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dimanche 2 novembre 2025

Des propos tenus sous le coup de la frustration ou sans que le « projet » soit pris au sérieux constitue un moyen de défense recevable contre une infraction de menace de causer des lésions corporelles; le témoignage de l'accusé est donc important pour déterminer s’il possédait l’intention spécifique requise

Patoine c. R., 2022 QCCA 1517



[17]      L’infraction en cause est énoncée à l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel :

264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

264.1 (1) Every one commits an offence who, in any manner, knowingly utters, conveys or causes any person to receive a threat

a) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un;

(a) to cause death or bodily harm to any person;

[18]      Les éléments de cette infraction comprennent 1) le fait de proférer ou de transmettre une menace de causer la mort ou des lésions corporelles; et 2) l’intention de menacer[7].

[19]      L’acte prohibé (actus reus) est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. Il n’est pas nécessaire de prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou qu’il a été intimidé par celle-ci ou l’a prise au sérieux[8]. Il n’est pas nécessaire que les paroles prononcées s’adressent à une personne en particulier ni qu’elle soit identifiable puisqu’« il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes »[9].

[20]      Par contre, la détermination de ce qu’est une menace au sens de l’al. 264.1aC.crest une question de droit qui doit être tranchée à la lumière d’une norme objective[10]. Dans le cadre de cette analyse, la Cour suprême nous indique qu’il faut s’en tenir au sens ordinaire des mots qui sont prononcés. S’ils sont manifestement menaçants et qu’ils ne comportent pas de sens secondaire, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse. Or, des propos qui peuvent paraître anodins peuvent être élevés au rang de menace, si, compte tenu du contexte de l’affaire, ils s’avèrent menaçants[11]. Ainsi, afin de déterminer si des mots contreviennent à la disposition en cause, il faut s’en tenir au sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots prononcés dans les circonstances particulières dans lesquelles ils ont été proférés ou transmis[12].

[21]      Quant à l’élément intentionnel (mens rea) de l’infraction, il est établi s’il est démontré que les mots menaçants proférés ou transmis visaient à intimider ou à être pris au sérieux[13]. Encore là, le fait que l'accusé n'a pas eu l'intention de mettre à exécution la menace n'est pas un élément essentiel; seule compte l'intention que la menace soit prise au sérieux[14]. Cela étant, l’élément de faute revêt un caractère subjectif; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait réellement faire[15].

[22]      Dans R. c. McRae, les juges Cromwell et Karakatsanis résument ainsi l’élément intentionnel requis[16] :

[23]      En somme, l’élément de faute de l’infraction est établi si l’accusé entendait que les mots proférés ou transmis intimident ou soient pris au sérieux.  Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention que les mots soient transmis à la personne visée par la menace. Une norme subjective de faute s’applique. Toutefois, pour déterminer ce que l’accusé avait en tête, le tribunal devra souvent tirer des conclusions raisonnables des mots et des circonstances, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus.

[23]      Il s’agit d’une intention spécifique par opposition à une intention générale[17]. Les commentaires du professeur Rainville, cités avec approbation de la Cour[18], sont pertinents[19] :

Le degré de prise de conscience de l’accusé suppose quelques remarques supplémentaires. Sa perception du sens de ses paroles est déterminante. Il a droit à l’acquittement si l’idée ne lui effleure pas l’esprit que ses paroles puissent être prises au sérieux. Même l’insouciance possible du plaisantin quant aux conséquences de ses paroles ne saurait, selon nous, suffire à le faire condamner. L’insouciance suppose la réalisation par l’accusé du risque que ses paroles revêtent une signification intimidante. Cette prise de conscience est insuffisante. Le crime de menaces exige un dessein criminel. Cette infraction obéit au principe classique du droit pénal canadien selon lequel un crime d’intention spécifique ne saurait se satisfaire de l’insouciance du prévenu. Le crime de menaces exige l’intention spécifique d’intimider autrui. La Cour suprême préconise la définition suivante dans l’arrêt McCraw : « Une menace est un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire ». Et la Cour de renchérir dans l’arrêt Clemente : « La menace est une manifestation par laquelle on marque à quelqu’un sa colère, avec l’intention de lui faire craindre le mal qu’on lui prépare ».

[Soulignement ajouté]

[24]      Lorsqu’un accusé offre des explications, son témoignage est important pour déterminer s’il possédait l’intention spécifique requise[20]. Dans l’arrêt Joad c. R., l’accusé faisait face à des accusations d’avoir transmis sur Facebook des menaces de mort ou de lésions corporelles à des journalistes syriens et d’avoir conseillé à autrui de commettre un meurtre. La Cour s’exprime comme suit quant à l’analyse de la mens rea pour de telles infractions[21] :

[23]      Le juge de première instance ne pouvait pas trancher la question de la mens rea pour l’une ou l’autre des deux accusations sans se pencher d’abord sur les explications de l’appelant. Ces explications dépassent de beaucoup la question du mobile qui l’animait. Elles touchent à l’interprétation même de son message et par voie de conséquence, à ses intentions en écrivant ce texte. Le juge de première instance se devait, dans les circonstances, d’en traiter. L’appelant n’a pas à deviner ce que le juge a pensé, et fait de ses explications; il doit pouvoir l’entendre ou le lire. Il s’agit d’une lacune importante dans le jugement dont appel, justifiant l’intervention de la Cour sans qu’il soit nécessaire d’analyser les autres moyens d’appel soulevés par l’appelant.

[25]      Dans l’arrêt LSJPA – 1026[22], la Cour est intervenue pour prononcer un acquittement à une infraction de menace de causer des lésions corporelles. Dans cette affaire, l’accusé avait menacé verbalement une éducatrice de l’agresser physiquement. L’acquittement fut prononcé au motif que la mens rea requise n’avait pas été établie, vu que les propos de l’accusé manifestaient une frustration et non pas une intention réelle d’intimider[23]. De même, dans Dulac c. R.[24], un étudiant en arts visuels avait remis à son professeur une description de projet dans laquelle il expliquait qu’il allait enlever des enfants d’une école primaire, les accrocher au plafond et les frapper avec une masse de fer. La Cour est intervenue afin de substituer un verdict d’acquittement au motif que la preuve, analysée à la lumière du témoignage de l’accusé, ne permettait pas de déceler une intention spécifique de susciter la crainte ou que le projet soit pris au sérieux[25].

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