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mardi 22 juillet 2025

Est-ce qu'un accroc à la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre entraîne la perte de la qualification du technicien qualifié?

R. c. Bourbonnière, 2025 QCCM 32

Lien vers la décision


[29]        La question à trancher pour déterminer l’issue du litige : l’agent De Melo est-il un technicien qualifié lorsqu’il opère l’éthylomètre le 10 mars 2023, lors des tests avec l’accusé Bourbonnière? Ou, autrement dit, la défense réussit-elle à susciter un doute raisonnable quant à sa qualification?

[30]        Avant de résoudre cette question, le Tribunal abordera brièvement la question de l’objection.

 

L’OBJECTION

Le droit

[31]        Il est de jurisprudence constante qu’une partie ne saurait, au moment des plaidoiries, s’objecter au dépôt d’une preuve si elle a fait défaut de s’y objecter en temps opportun[15]. Ce moment opportun : « […] should be taken at the time the evidence is tendered. […]. »[16].

[32]        Cependant, la défense n’a pas l’obligation de s’opposer au dépôt du certificat du technicien qualifié puisqu’il revient à la poursuite, si elle souhaite bénéficier de la présomption d’exactitude, d’en établir les prérequis. Comme le souligne la Cour d’appel dans Falcon : « […] “[…] [t]he defence [has] no obligation to review and point the missteps in the Crown’s strategy. […]” […]  »[17]La défense a donc eu l’obligeance d’annoncer ses couleurs, malgré son absence d’obligation à le faire.

[33]        Dans Neault, la Cour d’appel précise que : « […] L’on ne saurait inférer du seul silence d’un accusé ou de l’absence d’arguments sur tel ou tel point qu’il renonce à exiger que la poursuite établisse tous les éléments essentiels de l’infraction portée contre lui. […] »[18]. L’accusé n’a donc pas à « […] réfuter les conditions d’application d’une présomption. L’application d’une présomption ne se présume pas »[19]C’est à la poursuite à présenter une preuve complète[20].

[34]        Selon les auteurs Karen Jokinen et Peter Keen, l’article 320.31 du C.cr. ne concerne pas l’admissibilité d’une preuve, mais comment cette preuve doit être analysée après son admission[21].

[35]        En considération de ce qui précède, bien que le Tribunal doive obligatoirement trancher l’objection soulevée, cette détermination peut être reportée au moment du dispositif final, après l’analyse complète de la preuve.

LA PRÉSOMPTION DE L’ARTICLE 320.31 DU CODE CRIMINEL

Le droit

[36]        L’article 320.31 du Code criminel prévoit une présomption d’exactitude dont le poursuivant peut se prévaloir, sous réserve que les conditions énoncées aux paragraphes 320.31(1)a), b) et c) soient rencontrées, hors de tout doute raisonnable[22]. Lorsque cette preuve est établie, les résultats de l’éthylomètre font foi de l’alcoolémie de la personne au moment des analyses. Un de ces prérequis est que l’éthylomètre doit être manipulé par un technicien qualifié.

[37]        Selon l’article 320.11 du C.cr., un technicien qualifié signifie : « […] a) S’agissant d’échantillons d’haleine, toute personne désignée par le procureur général en vertu de l’alinéa 320.4a); […] »[23].

[38]        L’article 320.4 C.cr. se lit comme suit :

« 320.4 Le procureur général peut désigner :

a) pour l’application de la présente partie, toute personne comme étant qualifiée pour manipuler un éthylomètre approuvé;

[…] »[24]

[39]        Un technicien qualifié doit donc être désigné par le Procureur général pour manipuler l’éthylomètre. La poursuite doit prouver que : « […] the technician is qualified and designated as such by the Attorney General. »[25].

[40]        La poursuite bénéficie de plusieurs moyens pour établir que le technicien est un technicien qualifié. La Cour d’appel de Saskatchewan, dans Lange, en dénombre quatre :

« [19] […]

(a) by relying on the special rule of evidence prescribed in the equivalent of s. 258(1)(g); [(maintenant 320.31(1))]

(b) by calling the Attorney General or his deputy, which, of course, is not practicable;

(c) by relying on s. 22(1) of the Canada Evidence Act, RSC 1985, c C-5, and filing a copy of the official Gazette or a copy of the appointment or certified copy of the appointment; or

(d) by relying on certain presumptions of law and rules of evidence developed by the common law including the maxim omnia praesumuntur rite esse acta; »[26] (soit la doctrine de présomption de régularité)

[41]        La poursuite peut aussi prouver le statut du technicien qualifié par le témoignage de ce dernier[27], mais n’a pas l’obligation, pour les fins de l’article 320.31 du C.cr., de le faire entendre pour déposer son certificat[28] et peut invoquer la présomption en s’appuyant sur le certificat d’un technicien qualifié, si ce certificat fait état de la valeur cible de l’alcool type certifiée par l’analyste[29].

 

 

[42]        Si la défense souhaite contre-interroger l’analyste ou le technicien qualifié, et ainsi susciter un doute raisonnable quant au statut du technicien qualifié, elle doit en faire la demande en vertu de l’article 320.32(3) du C.cr.[30], et se conformer aux critères prévus à l’article 320.32(4) du C.cr. Le Tribunal tient alors une audition pour déterminer s’il rend ou non l’ordonnance demandée[31].

[43]        Cela n’exempte pas la poursuite de son obligation d’aviser de son intention de produire le certificat, conformément à 320.32(2) C.cr.

