Rechercher sur ce blogue

mardi 10 juin 2025

Le régime de détermination de la peine vu par la Cour suprême

R. c. J.W., 2025 CSC 16

Lien vers la décision


[38]                          L’objet, les objectifs et les principes de la détermination de la peine sont codifiés aux art. 718 à 718.2 du Code (R. c. Parranto2021 CSC 46, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 110R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 39; Ruby, §1.14). Notre Cour a interprété et appliqué ces dispositions lors de contrôles en appel afin de fournir des précisions aux juges chargés de la détermination de la peine (R. c. K.R.J.2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 32R. c. Lacasse2015 CSC 64, [2015] 3 R.C.S. 1089; R. c. Ipeelee2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 35).

(1)         L’article 718 : l’objet et les objectifs de la détermination de la peine

[39]                          L’article 718 dispose que l’objectif essentiel de la détermination de la peine est « de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre » (voir Nasogaluak, par. 39Ipeelee, par. 35; voir aussi R. c. Friesen2020 CSC 9, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 122).

[40]                          Il faut donner effet à cet objectif essentiel par « l’infliction de sanctions justes » conformément aux objectifs de détermination de la peine énoncés aux al. 718a) à f) : dénonciation, dissuasion générale et spécifique, isolement des délinquants du reste de la société (pour protéger celle‑ci), réinsertion sociale, réparation des torts et conscientisation des délinquants à la responsabilité et à la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité (voir Nasogaluak, par. 39Ipeelee, par. 35). Aucun de ces objectifs ne l’emporte sur les autres. Le juge chargé de la détermination de la peine doit plutôt décider du poids à accorder à chacun de ceux‑ci; cela doit se faire au cas par cas, puisque les peines doivent être « individualisé[es] » (Nasogaluak, par. 43; voir aussi Hills, par. 54).

(2)         La proportionnalité et les principes secondaires de détermination de la peine

[41]                          L’article 718.1 dispose que le « principe fondamental » de la détermination de la peine est la proportionnalité, c.‑à‑d. que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». La Cour a reconnu qu’il s’agit d’un « précepte central » de la détermination de la peine (Ipeelee, par. 36; voir aussi Hills, par. 56Nasogaluak, par. 41R. c. Solowan2008 CSC 62, [2008] 3 R.C.S. 309, par. 12).

[42]                          Le concept de proportionnalité est « intimement lié » à l’objectif essentiel de la détermination de la peine (Ipeelee, par. 37) et « précise les objectifs » énoncés à l’art. 718 (Nasogaluak, par. 40). « [I]ndépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs [énumérés à l’art. 718], la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité » (Nasogaluak, par. 40 (en italique dans l’original); voir aussi Ipeelee, par. 37).

[43]                          La proportionnalité est la « condition sine qua non d’une sanction juste » (Ipeelee, par. 37). Comme l’a affirmé le juge LeBel dans l’arrêt Ipeelee :

      Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice . . .

      . . .

      Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. [par. 37]

Une sanction juste en est une qui « prend en compte les deux optiques de la proportionnalité [qui précèdent] et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre » (par. 37).

[44]                          En 1995, le Parlement a édicté une liste non exhaustive de principes aux art. 718.2 à 718.21 afin de contribuer à donner effet au concept de proportionnalité (Ruby, §2.7). Ces principes comprennent « l’examen des circonstances aggravantes ou atténuantes, les principes de parité et de totalité et la nécessité d’examiner toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de délinquants autochtones » (Nasogaluak, par. 40). Je note que même si ce sont des principes « secondaires » (voir, p. ex., Parranto, par. 10), le juge doit tenir compte des facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui touchent les délinquants autochtones. Notre Cour a clairement affirmé que l’al. 718(2)e) exige une « méthode d’analyse différente pour déterminer la peine appropriée » (Ipeelee, par. 59). L’omission de tenir compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue est une erreur de principe qui justifierait l’intervention d’une cour d’appel (R. c. Hilbach2023 CSC 3, par. 42).

