R. c. Wilson, 2025 CSC 32
[71] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que, par implication nécessaire, le par. 4.1(2) de la LRCDAS confère non seulement l’immunité contre une accusation et une déclaration de culpabilité pour possession simple, mais aussi l’immunité contre une arrestation relativement à cette accusation. Le but du Parlement étant de sauver des vies, il a créé une immunité afin d’inciter ceux qui sont présents sur les lieux d’une surdose à appeler les services d’urgence lorsque des vies sont en danger. Au moyen de l’immunité contre une accusation et une déclaration de culpabilité pour possession simple, le Parlement entendait créer une exception à l’exercice du pouvoir d’arrestation des policiers pour cette infraction. Il a reconnu que les personnes les plus susceptibles d’appeler les secours d’urgence dans des situations de surdose potentiellement mortelle sont souvent elles‑mêmes consommatrices de drogue : les bons samaritains ne sont pas tous respectueux de la loi.
C. Les pouvoirs légaux des policiers sur les lieux d’une surdose de drogue
[72] L’immunité contre une arrestation pour possession d’une substance désignée prévue au par. 4.1(2) n’affecte pas les autres pouvoirs existants des policiers et ne les prive pas du pouvoir de protéger la sécurité du public sur les lieux d’une surdose de drogue. Les policiers disposent toujours de tous les autres pouvoirs pertinents lorsqu’ils interviennent dans une situation qui relève du par. 4.1(2). J’expose ci‑après certains des pouvoirs importants auxquels les policiers peuvent avoir recours.
[73] Premièrement, les policiers peuvent sécuriser les lieux et poser des questions concernant la surdose, lesquelles peuvent être utiles pour déterminer le traitement médical requis, empêcher autrui de consommer des drogues contaminées ou permettre d’identifier la source des drogues contaminées susceptibles de poser des risques supplémentaires de surdose. Comme l’a observé notre Cour dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, « le policier qui répond à une urgence médicale à la suite d’un appel au 911 ne détient pas les personnes avec qui il interagit, et ce, même s’il restreint effectivement leur liberté de mouvement en prenant la direction des opérations » ou pose des questions aux personnes qui se trouvent sur les lieux pour « obtenir des renseignements susceptibles de [l’]aider dans [son] enquête » (par. 36‑37). Il peut être plus facile d’obtenir des réponses à ces questions de la part des personnes qui sont restées présentes sur les lieux si elles bénéficient clairement de l’immunité contre une arrestation pour les infractions de possession, prévue au par. 4.1(2).
[74] Deuxièmement, notre Cour a établi que les policiers disposent du pouvoir de détenir des individus « lorsqu’il est raisonnablement nécessaire eu égard à l’ensemble des circonstances », après une mise en balance de l’importance du risque pour la sécurité du public ou d’une personne en particulier avec les intérêts à la liberté des membres du public qui se trouvent sur les lieux (Aucoin, par. 36, citant Clayton, par. 31).
[75] Troisièmement, les policiers peuvent toujours exercer de nombreux pouvoirs en matière de fouille, de perquisition et de saisie lorsqu’ils interviennent sur les lieux d’une surdose. Par exemple, en vertu du pouvoir qui les autorise à saisir des objets bien en vue, ils peuvent saisir les drogues et autres objets qui ont été obtenus par la perpétration d’une infraction et qui sont à découvert (Code criminel, par. 489(2)). Ils peuvent également, aux termes du par. 117.04(2) du Code criminel, fouiller une personne et saisir les armes à feu et autres armes dont elle a possession. En outre, dans l’arrêt MacDonald, notre Cour a établi que les policiers peuvent effectuer une fouille de sécurité lorsqu’elle « est raisonnablement nécessaire pour éliminer une menace imminente à leur sécurité ou à celle du public » (par. 40; voir aussi le par. 41). Lorsque l’urgence de la situation rend difficilement réalisable l’obtention d’un mandat, ils peuvent exercer leur pouvoir de fouille sans mandat en vertu de l’art. 487.11 du Code criminel et perquisitionner un lieu ou fouiller une personne en vue de saisir des substances désignées en vertu du par. 11(7) de la LRCDAS (voir, de façon générale, R. c. Paterson, 2017 CSC 15, [2017] 1 R.C.S. 202; R. c. Campbell, 2024 CSC 42). Ce serait donc fautif de dire qu’il est interdit aux policiers de chercher des armes et des drogues en vue d’assurer leur protection et celle du public sur les lieux d’une surdose.
