[10] Les deux parties conviennent qu’il n’y a aucune procédure établie qui dicte un processus précis à suivre pour statuer sur les oppositions fondées sur l’article 37. La Cour possède un pouvoir discrétionnaire absolu pour choisir sa propre procédure en fonction des circonstances dont elle est saisie. Au moment de déterminer la forme et l’ampleur du processus de demande présentée au titre de l’article 37, la Cour devrait tenir compte de la nature de l’intérêt public en jeu, du contexte factuel et législatif dans lequel le demandeur s’oppose à la divulgation des renseignements, ainsi que du caractère délicat des documents caviardés (voir R c Pilotte, 2002 CanLII 34599 (ON CA), [2002] OJ no 866, aux paragraphes 52 et 60).
[11] L’opposition fondée sur l’article 37 découle du contexte factuel et législatif d’une demande de contrôle judiciaire contestant une demande de renseignements présentée par le ministre au défendeur, dans le cadre d’une vérification en cours du défendeur en application de la LIR, aux fins de cette vérification. De plus, la Cour doit tenir compte du contexte législatif lié à la LIR. Le régime fiscal canadien est fondé sur l’autodéclaration, de sorte que, pour s’acquitter de ses obligations légales, le ministre s’est vu accorder de vastes pouvoirs d’inspection et de vérification des renseignements et des documents des contribuables faisant l’objet de vérifications, et d’examen de toute question relative au contribuable afin de s’assurer que les contribuables paient le bon montant d’impôt; ceci est dans l’intérêt public (voir eBay Canada Ltd c Ministre du revenu national, 2008 CAF 141 (CanLII), au paragraphe 39; AGT Ltd c Canada (AG), [1996] 3 PC 505 (CF 1re inst.), au paragraphe 54). Cela dit, la Cour doit être consciente des considérations d’équité dans les demandes de contrôle judiciaire, afin de s’assurer que le dossier du tribunal contient tous les éléments possibles qui ne sont pas couverts par le privilège dont le décideur était saisi lorsque la décision qui fait l’objet du contrôle a été rendue.
[12] La Cour a déterminé que, dans la présente instance, les procédures suivantes devraient être suivies :
- La Cour doit déterminer si la Couronne a établi l’intérêt public comme demandé;
- Si cette décision ne peut pas être prise uniquement en fonction du certificat, d’autres observations, comme un affidavit secret et des documents non caviardés, doivent être déposées pour appuyer le privilège revendiqué, qui sera traitée de façon ex parte;
- La Cour doit déterminer si le défendeur a établi une
« apparence de droit »
pour la divulgation des renseignements expurgés (Khan c R, 1996 CanLII 4032 (CF), [1996] 2 CF 316, aux paragraphes 24 et 25); - Une fois qu’une cause apparente de divulgation a été établie, la Cour doit examiner les renseignements expurgés (Khan c R., 1996 CanLII 4032 (CF), [1996] 2 CF 316, au paragraphe 25);
- Si la Cour conclut que la divulgation des renseignements expurgés empiéterait sur l’intérêt public précisé, elle doit établir une pondération des intérêts. Les intérêts à pondérer sont l’intérêt public de la divulgation et l’intérêt public précisé par le demandeur. La Cour peut examiner la forme originale des renseignements expurgés à cette étape (Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 493, aux paragraphes 36 et 37);
- Déterminer si les renseignements expurgés doivent être divulgués.
[13] Bien qu’il s’agisse d’une contestation d’une interdiction de publication au moment du procès, je conclus que les commentaires de la Cour suprême du Canada dans Toronto Star Newspaper Ltd c Ontario, 2005 CSC 41 sont extrêmement pertinents en ce qui a trait aux oppositions à la divulgation et à leur adjudication dans le cadre d’audiences ex parte à huis clos.
1. Dans tout environnement constitutionnel, l’administration de la justice s’épanouit au grand jour – et s’étiole sous le voile du secret.
2. Cette leçon de l’histoire a été consacrée dans la Charte canadienne des droits et libertés. L’alinéa 2b) de la Charte garantit, en termes plus généraux, la liberté de communication et la liberté d’expression. La vitalité de ces deux libertés fondamentales voisines repose sur l’accès du public aux renseignements d’intérêt public. Ce qui se passe devant les tribunaux devrait donc être, et est effectivement, au cœur des préoccupations des Canadiens.
[14] Comme l’a si éloquemment expliqué le juge Fish dans Toronto Star, la publicité et la transparence des procédures judiciaires sont des principes fondamentaux du système juridique canadien. Toutefois, des exceptions limitées à ce principe sont nécessaires au bon fonctionnement et à l’intégrité de notre système juridique :
3. Bien que fondamentales, les libertés que je viens de mentionner ne sont aucunement absolues. Dans certaines circonstances, l’accès du public à des renseignements confidentiels ou de nature délicate se rapportant à des procédures judiciaires compromettra l’intégrité de notre système de justice au lieu de la préserver. Dans certains cas, un bouclier temporaire suffira; dans d’autres, une protection permanente sera justifiée.
4. Les demandes concurrentes se rapportant à des procédures judiciaires amènent nécessairement les tribunaux à exercer leur pouvoir discrétionnaire. La présomption de « publicité » des procédures judiciaires est désormais bien établie au Canada. L’accès du public ne sera interdit que lorsque le tribunal compétent conclut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne administration de la justice.
[15] Les exceptions quant au principe de la publicité des procédures judiciaires doivent être faites d’une manière qui tient compte de son caractère fondamental. Ces exceptions limitées doivent être soigneusement protégées afin de s’assurer qu’elles ne sont utilisées que lorsque les circonstances le justifient. Par conséquent, le demandeur doit fonder la demande présentée au titre de l’article 37 sur des affirmations précises et concrètes plutôt que sur des déclarations vagues et trop générales. Il doit présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour que l’affirmation du privilège d’intérêt public est légitime dans les circonstances.
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