[44]        Selon Betts :

« The validity and admissibility of a certificate of a "qualified technician" does not depend on evidence proving the qualifications to operate an approved instrument other than a designation by order of the Attorney-General of a Province. The truth of any statement made by a qualified technician may be attacked by evidence to the contrary but his qualification to give the certificate and have it admitted in evidence cannot be attacked except on the ground that he had not been designated by the Attorney-General. […] »[32]

[45]        Cependant, rien, dans le libellé de l’article 320.31 du C.cr., ne permet d’inférer qu’une preuve contraire soit nécessaire et la Cour, dans Falcon, mentionne, au sujet des présomptions d’identité et d’exactitude (ancien article 258 du C.cr.) :

« [23] […] les règles habituelles du droit criminel s’appliquent. Contrairement à une requête constitutionnelle où un accusé fait valoir un droit, rien dans la loi n’impose à l’accusé de réfuter les conditions d’application des présomptions; il n’y a pas de présomption que les conditions sont satisfaites à moins d’une preuve contraire. […] »[33]

[46]        La défense peut donc plaider, c’est-à-dire soulever un doute raisonnable, que la poursuite n’établit pas, hors de tout doute raisonnable, les prérequis de l’article 320.31(1) du C.cr. Les auteurs Karen Jokinen et Peter Keen en viennent à la même conclusion[34].

[47]        Si la poursuite n’établit pas tous les prérequis de l’article 320.31(1) du C.cr., la preuve demeure néanmoins admissible[35]. Ce qui signifie qu’un accusé peut quand même être déclaré coupable, si un juge est convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu’il a commis l’infraction[36]. Ce qui n’était pas possible sous l’ancien régime (article 258(1)c) du C.cr.) où, si la poursuite ne faisait pas la preuve de tous les prérequis, elle perdait le bénéfice de la présomption[37].

 

 

Application aux faits de la cause

[48]        La défense plaide que De Melo n’est plus technicien qualifié au moment des tests parce qu’il n’a pas respecté l’article 21b) de la Politique en ne retournant pas sa carte, alors qu’il n’avait pas effectué un Moodle dans les 12 derniers mois.

[49]        Avant de procéder à l’interprétation de la Politique, le Tribunal a posé la question suivante à la défense : quelle est la force de loi d’une politique administrative?

[50]        La défense répond en référant le Tribunal au concept de délégation de pouvoir, invoquant l’article 2 de la Politique sur lequel s’appuierait cette délégation de pouvoir, donnant ainsi force de la loi à la politique administrative du maintien des compétences et s’en remet à l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique[38].

[51]        La poursuite considère que la Politique n’a pas force de loi et réfère la Cour à de nombreuses autorités jurisprudentielles.

FORCE DE LOI D’UNE POLITIQUE ADMINISTRATIVE

La délégation de pouvoir

[52]        Une délégation de pouvoir, sans entrer dans des considérations de droit administratif, signifie qu’une autorité délègue, à un tiers, ladite autorité pour agir en son nom. Cette délégation identifie le délégant et le délégataire. Pour reprendre les termes de l’auteur Patrice Garant : « L’attribution d’une compétence à une autorité administrative est généralement précisée par la désignation du titulaire. […] »[39].

[53]        La délégation administrative se désigne sous le vocable de « […] sous‑désignation […] »[40] qui se divise en deux catégories : l’explicite, expressément autorisée par la loi, donc clairement formulée; et l’implicite, découlant du contexte et pouvant exister à certaines conditions[41].

[54]        La lecture de l’article 2 de la Politique ne donne aucun indice d’une délégation quelconque, ne mentionne que les références légales sur lesquelles la Politique s’appuie, mais aucune de ces références ne semble contenir de dispositions prévoyant que le Procureur général, ou son équivalent, puissent réglementer la formation et le maintien des compétences d’un TQE. Du moins, aucune n’a été portée à l’attention du Tribunal.

[55]        Si le législateur avait voulu encadrer le maintien des compétences d’un technicien qualifié, et en faire une obligation légale relevant du gouverneur en conseil, il l’aurait prévu, comme il l’a fait dans le cas des agents-évaluateurs à l’article 320.38a) du C.cr. Et, puisqu’il ne semble pas y avoir de politique unifiée à travers le Canada[42] quant au maintien des compétences, la jurisprudence des autres provinces à ce sujet est de peu d’assistance.

[56]        Selon l’auteur Garant, pour avoir force de loi, un texte législatif doit être le résultat d’un exercice de sous-délégation expresse de pouvoirs législatifs en accord avec le principe de la primauté du droit[43]. La Politique n’établit pas une telle délégation. Le Tribunal en conclut qu’il n’y a pas de délégation expresse de pouvoirs.

[57]        La politique administrative s’apparente à un acte pararéglementaire[44]. Selon Garand, ces textes : « […] ont une grande utilité, mais n’ont surtout qu’une valeur incitative ou interprétative […] »[45]. Ces textes n’ont pas force de loi et ne sont pas des règles de droit[46].

[58]        La défense évoque, mais sans élaborer à son sujet, l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie‑Britannique[47] et a transmis, durant le délibéré, la décision de Pichette[48] qui traite de cet arrêt.

[59]        Dans Greater Vancouver Transportation Authority, la Cour réfère à la force de loi d’une politique dans un contexte de Charte et d’examen de la légitimité de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Ce qui ne s’applique pas à notre dossier. Deux passages paraissent pertinents à notre analyse :

« [64] La politique qui n’est pas administrative par nature et qui satisfait à certaines exigences peut constituer une “règle de droit”. Pour qu’elle soit de nature législative, la politique doit établir une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. Un tel pouvoir existe lorsque le législateur fédéral ou provincial a délégué un pouvoir à l’entité gouvernementale aux fins précisément d’adopter des règles obligatoires d’application générale établissant les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties […]. Point n’est besoin, pour l’application de l’article premier de la Charte, que ces règles revêtent la forme de textes réglementaires. Dans la mesure où leurs lois habilitantes permettent aux entités d’adopter des règles obligatoires, où leurs politiques établissent des droits et des obligations d’application générale plutôt que particulière et où elles sont suffisamment accessibles et précises, alors ces politiques sont réputées constituer des “règles de droit” susceptibles de restreindre un droit garanti par la Charte.

[65] Ainsi, lorsqu’une politique gouvernementale est autorisée par la loi, qu’elle établit une norme générale se voulant obligatoire et qu’elle est suffisamment accessible et précise, il s’agit d’une règle de nature législative qui constitue une “règle de droit”. »[49] (nos caractères gras)

[60]        Le Tribunal constate l’absence d’autorisation législative et de délégation de pouvoirs d’établir la politique sur le maintien des compétences.

