dimanche 29 août 2010

L'accusé ne peut pas être contre-interrogé sur une infraction à l'égard de laquelle il a bénéficié d'une absolution

Doyon c. R., 2004 CanLII 50105 (QC C.A.)

[57] Par ailleurs, comme l'accusé ne peut être contre-interrogé qu'en rapport avec des condamnations antérieures, il ne peut l'être sur une infraction à l'égard de laquelle il a bénéficié d'une absolution puisqu'il est réputé ne pas avoir été condamné (R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (C.S.C.), [1988] 1 R.C.S. 670, par. 49). Cela ne signifie pas toutefois qu'il n'a pas plaidé coupable ou qu'il n'a pas été reconnu coupable.

Il existe une distinction entre le plaidoyer de culpabilité (ou la reconnaissance de culpabilité) et la condamnation

Doyon c. R., 2004 CanLII 50105 (QC C.A.)

[43] Le choix des termes me convainc qu'il existe une distinction entre le plaidoyer de culpabilité (ou la reconnaissance de culpabilité) et la condamnation.

[44] Même s'il est réputé ne pas avoir été condamné, le contrevenant a néanmoins plaidé coupable ou été reconnu coupable, ce qui subsiste malgré qu'il ait été absous.

[45] Notre Cour a d'ailleurs fait une telle distinction dans l'arrêt Houle c. Barreau du Québec et Comité des requêtes du Barreau du Québec, REJB 2002 – 35348, juges Rochette, Pelletier et Biron (ad hoc), autorisation d'appel refusée, [2003] 1 R.C.S. xi :

Somme toute, au sens de l'article 55.1 du Code des professions, la déclaration de culpabilité de l'appelant, découlant du plaidoyer qu'il a enregistré, ne disparaît pas par l'effet de l'absolution conditionnelle; […].

[46] L'art. 55.1 du Code des professions est ainsi libellé :

Le Bureau peut, après avoir donné au professionnel l'occasion de faire valoir ses représentations écrites, le radier du tableau ou limiter ou suspendre son droit d'exercer des activités professionnelles, lorsque ce professionnel :

10 a fait l'objet d'une décision d'un tribunal canadien le déclarant coupable d'une infraction criminelle qui, de l'avis motivé du Bureau, a un lien avec l'exercice de la profession […]

[48] Dans R. c. Rozon, [1999] R.J.Q. 805 (C.S.), le juge Béliveau fait la même distinction en analysant l'art. 730 C.cr. :

[27] […] Dans l'arrêt R. c. Senior, 1997 CanLII 348 (S.C.C.), (1997) 116 C.C.C. (3d) 152, conf. à 1997 CanLII 348 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 288, la Cour d'appel de l'Alberta rappelait que le seul fait de consigner un plaidoyer de culpabilité n'entraîne pas une condamnation. Il faut que le juge enregistre la condamnation (pp. 158-159), comme le fait le juge qui préside un procès par jury doit le faire après avoir reçu le verdict de celui-ci. D'ailleurs, dans l'arrêt R. c. Pearson, 1998 CanLII 776 (C.S.C.), [1998] 3 R.C.S. 620, la Cour suprême a repris cette distinction en rappelant que lorsqu'un accusé fait valoir une défense de provocation policière, cela ne met pas en cause la culpabilité ou l'innocence de l'accusé, i.e. sa responsabilité (par. 14). Elle suppose que ce dernier est coupable mais qu'on ne le condamne pas.

[49] L'absence de condamnation ne fait donc pas disparaître rétroactivement le plaidoyer ou la reconnaissance de culpabilité, pas plus, d'ailleurs, que la réhabilitation (ou le pardon) n'anéantit rétroactivement la condamnation (Re Therrien, 2001 CSC 35 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 122).