[45]                          Les principes secondaires complètent le principe essentiel de proportionnalité et sont en accord avec celui‑ci. Par exemple, voici ce qu’a expliqué la Cour dans l’arrêt Friesen :

     La parité et la proportionnalité ne s’opposent pas l’une à l’autre; la parité est plutôt une manifestation de la proportionnalité. L’application cohérente de la proportionnalité entraîne la parité. À l’inverse, le fait d’imposer la même peine dans des cas différents ne permet d’atteindre ni la parité ni la proportionnalité . . . [par. 32]

[46]                          En somme, l’objet essentiel de la détermination de la peine est énoncé à l’art. 718. Les objectifs de la détermination de la peine, également énoncés à l’art. 718, appuient cet objet. La proportionnalité, en tant que principe fondamental de la détermination de la peine, sert à donner effet à cet objet et à ces objectifs. Les principes secondaires énoncés aux art. 718.2 à 718.12 contribuent à donner effet au principe de proportionnalité.

La relation entre la diligence raisonnable et la notion de négligence pour les infractions de responsabilité stricte

CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032

Lien vers la décision


[149]   Conceptuellement, le cadre d’analyse entourant l’admissibilité de la preuve de faits similaires se révèle totalement inadéquat, car fondamentalement mal conçu pour l’évaluation de la négligence ou l’absence de diligence raisonnable[73]. En effet, un fondement crucial de l’admissibilité d’une preuve de faits similaires est l’établissement de l’improbabilité d’une coïncidence[74], une question totalement sans pertinence à l’évaluation de la négligence.

[150]   Pour cette raison, je partage l’opinion formulée par les auteurs de l’ouvrage Regulatory Offences in Canada: Liability and Defences au sujet du caractère incompatible du concept de preuve de propension en droit réglementaire :

[T]here is a fundamental disconnect between a consideration of character or disposition evidence in the criminal arena and similar fact evidence in regulatory prosecutions.

In the regulatory field, the conduct itself is not inherently evil, reprehensible, morally repugnant or felonious. The activities being regulated are legal, except when an accused fails to live up to the standards imposed in legislation. In that context, it makes no sense to talk about the “forbidden reasoning” that prevents the admissibility of similar fact evidence.

[…]

We argue that it is wrong to characterize evidence relating to due diligence as evidence of propensity at all. Evidence of past incidents may inform first and foremost the question of foreseeability. It may establish that the accused was on notice of a problem, whether through an earlier incident or a warning given by the regulatory agency, employees, consultants, contractors or others. The alternatives available to the accused might also be proven by what was done on earlier occasions. Evidence of prior incidents might also be relevant to proof of the actus reus as indicative of the control that an accused might exercise[75].

[151]   Bien que ces observations aient été formulées dans un ouvrage concernant le droit réglementaire, leur application ne pose aucun problème dans le présent dossier. En effet, la diligence raisonnable et la négligence constituent les deux revers d’une même médaille.

[152]   La distinction entre les infractions de responsabilité stricte et celles de négligence pénale ou criminelle se reflète dans la différence des fardeaux de preuve, de même que dans le degré d’écart requis pour établir la commission de la preuve.

[153]    Les infractions de négligence pénale ou criminelle formulent la norme de diligence devant être respectée et qui doit être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite alors que le défendeur inculpé d’une infraction de responsabilité stricte doit établir sa diligence raisonnable par prépondérance de preuve.

[154]   Voici comment le professeur Roach décrit la relation entre la diligence raisonnable et la notion de négligence pour les infractions de responsabilité stricte :

Although the fault element for a strict liability offence is negligence, the Crown need not prove negligence beyond a reasonable doubt. Rather, the accused must prove a defence of due diligence or lack of negligence on a balance of probabilities.

[…]

The burden on the accused is an important component of the halfway house approach of strict liability offences, because it means that the Crown is not required to prove negligence beyond a reasonable doubt and that the accused is not acquitted because there is a reasonable doubt as to negligence[76].