[76] Enfin, tous les pouvoirs d’arrestation et de détention à l’extérieur du cadre d’application de l’immunité prévue au par. 4.1(2) demeurent à la disposition des policiers. Ces pouvoirs comprennent le pouvoir de détention aux fins d’enquête lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner que la personne « est impliquée dans un crime donné » et qu’il est nécessaire de la détenir dans les circonstances (Mann, par. 45). Une telle détention aux fins d’enquête permet aux policiers de procéder à une fouille par palpation accessoire à la détention lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de croire que leur propre sécurité ou celle du public est menacée (voir les par. 40‑44). Les policiers peuvent aussi exercer le pouvoir d’arrestation pour violation de la paix, ou le pouvoir d’arrestation relativement à des infractions autres que la possession simple lorsqu’une personne a commis ou est en train de commettre un acte criminel, ou lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de croire que la personne a commis ou est sur le point de commettre un acte criminel (Code criminel, art. 31 et 495). Ces pouvoirs peuvent être exercés, par exemple, lorsqu’une personne sous l’influence de drogues tente de quitter les lieux au volant d’un véhicule, ou lorsqu’il y a suffisamment d’indices du trafic ou d’autres crimes pour donner aux policiers des motifs raisonnables de procéder à une arrestation relativement à ces infractions. Lorsqu’ils procèdent à de telles arrestations pour d’autres infractions, les policiers pourraient également effectuer des fouilles ou perquisitions accessoires à ces arrestations (voir Caslake, par. 19).
[77] Il importe de souligner que tous ces autres pouvoirs ont leurs propres critères et conditions préalables à leur exercice et que, comme l’a reconnu notre Cour, les policiers doivent souvent évaluer rapidement si ces conditions sont réunies lorsqu’ils interviennent dans une situation qui évolue (voir Fleming, par. 52; voir aussi Stairs, par. 74; MacDonald, par. 32). De plus, certains de ces critères sont plus exigeants que ceux qui doivent être appliqués à une arrestation effectuée en vertu de l’art. 495 et à la fouille ou perquisition accessoire à cette arrestation. Par exemple, les pouvoirs de fouille ou perquisition et de saisie énoncés au par. 11(7) de la LRCDAS et à l’art. 487.11 du Code criminel doivent satisfaire à un critère d’urgence. De même, dans l’arrêt MacDonald, notre Cour a reconnu que les policiers peuvent exercer le pouvoir de common law d’effectuer une fouille de sécurité dans des circonstances précises impliquant « une menace imminente à la sécurité du public ou des policiers » (par. 41). Ces conditions ne sont pas nécessairement requises dans le cas des arrestations sans mandat visées à l’art. 495. La thèse de la Couronne, selon laquelle le pouvoir d’arrestation pour possession est nécessaire aux fins générales d’enquête et pour des raisons de sécurité, va à l’encontre de la jurisprudence de notre Cour. Un tel pouvoir pourrait compromettre et esquiver les mécanismes de surveillance auxquels est soumis l’exercice des autres pouvoirs policiers aux fins d’enquête, comme ceux auxquels les policiers peuvent avoir recours en cas d’urgence ou pour faire face à des préoccupations relatives à la sécurité du public, ce qui serait contraire à la délimitation précise de ces pouvoirs policiers dans la loi. Tous les pouvoirs policiers sont le fruit d’un exercice minutieux de pondération entre la liberté personnelle et les exigences de l’application de la loi. Le présent pourvoi n’est pas le cadre approprié pour modifier sensiblement les pouvoirs policiers, car cela mettrait en péril les conditions déjà établies quant à leur exercice.
[78] Le directeur des poursuites pénales, intervenant en l’espèce, invite notre Cour à reconnaître un pouvoir autonome de fouille visant les substances désignées sur les lieux d’une surdose (m. interv., par. 3‑5). Il ne convient pas en l’espèce de se pencher sur l’existence de ce pouvoir inédit, qui n’est pas nécessaire pour trancher le présent pourvoi et qui n’a pas été soulevé par les parties ni devant les tribunaux de juridiction inférieure. Notre Cour a reconnu des pouvoirs de fouille limités lorsque cela est nécessaire pour écarter une menace imminente à la sécurité (voir, p. ex., MacDonald). Toutefois, la question de savoir si une fouille visant le retrait de substances désignées qui ont pu entraîner une surdose pourrait répondre à ce critère, ou satisfaire aux exigences requises pour la reconnaissance d’un nouveau pouvoir autonome de fouille et de saisie, est une question qui devra être tranchée dans une autre affaire, lorsque les faits s’y prêteront.
[79] Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner le pouvoir de détention aux fins d’enquête lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction de possession visée par l’immunité a été commise ni les pouvoirs d’effectuer des fouilles sans mandat lorsque les motifs raisonnables se rapportent à une infraction visée par une immunité. Personne n’a fait valoir que le par. 4.1(2) crée une immunité contre la détention aux fins d’enquête ni qu’il limite la capacité d’effectuer des fouilles sans mandat. Monsieur Wilson ne conteste pas la légalité de sa détention initiale aux fins d’enquête; il conteste plutôt son arrestation subséquente pour possession. La fouille qui a plus tard mené à l’obtention de la preuve en cause en l’espèce a été effectuée après cette arrestation qui, comme je l’explique plus loin, était illégale et justifie l’exclusion de la preuve.
[80] L’immunité prévue au par. 4.1(2) vise à sauver des vies. À part cette immunité limitée concernant la possession simple, la disposition ne retire aucun autre pouvoir policier reconnu en droit criminel qui permet aux policiers d’assurer leur propre sécurité et celle du public.
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