[50] Dans l'arrêt R. c. Senior, cité par le juge Béliveau, la Cour d'appel de l'Alberta s'exprime ainsi à l'égard de l'art. 736 C.cr., qui est le prédécesseur de l'actuel art. 730 , et de la distinction entre les diverses étapes d'une condamnation :

[21] […] The most obvious example of this arises in the context of discharges pursuant to s. 736 of the Code. That section reads in part :

where an accused … pleads guilty to or is found guilty of an offence, … the court before which he appears may, … instead of convicting the accused, by order direct that the accused be discharged absolutely or on the conditions prescribed in a probation order.

(emphasis added)

The language clearly distinguishes between the plea, the finding of guilt, and the act of convicting the accused. Under the provisions of this section, the fact that a judge accepts a plea of guilty or finds an accused guilty does not automatically result in a conviction. A conviction requires both the adjudication of guilt and the act of sentencing the accused to something other than a discharge. […]

[22] While a guilty plea clearly does not equate with a conviction under s. 736, this distinction is not so easily drawn in other contexts. […]

[51] Par ailleurs, étant donné que, selon l'art. 730 C.cr., le juge absout l'accusé au lieu de le condamner, la mention qu'il est réputé ne pas avoir été condamné ajoute peu. Il eût été aisé, si cela était l'objectif poursuivi, de prévoir qu'il était également réputé ne pas avoir plaidé coupable ou ne pas avoir été reconnu coupable. Ce ne fut pas le choix du législateur.

[54] Ainsi, dans Collège des médecins c. Blondin, [2002] D.T. P.Q. No 49, le Tribunal des professions écrit :

[16] De ces propos, il faut conclure que la déclaration de culpabilité et la condamnation sont bel et bien deux étapes différentes du processus pénal.

[17] L'article 55.1 (1) C.P. prévoit la possibilité d'une mesure administrative si le professionel a été déclaré coupable d'une infraction ("finding him guilty of a criminal offence") et non pas s'il a été condamné. Ce texte sans ambiguïté ne peut faire l'objet d'une interprétation différente.

[55] Dans Pelissero c. Ontario (Provincial Police), [1982] O.J. No 1359, la Cour divisionnaire s'exprime ainsi en réponse à l'argument qu'une absolution ne permettrait pas au commissaire d'instituer des procédures disciplinaires à l'endroit d'un policier coupable d'une infraction criminelle :

[7] In the case of this incident, the applicant was again charged in the criminal courts. In this case he was found guilty but was granted a conditional discharge under section 662.1 of the Criminal Code. This incident also gave rise to the third charge that was before us which was laid under section 1 (i)(g) of the Code of Offences which provides that a police officer is guilty of discreditable conduct if he,

(g) is guilty of an indictable offence or an offence punishable upon summary conviction under the Criminal Code (Canada);

[8] The submission made on behalf of the applicant is that this provision in the Code should be interpreted as meaning that a police officer is guilty of discreditable conduct thereunder only if a conviction has been entered against him in respect of the offence. The effect of the conditional discharge was that no conviction was entered against the applicant in respect of the criminal charge. On the other hand, the conditional discharge could only have been granted if the applicant was found guilty or had pleaded guilty. We are not persuaded that the provision of the Code can be interpreted in the way that is suggested. The plain words of the Code are "is guilty of an … offence" and that is precisely what occurred in this case.

[56] Enfin, dans Desbiens c. Canada (Royal Canadian Mounted Police, Commissioner), [1986] F.C.J. No 928, le Cour fédérale d'appel déclare :

An absolute discharge under section 662.1 by definition involves a finding of guilt; there can be simply no doubt that a person who has been found guilty has been "involved in the commission" of an offence.

vendredi 27 août 2010

Sauf exception, un agent double ne sera pas une personne en situation d’autorité puisque l’accusé ne le percevra habituellement pas ainsi

R. c. Grandinetti, 2005 CSC 5, [2005] 1 R.C.S. 27

40 Même si le critère relatif à la personne en situation d’autorité ne s’applique pas de manière absolue, sauf circonstances exceptionnelles, un agent double ne sera pas une personne en situation d’autorité puisque l’accusé ne le percevra habituellement pas ainsi. La jurisprudence le confirme. Comme l’a expliqué le juge Cory dans l’arrêt Hodgson :

