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samedi 26 juillet 2025

Les tribunaux de première instance sont « enclins à modifier les actes d’accusation plutôt que de les annuler lorsque les circonstances le permettent » & la suffisance d’un acte d’accusation comportant une allégation de complot

Haddad c. R., 2020 QCCA 793

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[12]        Notre Cour a reconnu que les tribunaux de première instance sont « enclins à modifier les actes d’accusation plutôt que de les annuler lorsque les circonstances le permettent »[9]. Dans le cas du paragraphe 601(3) C.cr., il s’agit même d’une obligation :

[65]        L’article 601(3) C.cr. énonce l’obligation – on notera l’emploi du mot « shall » dans le texte anglais de la disposition législative – qu’a un tribunal de première instance de modifier l’acte d’accusation dans certaines circonstances. Cette obligation de modifier l’acte d’accusation est présente lors d’une énonciation défectueuse d’un élément constitutif nécessaire (art. 601(3)b)(i) C.cr.), d’un défaut en substance (art. 601(3)b)(iii) C.cr.) ou d’un vice de forme quelconque (art. 601(3)cC.cr.).[10]

[13]        Une modification faite en vertu du paragraphe 601(3) C.cr. peut donc intervenir « à tout stade des procédures lorsqu’il s’agit d’un détail de l’infraction »[11]. Elle ne doit toutefois pas avoir pour effet de créer une nouvelle accusation, différente de l’accusation initiale[12]. Cependant, l’omission d’un élément essentiel dans un chef d’accusation ne sera pas nécessairement fatale si l’accusé a été raisonnablement informé de l’infraction reprochée et qu’il n’en subit pas de préjudice[13].

i)            Le chef 7 (le complot)

[14]        Dans R. c. Douglas, la Cour suprême s’est penchée sur la question du caractère suffisant d’un acte d’accusation comportant une allégation de complot. Elle écrit :

Pour conclure qu'un complot donné est visé par l'acte d'accusation, il suffit que la preuve produite démontre que le complot prouvé met en cause certains des accusés; qu'il a eu lieu au cours de la période indiquée dans l'acte d'accusation; que son objet était le type d'infraction imputé. Groberman fait une remarque très judicieuse sur ce point dans son article intitulé "The Multiple Conspiracies Problem in Canada" (1982), 40 U.T. Fac. L. Rev. 1, aux pp. 9 et 10 :

[TRADUCTIONHabituellement, à moins d'être exceptionnellement précis, le texte de l'acte d'accusation spécifie seulement le type d'infraction qui était l'objet de l'entente, le nom des participants allégués, ainsi que la période durant laquelle le complot se serait déroulé. Même si le complot prouvé vise un nombre de personnes inférieur au nombre des accusés mentionnés, ou s'il n'a eu lieu que durant une partie seulement de la période indiquée, on peut dire que le complot imputé est assimilable à celui qui a été prouvé. Par conséquent, pour qu'un complot donné soit visé par l'acte d'accusation, il suffit qu'il mette en cause certains des accusés, qu'il se soit produit au cours de la période mentionnée dans l'acte d'accusation et que son objet ait été le type de crime allégué.[14]

[Soulignements ajoutés]

[15]        À la fin du procès, le juge a exercé sa discrétion en modifiant le chef 7 pour y préciser que le complot visait une introduction par effraction dans le but de commettre un vol. Ce faisant, le juge ne faisait que spécifier, conformément à la preuve présentée, la nature particulière de l’acte criminel « qui était l'objet de l'entente ». Cette modification n’avait toutefois pas pour effet de créer une autre infraction comportant des caractéristiques différentes de nature à priver l'appelant d’une défense pleine et entière et de son droit à un procès équitable[15].

L’arrêt des procédures & l'amendement en cours de procès pour rendre le chef d’accusation conforme à la preuve

R. c. Dumont-Chamberland, 2017 QCCA 428

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[29]        Lorsque démontré, l’abus de procédure peut entraîner l’arrêt des procédures.

[30]        La Cour suprême a indiqué que cette réparation se justifie uniquement (1) si le préjudice causé à l’accusé ou à l’intégrité du système judiciaire par l’abus en question promet d’être révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou son issue, (2) qu’aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice et (3) que s’il subsiste un degré d’incertitude quant à la possibilité de faire disparaître le préjudice, on doit soupeser, d’une part, l’intérêt d’ordonner l’arrêt des procédures pour dénoncer le comportement fautif et protéger l’intégrité du système de justice et, d’autre part, l’intérêt que représente pour la société d’aller de l’avant et d’obtenir un jugement sur le fond : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 32.

