[38] Soit dit avec égards, le juge a fait une erreur à ce chapitre. Le juge insiste sur l’objectif de l’accusée d’ « intimider » et sur la crainte provoquée par ses paroles « menaçantes ». Mais il ne s’arrête pas à la première question à laquelle il devait répondre, à mon avis, à savoir si la menace en était une de causer la mort ou des lésions corporelles.
[39] Le juge a raison de conclure que les paroles de l’appelante ont eu pour effet « d’intimider » certains enfants – alors qu’elles en faisaient sourire d’autres – mais c’est le propre de toute menace de faire naître la crainte. Évoquer la perte d’un privilège ou l’imposition d’une sanction – la carotte et le bâton – sont des « menaces » légitimes.
[40] « Intimider » a une connotation péjorative. Il est de la responsabilité d’une enseignante, d’un enseignant de garder le contrôle de la classe, d’y maintenir l’ordre. L’exercice de l’autorité a toujours un effet quelque peu intimidant. L’objectif poursuivi par l’appelante lors de ses interventions n’est pas en soi répréhensible même si certains élèves ont pu alors être « intimidés ».
[41] Le juge a encore raison de tenir compte de la vulnérabilité des enfants. Certains craindront du seul fait que l’appelante haussera le ton. D’autres, si on menace d’aviser les parents – du moins c’était le cas à l’époque. Les aurait-elle menacés d’appeler la police, je crois encore là que plusieurs auraient eu peur.
[42] Y a-t-il eu réellement des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles ?
Blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance.
[44] L'interprétation des mots « blessures graves », contenus à l'ancien article 264.1 C.cr. et maintenant remplacés par « lésions corporelles », a fait l'objet de l’arrêt Mcraw[3], où la Cour suprême explique que l'expression « blessures graves » au sens de l'article 264(1)a) C.cr, signifie toute blessure ou lésion psychologique, qui nuit d'une manière importante à l'intégrité, à la santé ou au bien-être d'une victime. Le test pour déterminer si des termes sont des menaces au sens de cet article est objectif. On doit examiner le contexte dans lequel ils furent prononcés, la personne à qui ils s'adressaient et la signification que leur attribuerait une personne raisonnable.
[45] Remarquons également que quelques années plus tard, notre Cour a conclu que l'existence de menace de mort ne tient pas à la preuve de l'utilisation de certains mots particuliers puisqu'il faut tenir compte de l'ensemble de la conversation et de la situation[4].
[46] Ainsi, elle a jugé qu'un paraplégique qui ne peut se déplacer sans son fauteuil roulant ne peut être reconnu coupable selon l'article 264.1 C.cr. lorsqu'il a dit qu'il allait battre la plaignante et lui donner une claque au visage[5].
[47] « Menacer » des enfants de troisième année du primaire, de sept ou huit ans, d’un certain poids, de les suspendre au plafond par une ficelle qui tient à une punaise, ne constitue pas, soit dit encore une fois avec égards, une menace de causer des lésions corporelles.
[48] Que la démarche soit peu pédagogique, que l’ « intimidation » soit réelle, qu’un enfant puisse en avoir fait un cauchemar, peut-être. Mais cette allusion aux mobiles de papier virevoltant dans l’air au bout des ficelles n’était que métaphorique, qu’allégorique.
[49] Encore une fois, le juge lui-même prend soin de noter :
[2] […] À plusieurs reprises, elle disait, pour calmer l’atmosphère dans la classe, « je vais vous accrocher au plafond » rapportent-ils. Certains ne prenaient pas la remarque au sérieux, mais d’autres ne l’appréciaient pas, en éprouvaient une certaine crainte, même si en même temps ils pouvaient, après mûre réflexion, en conclure qu’il eût été très difficile de « pendre » au plafond sur une corde retenue par des punaises l’un ou l’autre des enfants.
[50] Le juge fait état de l’élève D qui « pleurait souvent » et qui était visée, semble-t-il, par les paroles de l’enseignante : « Celui-là qui pleure trop va se faire accrocher ». Dans son exposé, l’appelante souligne avec raison que l’enfant n’a pas témoigné. Comment savoir ce qu’elle a ressenti, si elle y a cru ou si ça n’a rien changé à ce qui la faisait déjà pleurer.
[51] L’appelante doit être acquittée de ces deux chefs.
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