[61]        Le Tribunal note d’ailleurs que l’abolition de l’article 21 dans la politique subséquente, entrée en vigueur le 7 mars 2024 (P-8), à celle en vigueur au moment des infractions alléguées (P‑17), ne semble avoir apporté aucune modification au Code criminel, ou à ses lois connexes, concernant la désignation du technicien qualifié ni sur les critères requis au sujet du maintien des compétences et de son impact sur l’application de la présomption d’exactitude.

[62]        De plus, selon la jurisprudence recensée, les directives ou politiques émanant des services de police ou du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), entité gouvernementale, ne semblent pas avoir force de loi.

[63]        Dans Bacon, la Cour mentionne :

« [51] […] While policies and police manuals may often be considered as expressing best practices, or at least good practices, unless they bear the imprimatur of law through the statutory processes of subordinate legislation, jurisprudence consistently declines to give them binding force. »[50]

[64]        Dans Beaudry, la Cour mentionne : « Le juge Doyon semble attribuer aux directives administratives du Guide de pratiques policières une valeur normative qu’elles n’ont pas. Il faut se rappeler que ces directives n’ont pas force de loi. »[51]. La Cour poursuit en citant le juge Doherty : « […] [TRADUCTION] Les devoirs d’un policier, et partant, ses obligations, ne sauraient se confondre avec les directives sur la manière de s’y conformer. Les politiques de l’Administration policière ont trait aux modalités d’exécution de ces devoirs et obligations, et non à leur définition ou délimitation. […] »[52].

[65]        Dans St-Pierrela Cour d’appel du Québec, se référant à Beaudry :

« [25] Contrairement à ce que prétend l’appelant, en principe, la non‑observance d’une directive administrative ne peut pas, en soi, constituer un abus de procédure. La Cour est d’avis que les remarques de la Cour suprême dans l’arrêt Beaudry sont transposables aux directives en cause en ce qu’elles n’ont qu’une valeur normative relative, qu’elles n’ont pas force de loi et, surtout, qu’elles ne peuvent modifier la portée du pouvoir discrétionnaire du poursuivant qui découle de la common law ou d’une loi […]. »[53]

[66]        Dans Ouellet, la Cour d’appel mentionne : « […] La directive relative à la conduite d’un véhicule de la Sûreté du Québec lors d’une mission de surveillance physique n’a pas force de loi […]. »[54].

 

 

[67]        Dans Viau, la Cour supérieure mentionne :

« [259] La directive COL-1 non plus, d’ailleurs. Bien que ce type de directives puisse être considéré comme “balise servant à repérer et analyser la conduite du D.P.C.P.”, il a été reconnu que “les politiques et les lignes directrices du ministère public n’ont pas force de loi et ne peuvent en elles‑mêmes faire l’objet, dans l’abstrait, d’un examen fondé sur la Charte”. Ces directives peuvent être pertinentes à l’occasion d’une analyse comme celle dont est saisi le Tribunal, mais elles ne sauraient en être le fondement. »[55]

[68]        Dans HMTQ v. Dallas, Hinchcliffe & Terezakis, la Cour mentionne :

« [104] It would not be proper for the Courts to give the force of law to RCMP policy. The policy is not enacted by Parliament, but produced by the RCMP for the guidance of its members. If the policy is not adhered to, it is a matter for the RCMP to deal with through its established procedures. The RCMP can amend or repeal its policy as it chooses. »[56]

[69]        De plus, la Politique n’a pas fait l’objet de publication, comme pour une loi ou un règlement. Il est donc difficile de prétendre que ladite politique puisse être génératrice de droits et d’obligations, pour et envers des tiers.

[70]        Il en résulte que le non-respect de la Politique, fut-elle gouvernementale parce qu’émanant de la Sécurité publique, n’a pas force de loi[57] et ne peut permettre au Tribunal de conclure que le technicien qualifié n’est plus désigné au moment d’opérer l’éthylomètre.

[71]        Cependant, même si la Politique n’a pas force de loi, elle peut servir à attaquer la crédibilité du technicien qualifié et la fiabilité de son témoignage[58], et susciter un doute raisonnable quant à la preuve de la poursuite concernant les prérequis.

[72]        Comme le souligne la Cour dans Larocque :

« [44] […] La formation et le jugement professionnels du technicien qualifié sont très importants, et le rôle qu’il joue est crucial pour le prélèvement d’échantillons permettant des analyses fiables de l’alcoolémie de l’accusé. C’est sa formation et son expérience qui lui dictent la bonne marche à suivre afin de pouvoir attester du résultat du test d’étalonnage. »[59]

[73]        Le Tribunal conclut que la Politique à l’égard de la désignation des techniciens qualifiés en éthylomètre (P-17), en vigueur au moment de l’infraction reprochée à l’accusé, n’a pas force de loi.

 

[74]        Même si la Politique n’a pas force de loi, le Tribunal doit se demander si son non‑respect, si non-respect il y a, affecte les compétences du technicien qualifié, suscitant un doute raisonnable sur sa compétence de technicien qualifié et sa capacité de pouvoir attester de la fiabilité des tests éthylométriques.

[75]        Pour trancher cette question, le Tribunal devra déterminer, dans un premier temps, si De Melo a contrevenu à la Politique et, dans un deuxième temps, l’impact de cette contravention.

LA POLITIQUE

[76]        La preuve établit que le TQE De Melo n’a pas respecté (cette preuve n’est pas contredite ni expliquée) l’article 21 de la Politique, en n’effectuant pas un Moodle dans un délai de 12 mois. La preuve ne révèle pas non plus si De Melo a, à un moment ou à un autre, en lien avec cette situation, retourné sa carte et, si oui, ce qu’il est advenu par la suite.

