Morin c. R., 2019 QCCA 489
[12] Dans l'arrêt Arcuri, la Cour suprême confirme que le juge de paix présidant une enquête préliminaire renvoie un prévenu à procès s'il estime qu'un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable peut conclure à sa culpabilité. La Cour écrit :
… Pour les motifs qui suivent, je confirme la règle bien établie selon laquelle un juge présidant l’enquête préliminaire doit décider s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à un jury, ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable, de conclure à la culpabilité, et le corollaire selon lequel le juge doit évaluer la preuve uniquement pour déterminer si elle peut étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Comme notre Cour l’a énoncé à maintes reprises, cette tâche n’impose pas au juge présidant l’enquête préliminaire de tirer des inférences d’après les faits ou d’apprécier la crédibilité. Le juge présidant l’enquête préliminaire doit plutôt déterminer si la preuve dans son ensemble peut raisonnablement étayer un verdict de culpabilité, tout en reconnaissant pleinement le droit du jury de faire des inférences de fait justifiables et d’apprécier la crédibilité.[2]
[13] Le travail du juge est différent selon que la preuve est directe ou circonstancielle :
… Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là. Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.
La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction. Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction — soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe — peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle. Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au-delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi […] Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité. [3]
[14] Or, l'absence de preuve ne signifie pas l'absence de toute preuve, mais l'absence de toute preuve pouvant justifier une déclaration de culpabilité et la décision quant à savoir si la preuve peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité relève du juge présidant l’enquête préliminaire[4].
[15] Cela dit, il ne fait pas de doute qu’un juge qui préside une l’enquête préliminaire commet une erreur de compétence lorsqu’il omet de considérer l’ensemble de la preuve ou, lorsque plusieurs inférences peuvent résulter de la preuve, il préfère l'inférence favorable au prévenu plutôt que celle favorable à la thèse du ministère public[5].
[16] C’est sur la base de l’une ou l’autre de ces erreurs que l’intimée défend la décision de la Cour supérieure.
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