La question de la qualité de personne en situation d’autorité de la personne qui a reçu la déclaration se pose seulement si l’accusé connaissait cette qualité. Si l’accusé ne peut pas prouver qu’il connaissait la qualité de la personne ayant reçu sa déclaration (par exemple, dans le cas d’un agent double) [. . .], l’examen de la question de savoir si la personne ayant reçu la déclaration était une personne en situation d’autorité doit cesser. [par. 39]

(...)

41 Même s’il a reconnu qu’un agent double n’est habituellement pas une personne en situation d’autorité, l’appelant soutient que lorsque son stratagème consiste notamment à laisser entendre qu’il a des liens avec des policiers corrompus et que ces derniers pourraient influencer l’enquête et la poursuite relatives à l’infraction, l’agent est une personne en situation d’autorité.

42 Or, suivant la règle traditionnelle des confessions,

[traduction] la personne en situation d’autorité est une personne concernée par les poursuites judiciaires et qui, de l’avis de l’accusé, peut en influencer le déroulement.

(...)

43 Cette idée me paraît développée dans l’arrêt Hodgson, où le juge Cory dit de la personne en situation d’autorité qu’aux yeux de l’auteur de la déclaration, elle est un « mandataire de la police ou des autorités chargées des poursuites », un « allié des autorités étatiques », qu’elle agit « pour le compte de la police ou des autorités chargées des poursuites » ou « de concert avec les autorités policières ou celles chargées des poursuites, [. . .] en tant que mandataire de celles‑ci » (par. 34-36 et 47). Voici comment il a expliqué cette théorie plus avant :

Comme l’exigence relative à la personne en situation d’autorité vise à faire échec au comportement coercitif de l’État, le critère de la personne en situation d’autorité ne peut inclure les personnes que l’accusé croit déraisonnablement être des personnes agissant pour le compte de l’État. En conséquence, si l’accusé parle par crainte de représailles ou dans l’espoir d’obtenir un avantage parce qu’il croit raisonnablement que la personne qui reçoit sa déclaration agit à titre de mandataire de la police ou des autorités chargées des poursuites et qu’elle pourrait par conséquent avoir quelque influence ou pouvoir sur les poursuites engagées contre lui, cette personne est alors à juste titre considérée comme une personne en situation d’autorité. Autrement dit, la preuve doit révéler non seulement que l’accusé croyait subjectivement que la personne recevant la déclaration avait un certain pouvoir sur les poursuites engagées contre lui, mais elle doit établir l’existence d’un fondement objectivement raisonnable à l’égard de cette croyance.

(...) il n’existe aucune liste de personnes qui sont considérées d’office comme des personnes en situation d’autorité du seul fait de leur qualité. Un parent, un médecin, un enseignant ou un employeur peuvent tous être considérés comme des personnes en situation d’autorité si les circonstances le justifient, mais leur qualité, ou le simple fait qu’ils peuvent exercer une certaine autorité personnelle sur l’accusé, ne suffit pas à faire d’eux des personnes en situation d’autorité pour l’application de la règle des confessions. [. . .] [L]’exigence relative à la personne en situation d’autorité a évolué d’une manière qui évite l’application d’une approche formaliste ou légaliste aux interactions entre de simples citoyens. Au contraire, elle commande un examen au cas par cas de la croyance de l’accusé au sujet de la capacité de la personne qui reçoit sa déclaration d’influencer l’enquête ou la poursuite du crime. En d’autres mots, le juge du procès doit déterminer si l’accusé croyait raisonnablement que la personne qui a reçu la déclaration agissait pour le compte de la police ou des autorités chargées des poursuites. [par. 34 et 36]

44 L’appelant croyait que les agents doubles étaient des criminels, pas des policiers, même s’il pensait que ces criminels avaient des liens avec des policiers corrompus susceptibles d’influencer l’enquête dont il était l’objet. Lorsque, comme en l’espèce, l’accusé avoue son crime à un agent double qu’il croit en mesure d’influencer, grâce au concours de policiers corrompus, l’enquête dont il fait l’objet, le pouvoir coercitif de l’État n’est pas en cause. Les déclarations n’ont donc pas été faites à une personne en situation d’autorité.