[77]        Cependant, le 9 février 2023, il subit sa requalification, ce qui remet, selon la preuve entendue de l’expert Collin, et qui tombe sous le sens, les compteurs à zéro, tant pour les exercices ou dossiers opérationnels devant être effectués dans les 90 jours que pour le Moodle devant être effectué tous les 12 mois. L’on comprend qu’une requalification remet les compteurs à zéro, tout comme la première qualification est le point de départ des délais de 90 jours et de 12 mois.

[78]        Selon l’article 24 de ladite Politique, un technicien qualifié qui ne maintient pas sa compétence, dans les délais prévus à l’article 21, ne peut manipuler un éthylomètre dans un dossier opérationnel.

[79]        Selon l’article 25 de la même Politique, le technicien qui n’a pas respecté les demandes de maintien des compétences de l’article 21 peut, de nouveau, manipuler un éthylomètre s’il satisfait de nouveau aux critères de l’article 21.

[80]        Donc, dès que le technicien remet ses compétences au niveau demandé par l’article 21, il peut de nouveau opérer l’appareil pour un dossier opérationnel.

[81]        Mais, si le technicien n’a pas maintenu ses compétences ou n’a pas fait le nécessaire pour les retrouver, il ne peut, selon l’article 24, manipuler un éthylomètre, afin de procéder à une analyse suivant un ordre sous l’article 320.28 du C.cr., et ce, jusqu’à ce qu’il remette ses compétences à niveau selon les critères de l’article 21.

[82]        Si le technicien manipule l’appareilalors qu’il n’a pas remis à niveau ses compétencesdans ce cas, sa carte doit être retournée à l’ENPQ, en conformité avec l’article 18 de la Politique.

[83]        Avec déférence pour mes collègues, arrivant à des conclusions contraires, et sans vouloir manquer de courtoisie judiciaire, comme mentionné par la défense[60], je suis en désaccord avec leur interprétation de l’article 18 de la Politique. Voici pourquoi.

Interprétation de la Politique

[84]        Selon la méthode d’interprétation moderne des textes :

« [26] […]

[TRADUCTION] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d’interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes […]. »[61]

[85]        Cette méthode d’interprétation s’applique aussi aux règlements municipaux[62]. Le Tribunal croit qu’il doit s’en inspirer pour l’interprétation de politiques administratives. Ce qu’est la politique concernant le maintien des compétences : une politique administrative.

[86]        Il doit y avoir une cohésion entre les articles 18, 21, 24 et 25 de la Politique afin qu’ils n’entrent pas en conflit et que chacun puisse trouver application dans son champ respectif.

[87]        L’article 21 vise le maintien des compétences, l’article 25 permet de les récupérer, l’article 24 interdit à un technicien dont le maintien des compétences n’est pas conforme à l’article 21 de manipuler un éthylomètre approuvé et l’article 18 mentionne qu’un technicien qui contrevient à l’article 24 (et non 21) doit retourner sa carte de désignation.

[88]        Ce n’est pas lorsque le technicien qualifié contrevient à l’article 21 qu’il doit retourner sa carte de qualification, mais lorsqu’il contrevient à l’article 24 de la Politique.

[89]        Les circonstances de l’article 24 sont les suivantes : le technicien manipule l’éthylomètre approuvé alors que les compétences ne sont pas maintenues conformément à l’article 21. C’est la combinaison des deux éléments qui lui impose l’obligation de retourner sa carte de qualification, et non le seul manquement à l’article 21 qui peut être corrigé, comme le prévoit l’article 25.

[90]        Cette distinction est importante puisqu’elle permet de comprendre pourquoi, en vertu de l’article 25, un technicien qualifié peut, de nouveau, être compétent en respectant les critères de l’article 21, ce qu’il peut faire s’il n’a pas manipulé l’éthylomètre approuvé alors qu’il n’avait pas maintenu ses compétences.

[91]        En résumé, le technicien qualifié doit maintenir sa compétence, selon les critères de l’article 21. S’il ne le fait pas, il peut les récupérer selon l’article 25 et s’il n’a pas maintenu ses compétences en vertu de l’article 21, il ne peut manipuler l’éthylomètre en vertu de l’article 24. S’il le fait, il doit retourner sa carte de qualification conformément à l’article 18 de la Politique.

[92]        Je partage l’avis de ma collègue sur ce point, dans Basques, qui mentionne :

« [40] L’article 24 de la Politique de 2020 ne prévoit que la conséquence administrative du non-respect des exigences de l’article 21 et se conjugue logiquement à l’article 25 qui met fin à cette limitation temporaire de la manipulation, en permettant au technicien de manipuler l’appareil, dès qu’il satisfait à nouveau aux critères de maintien des compétences prévus à l’article 21. De l’avis du Tribunal, c’est la seule façon de rendre l’article 25 cohérent avec l’esprit de la Politique. Cette interprétation respecte aussi l’intention véritable du législateur, en donnant aux mots utilisés dans la disposition leur sens ordinaire et grammatical, et ce, dans le contexte de l’ensemble de la loi. »[63]

[93]        Conclure le contraire signifierait qu’à chaque dépassement de délai (de 90 jours ou de 12 mois), par exemple, une absence pour cause de maladie ou d’accident de travail, un congé pour une formation, un policier affecté à une opération spéciale, le technicien qualifié, même pour le dépassement d’une journée, devrait retourner sa carte. Il est aussi incongru qu’il puisse remettre ses compétences à niveau, selon la Politique, mais ne puisse alors manœuvrer la machine ayant retourné sa carte. À quoi bon, alors, recouvrer sa compétence?

[94]        Cette conséquence semble contraire à l’esprit même de la Politique qui permet au TQE de récupérer par lui-même sa compétence et, de nouveau, opérer l’appareil.

[95]        C’est ce qui permet à la juge, dans Dufour, de conclure : « […] La désignation d’un technicien par le ministre de la Sécurité publique demeure jusqu’à sa révocation. »[64].