[155]   Manifestement, la preuve de la négligence d’une personne morale comporte un risque plus faible de préjudice moral ou par raisonnement, car l’évaluation requise par la nature même de l’infraction exige une évaluation qualitativement différente. De plus, ce risque s’avère moins considérable dans le cadre d’un procès devant une juge seule[77].

[156]   Ainsi, la juge d’instance ne fait pas erreur au sujet de l’admissibilité de la preuve lorsqu’elle affirme que : « la nature de l'infraction alléguée doit être considérée, soit de la négligence criminelle, une infraction qui peut permettre l'admissibilité en preuve, selon les circonstances, d'éléments touchant les comportements antérieurs »[78].

[157]   À mon avis, il ne s’avère pas nécessaire de réévaluer l’admissibilité de chacun des témoignages. La lecture du jugement démontre indubitablement que la juge a correctement utilisé la preuve présentée pour évaluer si l’appelante avait été négligente et non pour conclure que celle-ci avait une propension à l’être.

[158]   Certes, la preuve présentée par la poursuite ne concernait pas uniquement l’entretien du camion et de ses freins. L’éventail de la preuve administrée par la poursuite était vaste, mais celle-ci était logiquement pertinente à l’égard d’un fait en cause, soit la négligence de l’appelante.

[159]   Toutefois, les facteurs qui peuvent être considérés pour déterminer soit la diligence raisonnable, soit la négligence pénale ou criminelle, s’avèrent similaires. Le professeur Roach en présente une synthèse fort utile dans son ouvrage Criminal Law :

The courts look to a large range of factors in determining whether the accused has established a defence of due diligence to a regulatory offence. Relevant factors include: the likelihood and gravity of the risk, including whether it was foreseeable and the effect that it could have on vulnerable people and neighbourhoods. Other factors look to the ability of the accused to control or manage the risk of the prohibited act from occurring. Factors such as alternative solutions, regulatory compliance, industry standards and preventive systems, efforts made to address the problem, and the promptness of the accused’s response are significant. Other matters such as factors beyond the control of the accused, technological limitations, skill level expected of the accused, complexities involved, and economic considerations can be relevant in determining whether the accused has taken all reasonable steps to prevent the risk. Courts will consider the perspective of the reasonable person when applying the due diligence defence. They will examine the training and supervision that was or was not given to employees. The focus in due diligence is on whether the accused has taken reasonable steps to prevent the commission of the offence[79].

[160]   À la lumière de ces facteurs, même si je considérais qu’une partie de la preuve avait une pertinence qui s’éloignait des questions en litige – une détermination à laquelle je ne parviens pas en raison du seuil peu élevé applicable à la notion de pertinence[80] – je n’identifie aucun préjudice dans le présent dossier, car la condition mécanique du camion après l’accident établissait de toute façon, et de manière autonome, que son entretien avait été nécessairement négligé durant la période visée par l’acte d’accusation ce qui établissait un écart marqué et important avec la conduite d’une personne raisonnable dans ce domaine d’activité.

Les essentiels essentiels de l'infraction de négligence criminelle

CFG Construction inc. c. R., 2023 QCCA 1032

Lien vers la décision


[82]      Selon notre Cour, la poursuite devait démontrer un actus reus qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée et qui révèle un écart marqué et important à la norme de la personne raisonnable. La juge consacre d’ailleurs deux sections distinctes à l’analyse de chacun de ces éléments[47].

[83]      Or, le cadre d’analyse de la négligence criminelle qui résulte de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi est légèrement différent. Voici les observations de la juge Abella sur les éléments essentiels de l’infraction de négligence criminelle :

[19]      L’actus reus de la négligence criminelle causant la mort exige que l’accusé ait commis un acte — ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir — et que l’acte ou l’omission ait causé la mort d’autrui.