45 L’accusé ne s’étant pas acquitté de sa charge de présentation quant à l’existence d’une véritable question en litige justifiant un examen, la tenue d’un voir‑dire sur le caractère volontaire de l’aveu était inutile.

jeudi 26 août 2010

Dans l'arrêt Collins, le juge Lamer a établi une liste non exhaustive des facteurs le plus souvent retenus par les tribunaux pour déterminer si l'utilisation d'une preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice

R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265

35. Le paragraphe 24(2) enjoint au juge qui détermine si l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, de tenir compte de "toutes les circonstances". De nombreux tribunaux canadiens ont énuméré les facteurs à prendre en considération et à évaluer (voir en particulier ce que dit le juge Anderson dans l'arrêt R. v. Cohen 1983 CanLII 232 (BC C.A.), (1983), 5 C.C.C. (3d) 156 (C.A.C.‑B.); le juge en chef Howland dans l'arrêt R. v. Simmons reflex, (1984), 11 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.); le juge Philp dans l'arrêt R. v. Pohoretsky 1985 CanLII 110 (MB C.A.), (1985), 18 C.C.C. (3d) 104 (C.A. Man.); le juge MacDonald dans l'arrêt R. v. Dyment 1986 CanLII 115 (PE S.C.A.D.), (1986), 25 C.C.C. (3d) 120 (C.A.Î.‑P.‑é.) et le juge Lambert dans l'arrêt R. v. Gladstone 1985 CanLII 109 (BC C.A.), (1985), 22 C.C.C. (3d) 151 (C.A.C.‑B.)); et le juge Seaton en l'espèce. Les facteurs les plus souvent retenus par les tribunaux sont les suivants:

− quel genre d'éléments de preuve a été obtenu?

− quel droit conféré par la Charte a été violé?

− la violation de la Charte était-elle grave ou s'agissait-il d'une simple irrégularité?

− la violation était-elle intentionnelle, volontaire ou flagrante, ou a-t-elle été commise par inadvertance ou de bonne foi?

− la violation a-t-elle eu lieu dans une situation d'urgence ou de nécessité?

− aurait-on pu avoir recours à d'autres méthodes d'enquête?

− les éléments de preuve auraient-ils été obtenus en tout état de cause?

− s'agit-il d'une infraction grave?

− les éléments de preuve recueillis sont-ils essentiels pour fonder l'accusation?

− existe-t-il d'autres recours?

Il faut se garder de conclure que je considère que cette liste constitue une énumération exhaustive des facteurs pertinents et je vais faire quelques commentaires généraux à leur égard."

*** Note de l'auteur de ce blog: Il faut garder le paragraphe 7 de l'arrêt R. c. Beaulieu, 2010 CSC 7, les facteurs d’analyse n’ont pas changé ***

En l’absence du consentement de l’accusé, la preuve présentée aux fins de la procédure de voir-dire ne devrait pas s’appliquer au procès principal, bien qu'il pourrait y exister une exception

R. c. Simard, 2003 CanLII 32955 (QC C.Q.)

[19] L’expression « voir-dire », de la locution d’origine latine « verum dicere », désigne une vérification préalable à l’admissibilité d’une preuve.

[20] S’il a raison d’avancer que le procès se met en branle dès le dépôt des actes d’accusation et l’enregistrement de plaidoyer de non culpabilité, le procureur du ministère public confond les buts différents que poursuivent la procédure dite de voir-dire et le procès lui-même lorsqu’il soutient, en plaidoirie, avoir été sous l’impression que toute la preuve présentée aux fins de la requête en vertu de la Charte devient, du même souffle, partie intégrante de toute la preuve au soutien des accusations.