Le droit applicable à la révision de type Garofoli & la question préliminaire du statut des accusés pour contester les autorisations

R. c. Brisson, 2023 QCCS 1973

Lien vers la décision


[31]        Toute autorisation judiciaire bénéficie d’une présomption de validité, et il appartient aux accusés d’en établir l’invalidité, que ce soit en regard de la validité apparente ou sous-apparente, en établissant que l’autorisation judiciaire n’aurait pas dû être accordée. Les accusés ont également le fardeau de démontrer, selon la balance des probabilités, la violation de leurs droits constitutionnels.

[32]        Quant aux principes applicables à la révision d’une autorisation judiciaire, le Tribunal se réfère aux résumés qu’en fait l’honorable juge David Watt dans les deux arrêts suivants de la Cour d’appel de l’Ontario.

[33]        Premièrement, voici ce qu’il écrivait dans R. v. Paryniuk[13] :

[42]   A trial judge who has to determine whether a search was authorized by law must decide whether the conditions precedent to the search authority on which reliance is placed have been satisfied. To do this, the trial judge conducts a hearing – a Garofoli application. At that hearing, the judge examines the material before the authorizing judge or justice, material which may differ from the original because portions have been redacted, for example, to protect confidential informer privilege. Evidence at the Garofoli hearing may persuade the trial judge that parts of the original material should be excised or amplified. In the end, the record becomes fixed for review purposes.

[43]   What the trial judge is required to decide on the Garofoli application is whether, based on the record before the authorizing judge or justice, as amplified on the Garofoli review, the authorizing judge could have granted the enabling order: Garofoli, at p. 1452. The judge must decide whether, after excision and amplification, there was reliable evidence which might reasonably be believed on the basis of which the search authority could have been issued: Araujo, at paras. 51, 54; R. v. Campbell2011 SCC 32, [2011] 2 S.C.R. 549, at para. 14R. v. Morelli2010 SCC 8, [2010] 1 S.C.R. 253, at para. 40. The onus of establishing that the search authority was improvidently granted rests upon the accused: Campbell, at para. 14; Morelli, at para. 131Quebec (Attorney General) v. Laroche2002 CSC 72 (CanLII), 2022 SCC 72, [2002] 3 S.C.R. 708, at para. 68.

[44]   Prior to Garofoli, fraud, non-disclosure, misleading evidence and new evidence were prerequisites to review of the enabling order: Garofoli, at p. 1452. But thereafter, the “sole impact” of the same things was to determine whether there remained any basis for the decision of the authorizing judge or justice: Garofoli, at p. 1452. See also Araujo, at para. 51; Bisson, at p. 1098.

[45]   The assessment required by Garofoli is contextual. What is involved is an analysis to determine whether there remains sufficient reliable information upon which the search authority could be grounded. This approach appropriately balances the need for judicial finality and the need to protect systems of pre‑authorization: Araujo, at para. 54. In this analysis, facts originally omitted are also considered: Morelli, at para. 60.

[46]   Essential features of the Garofoli application are excision and amplification. Erroneous information is excised from the ITO and disregarded in determining whether the essential evidentiary predicate remains: Araujo, at para. 58; Campbell, at para. 14; Morelli, at para. 41. But errors made in good faith may be corrected by amplification through the introduction of evidence that was available when the ITO was prepared: Morelli, at paras. 41-43.

[47]   A final point concerns the standard against which alleged errors or omissions in the ITO are tested. The affiant’s assertions are tested against the affiant’s reasonable belief at the time the ITO was composed, not the ultimate truth of the facts stated: World Bank Group v. Wallace2016 SCC 15[2016] 1 S.C.R. 207, at para. 122.

[34]        Deuxièmement, voici ce qu’il écrivait dans R. v. Sadikov[14] :

The Standard for Warrant Review

[83]   Warrant review begins from a premise of presumed validity: Wilson, at para. 63; and R. v. Campbell2010 ONCA 588, 261 C.C.C. (3d) 1, at para. 45, aff’d 2011 SCC 32, [2011] 2 S.C.R. 549. It follows from this presumption of validity that the onus of demonstrating invalidity falls on the party who asserts it, in this case, Sadikov.

[84]   The scope of warrant review is narrow. The review is not a de novo hearing of the ex parte application. The reviewing judge does not substitute his or her view for that of the issuing judge: Garofoli, at p. 1452; R. v. Ebanks2009 ONCA 851, 97 O.R. (3d) 721, at para. 20, leave to appeal to S.C.C. refused, [2010] 1 S.C.R. ix; and R. v. Morelli2010 SCC 8, [2010] 1 S.C.R. 253, at para. 40. The standard is whether there is sufficient credible and reliable evidence to permit a justice to find reasonable and probable grounds to believe that an offence has been committed and that evidence of that offence would be found at the specified time and place of search: Morelli, at para. 40. Said in another way, the test is whether there was reliable evidence that might reasonably be believed on the basis of which the warrant could – not would – have issued: Morelli, at para. 40Araujo, at para. 54; and Garofoli, at p. 1452.

[85]   The reviewing court does not undertake its review solely on the basis of the ITO that was before the issuing judge. The reviewing court must exclude erroneous information included in the original ITO, but may also consider, within limits, additional evidence adduced on the voir dire to correct minor errors in the ITO. Amplification evidence corrects good faith errors of the police in preparing the ITO, but does not extend to deliberate attempts to mislead the authorizing judge: Morelli, at para. 41; and Araujo, at para. 58. Evidence relied upon to amplify the record must be evidence available to investigators at the time the ITO was sworn, not information acquired later: Morelli, at para. 43.

[86]   Warrant review is an integral part – a first step – in an inquiry into admissibility of evidence proposed for reception. It is not a trial and must not take on the trappings of a trial in which the truth of the allegations contained in the indictment is explored: Ebanks, at para. 21. In establishing the record for the purposes of review, what is to be excised from the ITO is information that is erroneous, not information that is correct, or information that contradicts other information, or information with which the reviewing judge does not agree: Ebanks, at para. 21.

[87]   Warrant review requires a contextual analysis. Inaccuracies in the ITO, on their own, are not a sufficient basis on which to ground a finding of bad faith or an intent to mislead, much less to provide a basis on which to set aside the warrant: Araujo, at para. 54. The existence of fraud, non-disclosure, misleading evidence, and new evidence are all relevant but are neither a prerequisite to, nor dispositive of, the review: Garofoli, at p. 1452; and Ebanks, at para. 20.

