de le dissuader spécifiquement de répéter une infraction semblable par l’imposition d’une peine sévère, puisque le processus logique associant le comportement à une peine potentielle sera déformé et donc moins efficace[79]. Le délinquant retirerait moins d’enseignement de la peine infligée.
[130] Il y a également lieu d’accorder moins d’importance aux critères de l’exemplarité et de la dissuasion générale[80]. Cependant, ces objectifs ne doivent pas être complètement occultés[81].
[131] Ceci dit, les troubles mentaux n’auront pas nécessairement un impact sur la peine et ils n’entraîneront pas toujours une réduction. Dans le récent arrêt R. c. Pond, après un résumé détaillé de la jurisprudence, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick rappelait :
La présence d’une maladie mentale ne constitue pas automatiquement un facteur atténuant. Il ne suffit pas de démontrer que le délinquant a souffert de maladie mentale dans le passé ou même souffrait d’une maladie mentale au moment de l’infraction[82].
[132] Foncièrement, il n’y a pas d’équation directe entre « condition mentale » et « peine réduite »[83]. Le Tribunal doit plutôt évaluer si la condition mentale de l’accusé a contribué à la commission de l’infraction ou si elle influe autrement sur la culpabilité morale du délinquant[84]. Le lien entre l’état mental et l’infraction ou la culpabilité morale doit être démontré et non seulement supposé[85]. Au même chapitre, en l’absence de preuve médicale claire, il faut se garder de présumer que toute croyance bizarre ou excentrique maintenue par l’accusé découle nécessairement d’un trouble mental. Les accusés sont issus de différents milieux, différents horizons et ils proviennent de parcours différents. Ceux qui souscrivent à des valeurs qui peuvent paraître inhabituelles ne sont pas nécessairement malades et ils ne mériteront pas nécessairement une peine réduite[86].
[133] Par ailleurs, dans certains cas, la condition mentale de l’accusé fera en sorte que l’introspection est défaillante[87] ou qu’il présente une dangerosité accrue, nécessitant une isolation plus longue pour assurer la protection du public[88]. Ce sera le cas, par exemple, lorsque l’accusé souffre d’un trouble de personnalité qui se manifeste sous forme d’agressivité[89]. Comme le documente l’auteur Clayton Ruby dans son ouvrage, « considerations of dangerousness on the basis of mental illness are often reflected in the imposition of a longer jail sentence »[90]. Lorsque le délinquant présente un risque de récidive préjudiciable et qu’il est incapable de surmonter son comportement, il va de soi que les tribunaux doivent prioriser la protection des victimes.
[134] Notamment, dans l’affaire R. v. Hawkins, le juge Romilly a imposé une peine de trois ans d’emprisonnement à un accusé qui avait menacé et harcelé des fonctionnaires à l’emploi du Ministère des Transports. L’accusé avait clairement des « problèmes psychiatriques » au moment des menaces, mais il ne souffrait pas de « maladie mentale » comme telle[91]. Il présentait plutôt un trouble de la personnalité antisociale, dont le Tribunal a tenu compte en évaluant le besoin de protéger le public[92].
[135] Au même effet, dans l’arrêt R. v. Davis, l’accusé souffrait de problèmes psychiatriques et il avait harcelé la victime à plusieurs reprises, malgré des arrestations et des incarcérations antérieures. En confirmant une peine de 26 mois d’emprisonnement[93], la Cour d’appel du Manitoba a reconnu que des fois, seule la détention du délinquant donnera du répit à la victime :
But most of all, what makes this an offence for which the sentence was entirely fit is the high risk of the accused continuing to harass the victim. To the extent that the justice system can prevent this occurrence, it must attempt to do so. Criminal harassment was made an offence to protect victims such as the one in this case from the fear and distress caused by annoying and unwanted attention. In many cases, an offender will be deterred by the mere fact of his or her conviction, but where the harassment continues, and is thought likely to continue without stronger measures, a moderately long prison term may well be necessary to give the offender time to reflect and the opportunity, where required, of receiving therapy of one kind or another. Such a sentence, if it achieve no more, will at least afford the victim some respite.
In the present case, the accused must be seen as a threat to the well-being of the victim as soon as he is released from custody[94].
[gras ajouté]
[136] Tel qu’illustré dans le tableau annexé à ces motifs, un recensement de la jurisprudence révèle de nombreuses décisions où des peines significatives d’incarcération ont été imposées pour l’infraction de harcèlement criminel à des contrevenants qui, malheureusement et malgré eux, souffraient de troubles psychiatriques ou psychologiques sérieux :
• Sérieux troubles de comportement de la nature d’une psychose paranoïde, trouble de personnalité paranoïaque ou d’ordre d’une paranoïa caractérisée[95].
• Trouble de personnalité borderline avec traits de psychopathie[96].
• Dépression[97].
• Trouble mental délirant, trouble de personnalité narcissique et complexe de persécution[98].
• Hospitalisations pour des idées suicidaires et des pensées homicidaires[99].
• Trouble de personnalité antisociale[100].
• Trouble délirant érotomaniaque[101].
• Idées délirantes voulant que tous les policiers étaient des agents de Satan et que les juges, les médecins, les infirmières et les enseignants d’école étaient tous des espions qui cherchaient la provocation[102].
• Trouble bipolaire, syndrome post-traumatique, trouble de personnalité mixte[103]
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