[21] Dans l’arrêt Erven c. La Reine 1978 CanLII 19 (S.C.C.), (1979) 1 S.C.R. 926, la Cour suprême rappelle bien que les rôles du voir-dire et du procès lui-même diffèrent :

« Le voir-dire sert à déterminer l’admissibilité d’un élément de preuve. Le procès vise à trancher l’affaire au fond en fonction de la preuve recevable.

… la preuve présentée au voir-dire ne peut pas être utilisée au procès lui-même. »

[22] Cet énoncé de la règle, surtout connu, avant l’avènement de la Charte, en marge des questions relatives à l’admissibilité des déclarations d’un accusé, et cette démarcation qu’il convient de faire entre la procédure dite de voir-dire et du procès lui-même, s’appliquent tout autant à la contestation de l’admissibilité des preuves en violation de l’un des droits garantis par la Charte.

[23] Dans l’arrêt plus récent de R. c. Darrach 2000 CSC 46 (CanLII), (2000) 2 R.C.S. 443, la Cour suprême du Canada postule qu’un voir-dire « est une autre procédure au sens de l’article 13 de la Charte ». Elle y réaffirme clairement la distinction entre la procédure de voir-dire et le procès lui-même tenant au fait que la première ne fait pas partie du processus de la détermination de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, une phase qui appartient au second.

[24] En fait, cette règle repose sur la prémisse fondamentale de la présomption d’innocence avec comme corollaires :

– l’État assume seul le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé;

– l’État ne peut pas forcer le concours de l’accusé à la démonstration de sa culpabilité;

– l’accusé a le droit au silence et à ne pas s’incriminer, mais aussi, à un procès juste et équitable.

[25] Dès lors, il convient que l’accusé puisse, sans craindre de s’incriminer, contester l’admissibilité des preuves, notamment en appelant des témoins ou en déposant lui-même.

[26] En conséquence, en l’absence du consentement de l’accusé, la preuve présentée aux fins de la procédure de voir-dire ne devrait pas s’appliquer au procès principal.

[27] Toutefois, malgré la fermeté au moins apparente de l’état du droit sur la question, il n’est pas si certain que la Cour ne puisse pas passer outre le consentement de l’accusé à la condition de s’assurer de certaines garanties.

[28] Le contexte particulier et singulier de l’audition des présentes affaires invite à cette solution, la seule qui réponde aux fins d’une saine administration de la justice, en général, et à la recherche de la vérité, en particulier, sans desservir les intérêts et droits fondamentaux des accusés.

[29] Au vu des présentes circonstances, la Cour ne peut se résoudre à appliquer sans discernement une règle qui, en raison d’une erreur technique ou d’une bévue, évacuerait du dossier une preuve pertinente et légale qu’elle pourrait autrement avoir réintégré, à défaut de consentement des accusés, pour peu qu’elle ait été entièrement répétée avec toutefois les effets pervers que cela comporte au plan de la mobilisation des ressources humaines et du temps requis pour l’exercice.

[30] L’inapplication de cette règle aux faits de l’affaire n’enfreint nullement le droit des accusés à un procès juste et équitable. Il s’agit plutôt d’un cas rare où l’application sans nuance de la règle déconsidérerait l’administration de la justice.

mercredi 25 août 2010

Le mauvais état de santé de l'accusé ne constitue pas en soi un facteur décisif, sauf circonstances exceptionnelles

R. c. D.B., 2008 QCCA 798 (CanLII)

Lien vers la décision

[20] Comme il l'explique d'ailleurs dans ce même arrêt, aucune infraction, aussi grave soit-elle, ne peut être exclue de la possibilité d'une ordonnance d'emprisonnement avec sursis, hormis celles où une peine minimale d'emprisonnement est prévue, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[21] La Cour a déjà rendu plusieurs arrêts sur l'impact que peut avoir la santé de l'accusé sur la peine. Cette jurisprudence, comme d'ailleurs celles des autres provinces canadiennes, est à l'effet que le mauvais état de santé de l'accusé ne constitue pas en soi un facteur décisif, sauf circonstances exceptionnelles.