[88]   It is no part of the reviewing judge’s mandate to determine whether she would issue the warrant on the basis of the amplified record. Nor is it the reviewing judge’s role to draw inferences, or to prefer one inference over another. The inquiry begins and ends with an assessment of whether the amplified record contains reliable evidence that might reasonably be believed on the basis of which the warrant could have issued: Morelli, at para. 40.

[35]        Ces principes sont constamment suivis par les tribunaux, dont notamment par notre Cour d’appel dans Brûlé c. R.[15].

La question préliminaire du statut des accusés pour contester les autorisations

[36]        Une question préliminaire a été soulevée par le Tribunal concernant le statut des accusés, autres que Gilles Junior Brisson, pour attaquer la première autorisation judiciaire qui visait la géolocalisation du Land Rover LR2 rouge, dont la preuve révèle qu’il a été loué et utilisé par Gilles Junior Brisson.

[37]        Il en va de même du statut des accusés pour contester les autorisations subséquentes obtenues après l’arrestation de quatre des cinq accusés le 18 février 2021, à la suite d’une introduction par effraction dans une maison d’habitation à Montréal, alors qu’ils prenaient place à bord d’un véhicule Ford F‑150 blanc qui faisait l’objet d’une filature.

[38]        Le Tribunal est d’accord avec l’analyse faite par l’honorable Michel Pennou, j.c.s., dans la décision Lanthier c. R.[16], quant au statut d’un accusé pour invoquer la violation d’un droit constitutionnel d’un autre accusé et demander la suppression des paragraphes d’une dénonciation y référant :

[37]   Le Tribunal est d’avis que les accusés ne peuvent demander et donc obtenir la rature de renseignements figurant à la dénonciation de Boily, et prétendument obtenus en violation de la Charte, que s’ils peuvent personnellement revendiquer une telle violation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[38]   Deux situations peuvent entraîner la rature de renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire : Les renseignements sont inexacts, incomplets ou trompeurs; les renseignements ont été obtenus en contravention de la Charte.

[39]   Dans les deux situations, on applique le même procédé correcteur, mais la raison d’être de son application diffère. Ce serait donc une erreur de mettre les deux situations sur le même pied, et d’affirmer qu’un seul et même régime de réparation automatique, différent de celui mis en place par l’article 24 de la Charte, s’applique alors et justifie la rature des renseignements.

[40]   La rature de renseignements inexacts, incomplets ou trompeurs répond à l’obligation qu’a celui qui demande ex parte l’émission d’une autorisation judiciaire, de présenter au juge autorisateur de manière complète, simple et sincère les faits à considérer : Voir R. c. Araujo2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 RCS 992, § 46, 47. Que les renseignements concernent l’accusé ou des tiers importe peu. La même obligation vaut pour tout renseignement incorporé à une demande d’autorisation judiciaire. Le reliquat des motifs conforme à cette obligation de candeur et de transparence sera ensuite jugé suffisant, ou non, pour justifier l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.

[41]   La rature des renseignements obtenus en contravention de la Charte s’inscrit plutôt dans une démarche d’exclusion de la preuve dérivée d’une violation antérieure à l’émission de l’autorisation judiciaire dont l’exécution entraîne la découverte. Elle constitue un des rouages du mécanisme d’exclusion de la preuve mis en place au par. 24(2) de la Charte. Elle ne peut donc entrer en jeu que si l’accusé est personnellement en mesure d’invoquer la violation survenue en amont de l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.

[42]   Dans ce cas de figure, la rature de renseignements obtenus en contravention de la Charte ne sert pas seulement à apprécier la suffisance du reliquat des motifs présentés au soutien de la demande d’autorisation judiciaire. Elle sert aussi à vérifier si la preuve dont l’exclusion est demandée a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis par la Charte, et si l’admission de cette preuve déconsidérerait l’administration de la justice.

[43]   Si après rature, le reliquat des motifs ne suffit pas à justifier l’émission d’une autorisation, la violation survenue en amont peut en entraîner une seconde en aval, chacune d’elles pouvant conduire à l’exclusion de la preuve obtenue en exécution de l’autorisation. Et si après rature, le reliquat des motifs suffit à justifier l’émission de l’autorisation, il y a alors lieu de s’interroger sur la connexité entre la violation survenue avant l’émission de l’autorisation judiciaire et les éléments de preuve obtenus en exécution de celle-ci. Si ce lien est jugé suffisant pour que les éléments de preuve obtenus constituent une preuve dérivée de la violation antérieure à l’autorisation émise et exécutée, la possible découverte de cette preuve, indépendamment de la violation survenue antérieurement à l’émission de l’autorisation, sera pertinente lors de l’examen des trois séries de facteurs à considérer sous le régime d’exclusion de la preuve du par. 24(2) de la Charte. Voir R. v. Manchulenko2013 ONCA 543, § 70-73; R. c. Côté2011 CSC 46 (CanLII), 2011 3 RCS 215, § 64‑74, 79. C’est une démarche de ce type qu’adopte la Cour suprême dans les arrêts Grant1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 RCS 223, Plant1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 RCS 281, Willey1993 CanLII 69 (CSC), [1993] 3 RCS 263, et Kokesh1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 RCS 3.

[44]   Par ailleurs, ce qu’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Edwards1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 RCS 128, § 45, représente encore et toujours l’état du droit : Les droits garantis par la Charte sont des droits personnels; une demande de réparation fondée sur le par. 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés.

[45]   Ainsi, sous ce régime d’exclusion de la preuve, il n’est pas incongru que la preuve incriminant plus d’un accusé ne puisse pas être utilisée contre celui dont les droits constitutionnels ont été violés pour l’obtenir, mais qu’elle puisse servir de preuve contre ceux dont les droits constitutionnels n’ont pas été violés. L’affaire considérée par la Cour d’appel dans l’arrêt Timm en offre une illustration.

