R. c. Cardinal, 2018 QCCS 2441
[33] L’essentiel du droit applicable à la preuve de la conduite postérieure à l’infraction ou conduite après le fait se retrouve essentiellement dans quatre arrêts de la Cour suprême du Canada. Ce sont les arrêts R. c. White, 1998 CanLII 789 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 72 (ci-après « White 1998 »), R. c. Jaw, 2009 CSC 42 (CanLII), [2009] 3 R.C.S. 26, R. c. White, 2011 CSC 13 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 433 (ci-après « White 2011 ») et, plus récemment, R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38 (CanLII), [2015] 2 R.C.S. 760. Une décision encore plus récente de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse reprend en détail les principes applicables dans R. c. Calnen, 2017 NSCA 49 (CanLII), 358 C.C.C. 3d 362.
[34] L’admissibilité d’une preuve de comportement après le fait peut soulever des difficultés importantes. À titre d’exemple, la Cour était divisée quant au sort des pourvois dans les affaires Jaw et White 2011. Il ressort aussi de la jurisprudence que les cas les plus difficiles sont liés à une preuve qui porte sur l’intention requise par l’infraction de meurtre par opposition à la mens rea de l’infraction moindre et incluse d’homicide involontaire coupable. Cette problématique avait été abordée dans l’arrêt R. c. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 129 et est discutée dans les arrêts mentionnés plus haut.
[35] Il est également à noter que ces arrêts attribuent des catégories de gestes relativement précis aux accusés. Dans l’arrêt White 2011, le juge Rothstein résume le type de conduite envisagé par la notion de comportement après le fait. Il s’agit, au paragraphe 17 de fuite, de destruction d’éléments de preuve ou de mensonges. D’autres exemples sont donnés par le juge Major dans White 1998. Parmi ceux-ci, au paragraphe 19, le fait de quitter la circonscription dans laquelle le crime a été commis, tenter de se soustraire à l’arrestation, ne pas comparaître, employer un faux nom ou encore modifier son apparence physique. Bien entendu, cela ne signifie pas que ces catégories sont exhaustives, ni que la preuve ne puisse s’inférer à partir d’éléments circonstanciels plutôt que par une preuve directe.
[36] La preuve d’un comportement après le fait peut servir à établir divers aspects des éléments essentiels d’une infraction. Elle peut servir à établir l’identité de l’auteur de l’infraction. Elle peut également servir à établir l’intention requise comme dans les arrêts Jaw et Rodgerson. Ce type de preuve peut en outre servir à établir d’autres éléments, tel que le souligne le juge Major dans White 1998, paragraphe 26 :
« La question de savoir s’il faut autoriser le jury à tenir compte du comportement de l’accusé après l’infraction dépend des faits de chaque espèce. Il faut tout d’abord se demander ce qui suit : que tente d’établir le ministère public grâce à cet élément de preuve? […] La preuve relative au comportement après l’infraction peut néanmoins servir à d’autres fins, dans les cas qui s’y prêtent, notamment pour relier l’accusé aux lieux du crime ou à un élément de preuve matérielle, ou encore, pour miner la crédibilité de l’accusé en général ».
[37] Une telle preuve peut aussi être avancée pour faire échec à des moyens de défense. À ce sujet, le juge Lebel indique ce qui suit dans Jaw, au paragraphe 40 :
« Le comportement de l’accusé postérieur à l’infraction peut également servir à discréditer les moyens de défense relatifs à l’état d’esprit de l’accusé au moment de la perpétration de l’infraction, qui peuvent donc influer sur sa capacité de former l’intention requise pour commettre l’infraction, par exemple le moyen fondé sur l’intoxication […] et celui fondé sur la « non-responsabilité criminelle » que l’accusé peut invoquer en vertu de l’art. 16 ».
[38] Dans cet extrait, la Cour cite l’arrêt R. c. Pharr, 2007 ONCA 551, soit un bref arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui, au passage, ne décrit pas les faits litigieux. Dans cette affaire, l’accusé subissait un procès pour meurtre au deuxième degré et avait notamment avancé une défense de légitime défense et d’intoxication. Le premier juge a lié la preuve du comportement après le fait à la légitime défense et à l’intoxication. La Cour d’appel a tranché que la directive au sujet du comportement après le fait visait ces moyens de défense proprement dits mais non la question plus délicate de savoir si la preuve en question permettait de départager si l’accusé avait commis un meurtre ou un homicide involontaire coupable.
[39] C’est dans un tel contexte que la Cour suprême, dans Jaw, réfère à l’arrêt Pharr au soutien de la proposition selon laquelle une preuve de comportement après le fait est susceptible de contrer une allégation d’intoxication qui peut être avancée par l’accusé.