[22] Dans Savard c. La Reine, notre Cour a permis que la peine d'emprisonnement soit purgée dans la communauté parce que l'appelant était atteint d'un cancer incurable et que son décès était imminent.

[23] Dans Grégory c. La Reine, la Cour a permis à l'intimée qui avait contracté le virus du sida et dont la mort était imminente de purger sa peine dans une maison de transition.

[24] Dans U.D. c. La Reine, la Cour a autorisé l'emprisonnement avec sursis (avec le consentement du ministère public) dans le cas d'un homme de 70 ans affligé d'une condition médicale morbide nécessitant des traitements constants.

[25] Au Manitoba, on peut signaler également deux affaires où, dans des circonstances exceptionnelles, la Cour d'appel a imposé une peine d'emprisonnement avec sursis. Dans le premier cas, l'accusé de 71 ans souffrait de dystrophie musculaire. Dans le second, l'accusé était en phase terminale d'un cancer.

[26] Par contre, notre Cour a refusé d'appliquer cette mesure dans le cas d'une personne déclarée coupable d'homicide involontaire d'un enfant de trois ans et qui, au moment du procès, avait été victime d'un infarctus. M. le juge Hilton écrivait à cet égard :

Moreover, as the case-law shows, there has to be a considerable degree of medical misfortune or disability in place before health factors can be considered as a compassionate basis to impose a sentence on incarceration less than what it might be otherwise, especially as it relates to a crime of violence such as this one. Such is not the case of Mr. Alcius. Quite simply, the trial judge ought not to have taken this factor into account as an attenuating factor.

[27] Les mêmes principes ont été appliqués dans les affaires A.D. c. La Reine, Champagne c. La Reine, Colas c. La Reine, Ekuban c. La Reine, J.C.B. c. La Reine, Martin c. La Reine et plus récemment dans P.L. c. La Reine et R. c. J.P. Ce n'est donc pas parce que l'état de santé de l'accusé est douteux ou même précaire et le fait que l'emprisonnement puisse constituer un fardeau additionnel que le sursis doit ou peut être prononcé.

[28] En l'espèce, l'intimé n'est pas en phase terminale, mais en traitement qui d'après la preuve au dossier a des chances de réussir. Il est en preuve, en outre, que les autorités carcérales sont tout à fait en mesure de lui assurer les soins requis.

[29] Avec respect pour le premier juge, la peine prononcée ne reflète pas la gravité des crimes commis. Celui-ci note en effet, n'eût été de l'état de santé de l'intimé, qu'une peine de six ans aurait dû normalement être imposée. Or, l'état de santé de l'intimé selon la preuve au dossier et en tenant compte des paramètres jurisprudentiels examinés plus haut n'est pas tel qu'il pouvait permettre pour des raisons humanitaires d'appliquer le sursis.

[30] En somme, la peine imposée par le premier juge ne reflète pas la gravité des crimes commis et ne saurait se justifier simplement par l'individualisation de celle-ci dans les circonstances précédemment décrites.

*** Voir le billet diffusé sur ce blog le 27 juillet 2010, qui reprend la revue de la jurisprudence du juge de 1ère instance R. c. D.B., 2007 QCCQ 12664 (CanLII) ***

L'article 41 du Code criminel / les quatre critères cumulatifs essentiels de ce qui qualifie une intrusion et ce qu'est le voies de fait par intrus