[31]        Si le test est le même pour les deux catégories, la seconde exige un fardeau beaucoup plus lourd et passe nécessairement par la mise en balance des intérêts de la société et le critère des « cas les plus manifestes » : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 44. Il faut notamment se demander si « la tenue d’un procès en dépit de la conduite reprochée causeraitelle un préjudice supplémentaire à l’intégrité du système de justice? » : R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 38-39.

[32]        La Cour souligne l’importance de cette mise en balance. Le juge doit choisir entre l’arrêt des procédures ou la tenue d’un procès en dépit de la conduite contestée. Plus cette dernière est grave, plus il est nécessaire que le tribunal s’en dissocie :

[41] Par contre, lorsque c’est la catégorie résiduelle qui est invoquée, l’étape de la mise en balance revêt une importance accrue. Si on allègue une atteinte à l’intégrité du système de justice, le tribunal est appelé à décider quelle des deux solutions suivantes assure le mieux l’intégrité du système de justice : l’arrêt des procédures ou la tenue d’un procès en dépit de la conduite contestée. Cette analyse suppose nécessairement une mise en balance. Le tribunal doit prendre en compte des éléments comme la nature et la gravité de la conduite reprochée — que celleci soit un cas isolé ou la manifestation dun problème systémique et persistant , la situation de laccusé, les accusations auxquelles il doit répondre et lintérêt de la société à ce que les accusations soient jugées au fond. De toute évidence, plus la conduite de l’État est grave, plus il est nécessaire que le tribunal s’en dissocie. Lorsque la conduite en question choque la conscience de la communauté ou heurte son sens du francjeu et de la décence, il est peu probable que l’intérêt de la société dans la tenue d’un procès complet sur le fond l’emporte au terme de la mise en balance. Or, dans les cas faisant partie de la catégorie résiduelle, il faut toujours tenir compte de l’équilibre.

(Référence omise)

[33]        Cela dit, il ne fait pas de doute que l’abus en cause se rattache à la catégorie résiduelle, l’atteinte à l’équité du procès n’ayant pas été démontrée par l’intimée ni expliquée par la juge.

[34]        Le juge a raison de dire que le retrait d’une dénonciation suivi du dépôt d’une seconde sera parfois abusif. Ici, deux remarques s’imposent.

[35]        D’abord, cette façon de faire est juridiquement envisageable puisque le retrait d’une première dénonciation avant la présentation de la preuve est « purement technique et ne représente pas une décision fondée sur des motifs juridiques ou factuels » : R. c. Selhi1990 CanLII 130 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 277, 278. Il ne s’agit pas donc pas d’un geste qui, en soi, est abusif.

[36]        Ensuite, saisi d’une demande de modification en cours de procès, un juge peut rendre le chef d’accusation conforme à la preuve : art. 601(2) C.cr. Le retrait de l'accusation et le dépôt d’une nouvelle ne sont pas toujours nécessaires si une modification permet d’arriver aux mêmes fins. Dans la mesure où l’amendement est possible, la substitution ne peut pas être, en soi, abusive.

[37]        Le bien-fondé de la demande de modification est alors évalué à son mérite, dans le contexte de la preuve et du procès, le point focal n’étant pas si une autre infraction est substituée, mais si l’accusé en subit un préjudice. Je suis d’accord avec le raisonnement de l’arrêt R. c. Irwin, (1998), 1998 CanLII 2957 (ON CA), 123 C.C.C. (3d) 316, au par. 26, prononcé dans le contexte de l’appel, où la Cour d’appel de l’Ontario le résume ainsi:

26   I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment to make a charge conform to the evidence simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced, the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge. If no prejudice will result from the change, why should it matter how the change to the charge is described?

[38]        Dans une analyse convaincante à laquelle je souscris, le juge Cournoyer commente la portée d’une modification similaire à celle que formulait la poursuite en première instance. Comme lui, j’écarte respectueusement la position contraire adoptée dans R. c. Bourbonnais2007 QCCS 2819. Dans son jugement R. c. Cadorette2010 QCCS 1953, au par. 45, il écrit :

[45]      En raison du fait que les deux infractions sont différentes, il est possible qu'en certaines circonstances, le fait d'accorder une modification d'un chef d'accusation comme celle recherchée par la poursuite soit susceptible de causer un préjudice irréparable. Mais comme le prévoit l'alinéa 601(4)c) C.cr., le tribunal doit examiner les circonstances de l'espèce en considérant si une modification devait ou ne devait pas être faite.