[20]      L’élément de faute consiste à ce que l’acte ou l’omission de l’accusé « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Les termes « déréglée » et « téméraire » ne sont pas définis dans le Code criminel, mais dans R. c. J.F.2008 CSC 60 (CanLII), [2008] 3 R.C.S. 215, notre Cour a confirmé que l’infraction de négligence criminelle causant la mort impose une norme de faute objective modifiée — la norme objective de la « personne raisonnable » (par. 7‑9; voir aussi R. c. Tutton1989 CanLII 103 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1392, p. 1429‑1431; R. c. Morrisey2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, par. 19R. c. Beatty2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 7).

[21]      Comme pour les autres infractions criminelles fondées sur la négligence, l’élément de faute de la négligence criminelle causant la mort est apprécié en déterminant la mesure dans laquelle la conduite de l’accusé s’écartait de celle d’une personne raisonnable dans la même situation[3]. Pour certaines infractions fondées sur la négligence, comme la conduite dangereuse, un écart « marqué » correspond à l’élément de faute (J.F., par. 10; voir aussi : Beatty, par. 33R. c. Roy2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, par. 30R. c. L. (J.) (2006), 2006 CanLII 805 (ON CA), 204 C.C.C. (3d) 324 (C.A. Ont.), par. 15R. c. Al‑Kassem2015 ONCA 320, 78 M.V.R. (6th) 183, par. 6). Dans le contexte de la négligence criminelle causant la mort, toutefois, le degré d’écart requis a été décrit comme étant élevé, c’est‑à‑dire marqué et important (J.F., par. 9, appliquant Tutton, p. 1430‑1431, et R. c. Sharp (1984), 1984 CanLII 3487 (ON CA), 12 C.C.C. (3d) 428 (C.A. Ont.)).

[22]      Ces normes ont beaucoup de traits communs. Elles posent toutes deux la question de savoir si les actions de l’accusé ont créé un risque pour d’autres personnes, et si « une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible » (voir Roy, par. 36; Stewart, p. 248). La distinction entre ces normes a été décrite comme étant une question de degré (voir R. c. Fontaine (2017), 2017 QCCA 1730, 41 C.R. (7th) 330, par. 27R. c. Blostein (2014), 2014 MBCA 39, 306 Man. R. (2d) 15, par. 14). Comme l’a expliqué le juge Healy dans Fontaine :

            Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. [par. 27]

[23]      Dans l’arrêt J.F., le juge Fish n’a pas expliqué en détail comment faire la distinction entre un écart « marqué » et un écart « marqué et important », étant donné que l’affaire ne « port[ait] ni sur la nature ni sur l’étendue des différences entre ces deux normes » (par. 10‑11). Dans le présent pourvoi, également, les différences terminologiques ne sont pas déterminantes et il n’est pas nécessaire qu’elles soient tranchées. Quoi qu’il en soit, en présentant leurs arguments, les parties ont tenu pour acquis que le critère qu’il convient d’appliquer en matière de négligence criminelle causant la mort est l’écart « marqué et important », et c’est sur ce fondement que j’aborde la question dans les présents motifs. Afin d’obtenir un verdict de culpabilité pour négligence criminelle causant la mort, le ministère public doit donc prouver que l’accusée a commis un acte, ou omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir légal d’accomplir, et que l’acte ou l’omission a causé la mort d’autrui (l’actus reus). Selon l’arrêt J.F., le ministère public doit en outre établir que la conduite de l’accusée constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’accusée (l’élément de faute).

[Les soulignements sont ajoutés]

[84]      Comme on peut le remarquer, et contrairement à la conclusion de notre Cour, c’est dans l’élément de faute et non dans l’actus reus que réside l’évaluation de l’acte ou de l’omission qui « montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». En effet, comme l’explique la juge Abella : « Dans l’arrêt J.F., notre Cour a affirmé que la question de savoir si la conduite de l’accusé s’écartait de la norme requise est en fait une appréciation de la faute, et non de l’actus reus ». Pour la négligence criminelle, le degré d’écart requis doit être marqué et important[48].