R. c. Hammouzine, 2009 QCCQ 12944 (CanLII)

[16] L'article 41 du Code criminel se lit comme suit: « 41(1) Défense de la maison ou du bien immeuble – Quiconque est en possession paisible d'une maison d'habitation ou d'un bien immeuble, comme celui qui lui prête légalement main-forte ou agit sous son autorité, est fondé à employer la force pour en empêcher l'intrusion par qui que ce soit, ou pour en éloigne un intrus, s'il ne fait usage que de la force nécessaire. 41(2) Voies de fait par un intrus - Un intrus qui résiste à une tentative, par quiconque est en possession paisible d'une maison d'habitation ou d'un bien immeuble, ou par quiconque prête légalement main-forte à cette personne ou agit sous son autorité, de l'empêcher d'entrer ou de l'éloigner, est réputé avoir commis des voies de fait sans justification ni provocation. »

[17] L’article 41 du Code criminel du Canada (C. Cr.) habilite le possesseur paisible d’un bien immeuble à utiliser la force nécessaire contre un intrus pour l’en éloigner ou lui en empêcher l’accès. Un intrus résistant est, par contre, susceptible de faire l’objet d’une accusation de voies de fait (R. c. Ben-Hafsia, 550-36-000024-016, 2001, (QC C.S); voir également R. c. Stewart, 500-10-000302-933, 1997, CAQ).

[18] La jurisprudence a déjà établi quatre critères cumulatifs essentiels de ce qui qualifie une intrusion. Ainsi au terme de l'arrêt R. c. Gunning, 2005 CSC 27 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 627 : « Le moyen de défense …comporte quatre volets : (1) il doit avoir été en possession de la maison d’habitation; (2) sa possession devait être paisible; (3) (l'accusé)… doit avoir été un intrus; (4) la force employée pour expulser l’intrus doit avoir été raisonnable dans les circonstances ».

[19] STATUT D'INTRUS ET MESURES D'ÉLOIGNEMENT. Le droit d'éloigner un intrus de la part de la victime a au moins en théorie une certaine légitimité (R. c. Vallée, 1993 CanLII 4303 (QC C.A.), [1994] R.J.Q. 330 (QC C.A.)) « L'article 41(1) C.cr. contient deux volets: l'un vise à empêcher l'intrusion et l'autre à éloigner une personne qui est devenue une intruse parce qu'elle a pénétré dans un lieu et n'y est plus bienvenue » (R. c. Dixon, 140 N.B.R. (2e) 233 • 26 C.R. (4th) 173, (NB C.A)).

Admettre que les policiers, et d’autres autorités tel le procureur, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice

Canadian Oxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743

24 Il est important que les enquêteurs découvrent le plus d’éléments de preuve possible. Admettre que les policiers, et d’autres autorités, ne doivent rechercher que les seuls éléments de preuve qui incriminent le suspect visé est incompatible avec notre système de justice. Un tel «manque d’objectivité» de la part du poursuivant serait inapproprié: voir Commission sur les poursuites contre Guy Paul Morin: Rapport, t. 1 (1998), le commissaire F. Kaufman, aux pp. 559 à 562.

25 Dans l’arrêt Nelles c. Ontario, 1989 CanLII 77 (C.S.C.), [1989] 2 R.C.S. 170, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a déclaré au nom des juges majoritaires:

Le procureur de la Couronne a traditionnellement été décrit comme un [traduction] «représentant de la justice» qui «devrait se considérer plus comme un fonctionnaire de la cour que comme un avocat». (Morris Manning, «Abuse of Power by Crown Attorneys», [1979] L.S.U.C. Lectures 571, à la p. 580, citant Henry Bull, c.r.) Sur le rôle qui est propre au procureur de la Couronne, il n’y a probablement aucun passage qui soit aussi souvent cité que cet extrait des motifs du juge Rand dans l’affaire Boucher v. The Queen, 1954 CanLII 3 (S.C.C.), [1955] R.C.S. 16, aux pp. 23 et 24:

[traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de voir à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés: ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle.

26 (...) Le système de justice pénale ne se préoccupe pas uniquement de la question de savoir si une preuve prima facie peut être établie contre un accusé, il s’intéresse aussi à la question de savoir si l’accusé est coupable en définitive.