[39]        Par contre, comme il avait tenté de le faire en l’espèce, le ministère public ne pouvait pas espérer obtenir une modification présentée avant l’administration de la preuve : R. c. Servant2007 QCCA 558R. c. White2016 QCCA 1566.

[42]        En rétrospective, le ministère public aurait dû commencer le procès, administrer sa preuve, formuler une demande de modification et convaincre le juge, en dépit de l’opposition de la défense, de rendre le chef d’accusation conforme à la preuve présentée : voir notamment R. c. McConnell, (2005), 2005 CanLII 13781 (ON CA), 196 C.C.C. (3d) 28. La défense aurait pu s’opposer en faisant valoir un préjudice.

[43]        L’équité du procès n’étant pas en cause, il faut se demander si la catégorie résiduelle de l’abus de procédure entre en jeu.

[44]        Le test est exigeant puisque « les cas faisant partie de la catégorie résiduelle qui justifient l’arrêt des procédures sont « exceptionnels » et « très rares » : (Tobiass, par. 91» : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 37R. c. Regan2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297, par. 55R. c. O’Connor1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 73.

[45]        Certes, toute exceptionnelle qu’elle soit, la décision d’arrêter les procédures commande la déférence et, en paraphrasant la Cour dans R. c. Brind’Amour2014 QCCA 33, l’intervention ne sera justifiée que si que le juge s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou lorsqu’elle s’appuie sur une erreur factuelle manifestement erronée et déterminante: R. c. Brind’Amour, 2014 QCCA 33, par. 65-67, citant R. c. Bellusci2012 CSC 44 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 509, par. 17-19.

[46]        L’abus de procédure comporte un élément de causalité nécessaire, c’est-à-dire que l’abus doit avoir causé un préjudice suffisant pour entraîner l’arrêt des procédures : R. c. Regan2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297, par. 52.

[49]        La négligence dans l’administration d’accusations criminelles sera toujours préoccupante. L’administration de la justice requiert que les personnes impliquées, a fortiori le ministère public, accordent aux dossiers toute l’attention nécessaire et le sérieux requis par la situation. À mon avis, l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 631 le confirme.

[50]        Or, l’ensemble des circonstances ne peut être qualifié d’abus de procédure et entraîner le remède exceptionnel en cause. La précipitation, le manque de jugement dans la conduite du dossier et, j’ajouterais l’erreur, ne sont pas nécessairement générateurs des abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle : R. c. Power1994 CanLII 126 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 601, 607.

[51]        Je rappelle que « lorsque la catégorie résiduelle est invoquée, il s’agit de savoir si l’État a adopté une conduite choquant le sens du franc‑jeu et de la décence de la société et si la tenue d’un procès malgré cette conduite serait préjudiciable à l’intégrité du système de justice » : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 35.

[52]        En ce sens, rien de tel n'est démontré et cela termine l'analyse.

[53]        À cette erreur s’en ajoute une seconde soulignée avec raison par l’appelante, soit l’omission de la juge de mettre en balance les intérêts en jeu, une étape nécessaire et qui comporte un lourd fardeau pour la personne qui recherche la réparation la plus draconienne : R. c. Babos2014 CSC 16 (CanLII), [2014] 1 R.C.S. 309, par. 41-44. Cette analyse, qui doit prendre en compte l’ensemble des circonstances, n’a pas été faite.

[54]        En résumé, la juge commet une erreur en faisant reposer l’abus des procédures sur l’atteinte à l’équité du procès en raison de la simple substitution d’accusations. Vu sous l’angle de la catégorie résiduelle, une conclusion d’abus de procédure dans les circonstances ne peut se justifier en droit.

Le pouvoir conféré au juge du procès d’ordonner ou de permettre, pendant le procès, la modification d’un acte ou d’un chef d’accusation ne doit être exercé que lorsque celle‑ci ne cause pas de préjudice à l’accusé dans sa défense[

Bédard c. R., 2018 QCCA 659

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[31]        Il est établi que ce pouvoir conféré au juge du procès d’ordonner ou de permettre, pendant le procès, la modification d’un acte ou d’un chef d’accusation ne doit être exercé que lorsque celle‑ci ne cause pas de préjudice à l’accusé dans sa défense[4]. Par ailleurs, la poursuite peut demander cette modification fondée sur la preuve en tout temps avant la fin des procédures si elle ne remet pas en cause l’équité du procès[5].

[32]        En l’espèce, le ministère public a annoncé son intention de demander la modification de la dénonciation pour étendre la date de commission de l’infraction avant même le début du procès, et cela alors que l’appelant avait déjà reçu communication des documents litigieux — portant tous une date postérieure à celle apparaissant sur la dénonciation initiale — et un avis de l’intention du ministère public de faire entendre un témoin expert en écriture.

