jeudi 12 mars 2009

Emprisonnement avec sursis

R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61

1. Le projet de loi C‑41 en général et les dispositions créant la peine d’emprisonnement avec sursis en particulier ont été adoptés à la fois pour réduire le recours à l’incarcération comme sanction et pour élargir l’application des principes de la justice corrective au moment de la détermination de la peine.

2. L’emprisonnement avec sursis doit être distingué des mesures probatoires. La probation est principalement une mesure de réinsertion sociale. Par comparaison, le législateur a voulu que l’emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale. Par conséquent, une ordonnance de sursis à l’emprisonnement devrait généralement être assortie de conditions punitives restreignant la liberté du délinquant. Des conditions comme la détention à domicile devraient être la règle plutôt que l’exception.

3. Aucune infraction n’est exclue du champ d’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement à l’exception de celles pour lesquelles une peine minimale d’emprisonnement est prévue. De plus, il n’existe pas de présomption d’applicabilité ou d’inapplicabilité du sursis à l’emprisonnement à certaines infractions données.

4. L’exigence, à l’art. 742.1, que le juge inflige une peine d’emprisonnement de moins de deux ans ne signifie pas que celui‑ci doit d’abord infliger un emprisonnement d’une durée déterminée avant d’envisager la possibilité que cette même peine soit purgée au sein de la collectivité. Bien que le texte de l’art. 742.1 suggère cette démarche, elle n’est pas réaliste et pourrait entraîner des peines inappropriées dans certains cas. Il faut plutôt donner une interprétation téléologique à l’art. 742.1. Dans un premier temps, le juge appelé à déterminer la peine doit avoir conclu que ni l’emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. Après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans, le juge se demande s’il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité.

5. Comme corollaire de l’interprétation téléologique de l’art. 742.1, il n’est pas nécessaire qu’il y ait équivalence entre la durée de l’ordonnance de sursis à l’emprisonnement et la durée de la peine d’emprisonnement qui aurait autrement été infligée. La seule exigence est que, par sa durée et les modalités dont elle est assortie, l’ordonnance de sursis soit une peine juste et appropriée.

6. L’exigence, à l’art. 742.1, que le juge soit convaincu que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger si le délinquant y purgeait sa peine est un préalable à l’octroi du sursis à l’emprisonnement, et non le principal élément à prendre en considération pour décider si cette sanction est appropriée. Pour évaluer le danger pour la collectivité, le juge prend en compte le risque que fait peser le délinquant en cause, et non le risque plus général évoqué par la question de savoir si l’octroi du sursis à l’emprisonnement mettrait en danger la sécurité de la collectivité en ne produisant pas un effet dissuasif général ou en compromettant le respect de la loi en général. Deux facteurs doivent être pris en compte: (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive. L’examen du risque que fait peser le délinquant doit inclure les risques créés par toute activité criminelle, et ne doit pas se limiter exclusivement aux risques d’atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la personne.

7. Dans tous les cas où les préalables prévus par l’art. 742.1 sont réunis, le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis en se demandant si pareille sanction est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2. Cette conclusion découle du message clair que le législateur a lancé au tribunaux, savoir qu’il faut réduire le recours à l’incarcération comme sanction.

8. L’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable. En règle générale, plus l’infraction est grave, plus la durée de l’ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle‑ci rigoureuses. Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.

9. L’emprisonnement avec sursis est généralement plus propice que l’incarcération à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation par ceux‑ci des torts causés aux victimes et à la collectivité et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

10. Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération. Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs. Cependant, selon la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle‑ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

11. Le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes, quoique la présence de telles circonstances augmente le besoin de dénonciation et de dissuasion.

12. Aucune partie n’a la charge d’établir si l’emprisonnement avec sursis est une sanction appropriée ou non dans les circonstances. Le juge doit prendre en considération tous les éléments de preuve pertinents, peu importe qui les a produits. Toutefois, il est dans l’intérêt du délinquant de faire la preuve des éléments militant en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement.

13. Les juges disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour choisir la peine appropriée. Les cours d’appel doivent faire montre de beaucoup de retenue à l’égard de ce choix. Comme il a été expliqué dans M. (C.A.), précité, au par. 90: «Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d’appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée».

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