[40] Quelle que soit la fin à laquelle est destinée la preuve du comportement après le fait, celle-ci demeure une preuve circonstancielle qui doit rencontrer tout d’abord le critère de la pertinence. Il s’agit de la première étape comme l’analyse clairement le juge Rothstein dans l’arrêt White 2011 à partir du paragraphe 36 de l’arrêt.
[41] Pour décrire la pertinence dans ce contexte, tant l’arrêt White 1998 que White 2011 reprennent le même extrait tiré d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Peavoy, (1997) 1997 CanLII 3028 (ON CA), 34 O.R. 3d 620. Cet extrait est le suivant :
« La preuve relative au comportement après le fait est admise d’ordinaire pour établir que l’accusé a agi d’une manière jugée compatible, selon l’expérience humaine et la logique, avec le comportement d’une personne coupable et non avec celle d’une personne innocente ».
[42] Aussi, dans White 2011, un autre extrait tiré d’autres sources suggère que la pertinence s’articule ainsi, au paragraphe 36 :
« La preuve répond à la norme de la pertinence « lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend d’une façon quelconque à rendre la thèse qu’elle appuie plus vraisemblable qu’elle ne le paraîtrait sans elle »».
[43] Au paragraphe 44 de White 2011, le juge Rothstein discute de l’expérience judiciaire et de l’existence d’études sur la valeur probante de la preuve de comportement après le fait. Dans le cadre de cette discussion, il évoque le fait qu’un élément de preuve donné peut être trop « équivoque » pour rencontrer le test de la pertinence. Il s’agit, là encore, d’une autre manière de définir la pertinence, soit le rapport logique entre le fait dont l’admissibilité est requise et le fait à prouver.
[44] Enfin, toutes les décisions mentionnées reconnaissent un danger potentiel lié à l’admission de ce type de preuve. Voici comment le juge Major dans White 1998 exprime ces risques, au paragraphe 22 :
« Il est toutefois reconnu que la preuve relative au comportement postérieur à l’infraction présentée à l’appui d’une conclusion de conscience de culpabilité crée une grande ambiguité et est susceptible d’induire le jury en erreur. Comme l’a signalé notre Cour dans l’arrêt Arcangioli, le jury risque de ne pas prendre en considération les autres explications possibles du comportement de l’accusé et se servir à tort de cet élément de preuve pour conclure immédiatement à la culpabilité. En particulier, le jury pourrait attribuer une conscience de culpabilité à une personne qui a fui ou qui a menti pour un motif parfaitement innocent, telle la panique, la gêne ou la crainte d’être accusée à tort. Le jury pourrait aussi conclure que le comportement de l’accusé était imputable à un sentiment de culpabilité sans se demander si ce sentiment de culpabilité est lié au crime dont il est inculpé, et non à un autre acte coupable ».
[45] Dans White 2011, la Cour a repris cette même notion au paragraphe 23.
[46] Afin de pallier les risques d’une telle preuve, l’arrêt White 2011 préserve le pouvoir résiduel du juge du procès d’exclure une preuve dont l’effet préjudiciable est excessif en rapport avec sa valeur probante.
[47] Si la preuve est pertinente et n’est pas exclue par l’application du pouvoir résiduel du juge du procès, alors c’est au jury d’en soupeser le poids. Les trois extraits suivants tirés de White 2011 expliquent parfaitement la marche à suivre, respectivement aux paragraphes 51, 52 et 54 :
« […] [I]l y a lieu de faire une distinction entre soustraire le comportement postérieur à l’infraction à l’appréciation du jury parce qu’il n’a aucune valeur probante relativement à une question en litige et l’exclure parce que sa valeur probante est moindre que son effet préjudiciable. Il se peut que l’exercice de ce pouvoir d’exclusion discrétionnaire constitue la solution la plus opportune à certaines craintes que le jury utilise mal le comportement postérieur à l’infraction et « la preuve relative à l’attitude ».
[…]
Toutefois, comme ce pouvoir discrétionnaire remet en question la compétence du jury en tant que juge des faits, il faut évoquer explicitement l’effet préjudiciable excessif de la preuve et se garder de le camoufler derrière la conclusion que cette preuve n’a aucune valeur probante. Si le juge n’exerce pas ce pouvoir discrétionnaire, il faut faire confiance au jury, auquel on aura souvent fait une mise en garde, pour soupeser la preuve pertinente.
[…]
L’élément de preuve jugé pertinent est généralement admissible, et il revient alors au jury de décider du poids à lui accorder ».
[48] Enfin, si une preuve de comportement après le fait est soumise au jury, alors deux options demeurent disponibles au juge du procès : ce dernier peut faire une mise en garde générale au jury ou, le cas échéant, lui donner une directive restrictive relativement à l’usage limité qu’il peut en faire.
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