[33]        Les tribunaux concluent généralement à l’absence de préjudice à l’accusé lorsque la preuve justifiant l’amendement a été faite à l’enquête préliminaire ou au procès et que le ministère public a indiqué son intention de demander l’amendement à l’acte d’accusation avant même le procès[6]. De plus, une modification à la date de commission de l’infraction sera généralement permise si le moment de l’infraction n’en constitue pas un élément essentiel et que cela ne cause pas de préjudice à la défense[7].

La poursuite est normalement tenue de prouver les particularités spécifiées dans un chef d’accusation, bien que l’article 601 du Code criminel confère au juge un pouvoir discrétionnaire d’amender le chef d’accusation afin de le rendre conforme à la preuve présentée au procès

Pomerleau c. R., 2021 QCCA 1211

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[32]      La poursuite est normalement tenue de prouver les particularités spécifiées dans un chef d’accusation[8]. Cela dit, l’article 601 du Code criminel confère au juge un pouvoir discrétionnaire d’amender le chef d’accusation afin de le rendre conforme à la preuve présentée au procès, à moins, toutefois, que l’amendement ne concerne un élément essentiel de l’infraction ou qu’il s’agisse d’un élément crucial pour la défense[9]. Autrement dit, un détail inclus dans le chef d’accusation ne peut être amendé que s’il n’en résulte aucun préjudice à la défense[10]. Le moment de la commission d’une infraction est une illustration fréquente de divergence avec la preuve, laquelle est rarement matérielle aux questions en litige.

[33]      Dans tous les cas, la règle fondamentale demeure l’absence de préjudice à la défense[11]. Dans l’arrêt R. v. Irwin de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Doherty énonce clairement ce que constitue « l’absence de préjudice » dans le cadre d’une demande de modification de l’acte d’accusation[12] :

Prejudice in this context speaks to the effect of the amendment on an accused's ability and opportunity to meet the charge. In deciding whether an amendment should be allowed, the appellate court must consider whether the accused had a full opportunity to meet all issues raised by the charge as amended and whether the defence would have been conducted any differently had the amended charge been before the trial court. If the accused had a full opportunity to meet the issues and the conduct of the defence would have been the same, there is no prejudice[13].

[34]      Bien que la question de savoir si une modification doit être accordée ou refusée soit une question de droit[14], « on ne devrait pas intervenir à la légère face à la décision du juge du procès fondée sur une conclusion de préjudice irréparable et on devrait garder à l'esprit la position privilégiée du juge du procès vis-à-vis de l'effet, sur l'équité du procès, d'événements qui se produisent dans la salle d'audience »[15].

[35]      Dans l’arrêt R. c. B (G.), la Cour suprême confirme qu’il n’est pas nécessaire de prouver le moment de la commission du crime, à moins que celui-ci n’en constitue un élément essentiel ou bien qu’il s’agisse d’un élément crucial pour la défense. Saisie d’une affaire d’agression sexuelle, la Cour suprême, sous la plume de la juge Wilson, s’en explique ainsi[16] :

En conséquence, lorsqu'un tribunal doit faire face à des circonstances dans lesquelles le moment de l'infraction ne peut être déterminé avec précision ou que la dénonciation est en contradiction avec la preuve, la première question qui se pose est de savoir si le moment de l'infraction est soit un élément essentiel de celle‑ci soit un élément crucial pour la défense.  C'est seulement dans les cas où l'on répond par l'affirmative à la première question que le juge des faits doit déterminer si le moment de l'infraction a été démontré hors de tout doute raisonnable.  Si la réponse à la première question est négative, une déclaration de culpabilité peut être prononcée même si le moment de l'infraction n'est pas prouvé, pourvu que le reste de la preuve du ministère public soit établi hors de tout doute raisonnable.

[36]      Il est acquis que la date de la commission du crime n’est pas un élément essentiel de l’infraction d’agression sexuelle : « Il s’agit d’un crime, peu importe le moment où il a été commis »[17]. Reste donc à déterminer dans quel cas la date de l’infraction devient cruciale à la défense de l’accusé.

[37]      Le moment de l’infraction devient crucial à la défense notamment lorsque l’accusé se défend d’une accusation en fournissant une défense d’alibi, ou bien encore, lorsqu’il s’attarde à contester cet élément précis dans sa défense[18]. Comme le mentionne la Cour suprême, «  [t]oute autre conclusion reviendrait à priver un accusé du droit de présenter une réponse et une défense pleine et entière »[19]. C’est donc dire que, lorsque l’accusé témoigne en fondant sa défense sur la période alléguée dans la dénonciation, le moment de l’infraction sera jugé crucial et devra ainsi faire l’objet d’une preuve hors de tout doute raisonnable[20].