[85]      Dans l’arrêt J.F., le juge Fish énonçait les essentiels de la négligence criminelle. Il précise qu’une conduite téméraire ou déréglée a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme de la personne raisonnable :

[68]      Pour ce qui est de la négligence criminelle, l’actus reus sera établi s’il est prouvé (1) que l’accusé était légalement tenu d’accomplir quelque chose; (2) qu’il a omis, d’un point de vue objectif, de s’acquitter de son devoir légal et, (3) que, par cette omission, il a montré, encore une fois d’un point de vue objectif, une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La preuve de la mens rea découlera de la conclusion que la conduite de l’accusé était déréglée ou téméraire. La conduite déréglée ou téméraire a été assimilée à un écart marqué et important par rapport à la norme (H. Parent, Traité de droit criminel (2e éd. 2007), t. 2, p. 299), ce qui inclut nécessairement la conduite constituant un écart marqué[49].

[Le soulignement est ajouté]

[86]      L’élément de faute de la négligence criminelle sera donc établi lorsque l'acte ou l'omission exhibe une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, c’est-à-dire un écart marqué et important avec la conduite de la personne raisonnable[50].

[87]      Il ne s’agit pas de deux normes distinctes, comme l’explique le juge Healy dans l'arrêt Fontaine cité avec approbation par la juge Abella dans l’arrêt Javanmardi : « [l]es termes ‘‘marqué et important’’ sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression ‘‘insouciance déréglée ou téméraire’’ de l’article 219 du Code criminel ». Finalement, il demeure essentiel que l’actus reus et la mens rea soient distingués[51].

[95]      Il faut analyser la portée de ce paragraphe dans l’ensemble de la décision. La juge réfère ici à la notion de prudence au sens de l’arrêt R. c. Roy, qui s’appuie lui-même sur l’arrêt Beatty :

La mens rea réside dans le fait que le degré de diligence de l’accusé constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 43).  Le degré de diligence que manifeste l’accusé est apprécié par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnablement prudent dans la même situation.  L’infraction ne sera établie que si le degré de diligence dont a fait preuve l’accusé constitue un écart marqué par rapport à cette norme[55].

[96]      Ainsi, la juge considère la prudence de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances exerçant la même activité que l’appelante. Même si l’expression « norme de prudence » qu’emploie la juge d’instance n’est pas l’expression retenue par la jurisprudence, je pense qu’il est évident qu’elle sous-tend la norme de la personne raisonnablement prudente placée dans les mêmes circonstances. Je ne vois pas comment l’utilisation de cette terminologie pourrait s’avérer fautive.

[97]      Qui plus est, l’exigence de prudence pouvait être analysée par la juge, puisque celle-ci fluctue selon l’activité exercée, comme le fait valoir l’arrêt Javanmardi :

[37]      La juge McLachlin a toutefois expliqué qu’une plus grande prudence peut être attendue d’une « personne raisonnable » selon la nature et les circonstances dans lesquelles s’exerce l’activité (p. 72). Certaines activités, par exemple, nécessitent une attention et des compétences particulières. Il peut être conclu qu’un accusé qui se livre à une telle activité a contrevenu à la norme de la personne raisonnable s’il n’est pas qualifié pour exercer la prudence nécessaire qu’exige l’activité, ou s’il a négligé d’exercer une telle prudence lorsqu’il s’est livré à l’activité. De cette façon, le droit assure une « norme minimale constante » pour toute personne qui se livre à une activité exigeant une diligence et des compétences particulières : ces personnes doivent à la fois être qualifiées et exercer la prudence particulière qu’exige l’activité.

[Le soulignement est ajouté]

[98]      Ainsi, dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, on pouvait s’attendre à ce que l’appelante veille à l’entretien de ses véhicules, tout comme l’aurait fait une personne raisonnable exerçant la même activité dans les mêmes circonstances.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L’accusé qui soulève un doute raisonnable sur le consentement de la victime à l’emploi de la force sera acquitté d'une infraction de voies de fait et cette détermination du consentement s’effectue selon un critère subjectif

Bérubé-Gagnon c. R., 2020 QCCA 1389 Lien vers la décision [ 22 ]        L’absence de consentement de la victime est un élément essentiel de ...