[39]        La Cour supérieure, dans Boyce-Dickson c. R.[17], adopte essentiellement la même position dans le contexte, cette fois, d’une requête de type Garofoli impliquant la contestation d’une autorisation d’écoute électronique.

[40]        Bien que les accusés plaident certaines décisions rendues dans d’autres provinces qui adoptent parfois une approche différente de celle retenue par la Cour supérieure du Québec dans ces deux dernières décisions, le Tribunal considère qu’il est lié par la règle du stare decisis horizontal telle qu’énoncée dans R. c. Sullivan[18], mais qu’en plus les décisions Lanthier c. R.[19] et Boyce-Dickson c. R.[20] énoncent correctement le droit.

Deux situations peuvent entrainer la rature de renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire

Lanthier c. R., 2020 QCCS 5162

Lien vers la décision


[37]        Le Tribunal est d’avis que les accusés ne peuvent demander et donc obtenir la rature de renseignements figurant à la dénonciation de Boily, et prétendument obtenus en violation de la Charte, que s’ils peuvent personnellement revendiquer une telle violation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[38]        Deux situations peuvent entrainer la rature de renseignements figurant à une dénonciation présentée au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire: Les renseignements sont inexacts, incomplets ou trompeurs; les renseignements ont été obtenus en contravention de la Charte.

[39]        Dans les deux situations, on applique le même procédé correcteur, mais la raison d’être de son application diffère. Ce serait donc une erreur de mettre les deux situations sur le même pied, et d’affirmer qu’un seul et même régime de réparation automatique, différent de celui mis en place par l’article 24 de la Charte, s’applique alors et justifie la rature des renseignements.

[40]        La rature de renseignements inexacts, incomplets ou trompeurs répond à l’obligation qu’a celui qui demande ex parte l’émission d’une autorisation judiciaire, de présenter au juge autorisateur de manière complète, simple et sincère les faits à considérer : Voir R. c. Araujo2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 RCS 992, § 46, 47. Que les renseignements concernent l’accusé ou des tiers importe peu. La même obligation vaut pour tout renseignement incorporé à une demande d’autorisation judiciaire. Le reliquat des motifs conforme à cette obligation de candeur et de transparence sera ensuite jugé suffisant, ou non, pour justifier l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.

[41]        La rature des renseignements obtenus en contravention de la Charte s’inscrit plutôt dans une démarche d’exclusion de la preuve dérivée d’une violation antérieure à l’émission de l’autorisation judiciaire dont l’exécution entraine la découverte. Elle constitue un des rouages du mécanisme d’exclusion de la preuve mis en place au par. 24(2) de la Charte. Elle ne peut donc entrer en jeu que si l’accusé est personnellement en mesure d’invoquer la violation survenue en amont de l’émission de l’autorisation judiciaire sous examen.

[42]        Dans ce cas de figure, la rature de renseignements obtenus en contravention de la Charte ne sert pas seulement à apprécier la suffisance du reliquat des motifs présentés au soutien de la demande d’autorisation judiciaire. Elle sert aussi à vérifier si la preuve dont l’exclusion est demandée a été obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits garantis par la Charte, et si l’admission de cette preuve déconsidèrerait l’administration de la justice.

[43]        Si après rature, le reliquat des motifs ne suffit pas à justifier l’émission d’une autorisation, la violation survenue en amont peut en entrainer une seconde en aval, chacune d’elles pouvant conduire à l’exclusion de la preuve obtenue en exécution de l’autorisation. Et si après rature, le reliquat des motifs suffit à justifier l’émission de l’autorisation, il y a alors lieu de s’interroger sur la connexité entre la violation survenue avant l’émission de l’autorisation judiciaire et les éléments de preuve obtenus en exécution de celle-ci. Si ce lien est jugé suffisant pour que les éléments de preuve obtenus constituent une preuve dérivée de la violation antérieure à l’autorisation émise et exécutée, la possible découverte de cette preuve, indépendamment de la violation survenue antérieurement à l’émission de l’autorisation, sera pertinente lors de l’examen des trois séries de facteurs à considérer sous le régime d’exclusion de la preuve du par. 24(2) de la Charte. Voir R. v. Manchulenko2013 ONCA 543, § 70-73; R. c. Côté2011 CSC 46 (CanLII), 2011 3 RCS 215, § 64-74, 79. C’est une démarche de ce type qu’adopte la Cour suprême dans les arrêts Grant1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 RCS 223, Plant1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 RCS 281, Willey1993 CanLII 69 (CSC), [1993] 3 RCS 263, et Kokesh1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 RCS 3.

[44]        Par ailleurs, ce qu’affirmait la Cour suprême dans l’arrêt Edwards1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 RCS 128, § 45, représente encore et toujours l’état du droit : Les droits garantis par la Charte sont des droits personnels; une demande de réparation fondée sur le par. 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés.

[45]        Ainsi, sous ce régime d’exclusion de la preuve, il n’est pas incongru que la preuve incriminant plus d’un accusé ne puisse pas être utilisée contre celui dont les droits constitutionnels ont été violés pour l’obtenir, mais qu’elle puisse servir de preuve contre ceux dont les droits constitutionnels n’ont pas été violés. L’affaire considérée par la Cour d’appel dans l’arrêt Timm en offre une illustration.

[46]        Timm, le commanditaire du meurtre de ses parents adoptifs, et Gagné, un exécutant, sont tous deux condamnés pour meurtres au premier degré à l’occasion de procès séparés. Chacun de son côté interjette appel de ses condamnations. Dans le cas de Gagné, la Cour d’appel conclut que la découverte de l’arme du crime constitue une preuve dérivée d’une de ses déclarations, obtenue en violation de la protection contre l’arrestation et la détention arbitraire, et que cette preuve dérivée doit être exclue. Elle ordonne conséquemment la tenue d’un nouveau procès: R. c. Gagné[1997] JQ no 893. En appel, Timm cherche à se prévaloir de l’exclusion de la preuve ordonnée par la Cour d’appel dans l’arrêt Gagné. La Cour d’appel rejette cet argument : Timm ne peut invoquer la violation subie par Gagné sous le régime du par. 24(2); il ne peut pas non plus invoquer la chose jugée chose sur la question de l’exclusion de preuve tranchée dans l’arrêt Gagné : R. c. Timm1998 CanLII 12523 (QC CA), [1998] JQ no 3168, § 43-47.