 

[38]      L’analyse est particularisée à chaque cas d’espèce. Le récent arrêt R. c. S.D.[21] l’illustre bien. Dans cet arrêt, la Cour suprême adopte les motifs dissidents de la juge en chef Duval Hesler, laquelle estimait que la juge de première instance était fondé à retenir une période d’infraction différente de celle alléguée dans la dénonciation. Au procès, la plaignante avait témoigné d’événements à caractère sexuel qui se seraient déroulés sur un futon dans l’appartement qu’occupait l’appelant à l’été 2001. L’accusation se rapportait pourtant à des événements ayant eu lieu « [e]ntre le 1er avril 2002 et le 31 mai 2002 ». L’appelant s'est fait entendre en défense. Tout en reconnaissant avoir reçu la visite de la plaignante, l'appelant a insisté pour dire qu'il n'avait emménagé dans l'appartement en question qu'à la fin du mois de septembre 2002. C’est dans cette période qu’il aurait fait l’acquisition du futon. La facture d'achat du futon fut également déposée en preuve; celle-ci portait la date du 22 septembre 2002. La juge de première instance a reconnu l’appelant coupable de l’infraction en cause. Se fondant sur la preuve de l’appelant, elle retient toutefois que les gestes se sont déroulés subséquemment au 22 septembre 2002, contrairement à ce qu’énonce l’acte d’accusation. En appel, la question qui se posait était de savoir si la juge d’instance avait erré en droit en retenant une autre date que celle énoncée dans l’acte d’accusation afin de conclure à la culpabilité de l’appelant. La majorité de la Cour conclut à l’affirmative, estimant que la modification de la date avait été préjudiciable à l’appelant dans la conduite de sa défense[22].

[39]      De l’avis de la juge Duval Hesler, cependant, la date de l’infraction pouvait être qualifiée d’élément superfétatoire puisque l’appelant ne présentait pas, à proprement parler, une défense d’alibi. Sa défense reposait plutôt sur une question de crédibilité et d’appréciation des faits[23] :

[69]  En l'espèce, l'équité du procès n'a pas été atteinte par la modification de l'acte d'accusation. La preuve retenue par le Tribunal de première instance convainquait ce dernier, hors de tout doute raisonnable, que l'événement reproché avait bel et bien eu lieu, peu importe le moment précis auquel il s'était déroulé. La défense reposait entièrement sur une question de crédibilité et d'appréciation des faits. L'appelant n'a subi aucun préjudice en raison de cette modification, qui n'affectait pas l'essence de sa thèse selon laquelle il ne s'était jamais rien produit qui revête une connotation sexuelle entre lui et sa fille.

[70]   La loi permettait à la juge de première instance d'agir comme elle l'a fait. Elle n'a pas commis d'erreur de droit. Quant aux faits, les limites du pouvoir d'intervention d'une cour d'appel en matière d'appréciation de la preuve sont bien connues. L'appelant ne fait voir aucune erreur manifeste et dominante dans le jugement entrepris.

[40]      La majorité de la Cour suprême, sous la plume du juge Binnie, adopte ce raisonnement dans de brefs motifs[24] :

[1]   LE JUGE BINNIE — La Cour, à la majorité, accueille le pourvoi.  Le juge Fish est dissident.  La question principale dans cet appel est de savoir si la première juge a erré en droit en retenant une autre date que celle énoncée à l’acte d’accusation afin de conclure à la culpabilité de l’intimé accusé de contacts sexuels à l’endroit de sa fille.

[2]   La majorité de la Cour est d’accord avec la conclusion de la juge Duval Hesler de la Cour d’appel, dissidente, que « l’équité du procès n’a pas été atteinte [. . .] La preuve retenue par le Tribunal de première instance convainquait ce dernier, hors de tout doute raisonnable, que l’événement reproché avait bel et bien eu lieu, peu importe le moment précis auquel il s’était déroulé » (par. 69).  À notre avis, la défense reposait entièrement sur une question de crédibilité.  L’intimé n’a subi aucun préjudice.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Il incombe à la défense de préciser ses demandes de communication de la preuve supplémentaires et cela doit être fait en temps opportun

R. v. Atwell, 2022 NSSC 304 Lien vers la décision [ 8 ]              The Crown has a duty to make disclosure of all relevant information to ...