[3] L’intention requise pour l’infraction de proférer des menaces est bien exposée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Clemente :
La question en litige porte sur la mens rea requise par l'al. 264.1(1)a). L'appelant allègue qu'il faut établir que les paroles ont été prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. L'intimée soutient qu'il suffit de démontrer que la menace a été proférée avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux. En Cour d'appel, tant les juges majoritaires que le juge minoritaire ont postulé que les paroles devaient être prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. Les juges formant la majorité ont conclu que, de l'avis du juge du procès, la preuve de l'intention requise avait été établie. Selon le juge minoritaire en revanche, les constatations du juge du procès ne lui permettaient pas de conclure à la mens rea requise.
L'intention requise peut être formulée de l'une ou l'autre façon. Le but de l'article est de prévenir les «menaces». Dans Le Nouveau Petit Robert, (1993), le mot «menace» est ainsi défini :
Manifestation par laquelle on marque à qqn sa colère, avec l'intention de lui faire craindre le mal qu'on lui prépare.[4]
[Soulignement ajouté]
[4] Il faut donc que la personne accusée de cette infraction ait l’intention d’intimider, de susciter la crainte ou que la menace soit prise au sérieux. Il s’agit ici d’une intention spécifique par opposition à une intention générale[5].
[5] L’exigence de la démonstration d’une intention spécifique implique une analyse subjective de la faute commise. Dans R. c. McRae, la Cour suprême explique comment procéder à cette évaluation :
[19] L’élément de faute revêt ici un caractère subjectif; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait effectivement faire. Toutefois, comme c’est généralement le cas, la décision quant à l’intention véritable de l’accusé peut dépendre de conclusions tirées de toutes les circonstances (voir, p. ex., McCraw, p. 82). Le fait de tirer ces conclusions ne revient pas à s’écarter de la norme subjective de faute. Dans R. c. Hundal, 1993 CanLII 120 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 867, le juge Cory cite les propos suivants du professeur Stuart qui explique ce point :
[traduction] Il est loisible au juge des faits qui cherche à déterminer ce qui se passait dans l’esprit de l’accusé, ainsi que le commande la méthode subjective, de tirer des conclusions raisonnables des gestes ou des paroles de l’accusé soit au moment de l’acte qui lui est reproché soit à la barre des témoins. On peut croire l’accusé ou ne pas le croire. Conclure, sur la foi de la totalité de la preuve, que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé a « dû » avoir l’état d’esprit entraînant la sanction ce n’est pas s’écarter de la norme fondamentale subjective. Le recours à une norme fondamentale objective n’a lieu que si on se dit que l’accusé « aurait dû s’en rendre compte s’il y avait réfléchi ». [Je souligne; p. 883.][6]
[Soulignement dans l’original]
[6] Le professeur Rainville explique fort bien l’intention requise pour qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à l’égard de l’infraction de menaces. L’insouciance ne suffit pas :
Le degré de prise de conscience de l’accusé suppose quelques remarques supplémentaires. Sa perception du sens de ses paroles est déterminante. Il a droit à l’acquittement si l’idée ne lui effleure pas l’esprit que ses paroles puissent être prises au sérieux. Même l’insouciance possible du plaisantin quant aux conséquences de ses paroles ne saurait, selon nous, suffire à le faire condamner. L’insouciance suppose la réalisation par l’accusé du risque que ses paroles revêtent une signification intimidante. Cette prise de conscience est insuffisante. Le crime de menaces exige un dessein criminel. Cette infraction obéit au principe classique du droit pénal canadien selon lequel un crime d’intention spécifique ne saurait se satisfaire de l’insouciance du prévenu. Le crime de menaces exige l’intention spécifique d’intimider autrui. La Cour suprême préconise la définition suivante dans l’arrêt McCraw : « Une menace est un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire ». Et la Cour de renchérir dans l’arrêt Clemente : « La menace est une manifestation par laquelle on marque à quelqu’un sa colère, avec l’intention de lui faire craindre le mal qu’on lui prépare ».
La finalité des propos du prévenu est donc déterminante. Il leur faut se vouer à l’intimidation d’autrui. La simple insouciance ne semble donc aucunement visée.[7]
[Soulignement ajouté – références omises]
[8] Les termes « doit savoir », utilisés par le juge, réfèrent à de l’insouciance, ce qui fait appel à un critère moins rigoureux que celui de l’intention spécifique. Les auteurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon expliquent ainsi la distinction :
« L’insouciance présuppose la connaissance de la vraisemblance de la conséquence prohibée. L’intention spécifique fait appel à un critère plus rigoureux. Elle nécessite de savoir que la conséquence interdite surviendra certainement ou quasi certainement. »[12]
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