[47]        De même, sous le régime du par. 24(2), il n’est pas incongru qu’un accusé n’ait pas la qualité pour contester une autorisation d’écoute ayant permis de capter les conversations d’un co-conspirateur, faites dans la poursuite d’un but commun, à moins d’être la personne dont l’interception des conversations était autorisée, ou d’être partie à la conversation interceptée. Il est donc possible que certains co-conspirateurs puissent demander l’exclusion de certaines conversations interceptées, et que d’autres n’aient pas la qualité pour réclamer un tel remède. Ceci est juridiquement dans l’ordre des choses : voir R. c. Rendon1999 CanLII 9511 (QC CA), [1999] JQ no 4124, § 81-89.

[48]        Qu’est-ce qui justifie alors de dévier du régime de réparation spécifique du par. 24(2), ou du régime général du par. 24(1)? De court-circuiter ces régimes par l’ajout d’un mécanisme de rature automatique des renseignements obtenus en violation des droits de tiers figurant à une demande d’autorisation judiciaire?

[49]        L’énoncé qui ouvrirait la porte à cette possible rature de renseignements obtenus en contravention des droits constitutionnels d’un tiers se trouverait, selon le point de vue exprimé dans certains précédents (voir les autorités citées dans Croft, § 18), à l’arrêt Grant, § 50. Dans cet arrêt, tout comme dans les arrêts WileyPlant, et Kokesch, l’accusé invoquait le caractère abusif de la fouille périphérique de sa résidence sans autorisation judiciaire préalable, ainsi que celui de l’émission et de l’exécution subséquente d’un mandat de perquisition obtenu sur la foi de renseignements recueillis lors d’une fouille périphérique non autorisée. Il demandait l’exclusion des éléments de preuve obtenus en violation de son droit à la vie privée. La Cour suprême conclut que la fouille périphérique sans autorisation est abusive, mais qu’après rature des éléments recueillis lors de cette fouille périphérique, et dénoncés à la demande de mandat, le reliquat des motifs est suffisant pour en justifier la délivrance. La Cour précise que le simple fait qu’une autorisation judiciaire soit émise en partie sur la foi de renseignements obtenus à l’occasion d’une fouille abusive ne rend pas nécessairement cette autorisation invalide, et la fouille subséquemment autorisée et exécutée, nécessairement abusive. La validité de l’autorisation dépendra de la suffisance des motifs dénoncés, abstraction faite des éléments obtenus en contravention de la Charte.

[50]        La Cour décrit les renseignements à raturer en pareil cas comme « des faits dont la police n'a pu être au courant que par suite d'une violation de la Charte », « des faits obtenus d'une façon abusive ». Elle ajoute qu’il y a lieu de raturer ces renseignements, puis de considérer la suffisance du reliquat des motifs, parce qu’en procédant ainsi, on s’assure que « le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon »: Grant, § 50. En raison de cette dernière justification, certains considèrent qu’en pareil contexte, il n’y a pas lieu de distinguer les renseignements obtenus en violation des droits de l’accusé qui conteste la validité d’une autorisation judiciaire de ceux obtenus en violation des droits d’un tiers. Dans un cas comme dans l’autre, le ministère public ne devrait pas pouvoir profiter des actes illégaux des policiers.

[51]        Le Tribunal partage les préoccupations de ceux qui, à la lumière de ce passage de l’arrêt Grant, autorisent la rature de renseignements obtenus en violation des droits constitutionnels de tiers. Il considère cependant que la solution qu’ils retiennent dénature le cadre juridique de réparation de la violation des droits constitutionnels mis en place par la Charte. Cette solution apparaît d’autant plus inopportune que d’autres voies s’ouvrent à l’accusé qui voudrait s’attaquer au comportement policier violant les droits d’un tiers et l’utilisation de ses fruits au soutien d’une demande d’autorisation judiciaire, dans la mesure à cette utilisation violerait le droit de l’accusé à un procès juste et équitable ou déconsidérerait l’administration de la justice: voir Croft, § 28-32.

[52]        Enfin, même si le Tribunal suivait l’approche adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Chang2003 CanLII 29135 (ON CA), [2003] OJ 1076 (ONCA), § 37-42, il en arriverait à la même conclusion. Suivant la lecture faite de cet arrêt dans l’affaire Hamid, la Cour d’appel de l’Ontario ne fermerait pas complètement la porte à ce qu’un juge réviseur puisse se pencher sur certains aspects de la validité d’une autorisation obtenue et exécutée en amont de l’autorisation judiciaire sous examen. Elle ne permettrait toutefois d’ouvrir celle-ci que s’il existe des raisons de principe et logiques de ce faire. À titre d’exemples, dans Chang, la juge de première instance référait à des situations où une autorisation serait émise ou exécutée sans juridiction ou autorité. De son côté, la Cour d’appel confirmait que cette ouverture n’allait pas jusqu’à justifier l’examen de la suffisance des motifs d’une autorisation antérieure, en l’absence de preuve d’une violation des droits d’une partie à l’instance.

[53]        En l’espèce, le Tribunal ne parvient pas à identifier quelque sérieuse raison de principe justifiant qu’il statue sur l’existence d’une violation au droit à la vie privée subie par un tiers, et ce dans le cadre d’une requête de type Garofoli. Les principes sous-jacents au régime d’exclusion de la preuve mis en place par la Charte militent plutôt en défaveur d’un tel examen.

[54]        Par ces raisons, le Tribunal rejette donc la demande de rature des par. 13 et 16 de la dénonciation présentée par les accusés.


Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Les déclarations d'un accusé à son complice ne sont pas du ouï-dire

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