27 De plus, comme l’a souligné l’intervenant, le procureur général de l’Ontario, refuser d’admettre que le ministère public peut rassembler des éléments de preuve en prévision de la présentation d’un moyen de défense aurait des conséquences graves sur le fonctionnement de notre système de justice. Pour être équitable, le processus pénal doit «permettre au juge des faits “de découvrir la vérité et de rendre une décision équitable” tout en accordant à l’accusé la possibilité de présenter une pleine défense»; R. c. Levogiannis, 1993 CanLII 47 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 475, à la p. 486. Cette équité réciproque commande que le ministère public soit en mesure de rechercher et d’obtenir régulièrement des éléments de preuve pour réfuter les moyens de défense invoqués par l’accusé. (...)

mardi 24 août 2010

Ce que signifie le concept de détention depuis l'arrêt Grant

R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353

[41] Comme nous l’avons vu précédemment, le fait qu’un policier patrouilleur pose des questions générales ne constitue pas une menace à la liberté de choix. Par contre, poser ce type de questions peut conduire à des situations où les préoccupations générales de police communautaire cèdent le pas aux soupçons à l’égard d’un individu en particulier. Les soupçons ne transforment pas en soi le contact en détention. Ce qui compte, c’est la façon dont la police, compte tenu de ces soupçons, a interagi avec l’individu. Le libellé de la Charte ne limite pas la détention aux situations où une personne risque d’être mise en état d’arrestation. Cependant, ce facteur peut aider à déterminer si, dans une situation donnée, une personne raisonnable conclurait qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer à la demande des policiers. Ces derniers doivent être conscients que leurs gestes et leurs paroles peuvent créer une situation où une personne raisonnable, dans la même situation, conclurait en effet qu’elle n’est pas libre de s’en aller ou de refuser de répondre aux questions.

[42] La durée du contact censé constituer une détention peut être un facteur pertinent. Prenons l’exemple d’une policière qui poserait sa main sur le bras d’un individu. Si ce geste dure, il pourrait fort bien amener une personne raisonnable à conclure que sa liberté de choisir entre collaborer ou non lui a été retirée, ce que ne ferait peut‑être pas un effleurement, compte tenu des circonstances. Il faut cependant se rappeler qu’une situation peut évoluer rapidement et qu’un seul acte ou mot percutant peut induire une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a plus le droit de choisir comment répondre à la situation.

[43] Rappelons, d’une part, que la question de savoir si la personne a été privée du droit de choisir de simplement quitter les lieux dépend de toutes les circonstances de l’affaire et, d’autre part, qu’il appartient au juge du procès de la trancher en fonction de l’ensemble de la preuve. S’il est vrai qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du juge du procès, l’application du droit aux faits constitue une question de droit.

[44] En résumé, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1. La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.

2. En l’absence de contrainte physique ou d’obligation légale, il peut être difficile de savoir si une personne a été mise en détention ou non. Pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation conclurait qu’elle a été privée par l’État de sa liberté de choix, le tribunal peut tenir compte, notamment, des facteurs suivants :

a) Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient‑ils une aide générale, assuraient‑ils simplement le maintien de l’ordre, menaient‑ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient‑ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?

b) La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.

c) Les caractéristiques ou la situation particulières de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement.

vendredi 20 août 2010

La violation de l'art. 8 par les policiers a‑t‑elle été commise "de bonne foi" ou était‑elle "flagrante"?

R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3

Un aspect tout aussi important de la gravité de la violation est la façon dont la police a agi en décidant d'effectuer cette perquisition périphérique sans mandat. La violation de l'art. 8 a‑t‑elle été commise "de bonne foi" ou était‑elle "flagrante"? Ce sont deux termes techniques dans les affaires concernant le par. 24(2). Pour décider si l'un ou l'autre terme est approprié dans les circonstances, il faut examiner la preuve présentée à l'enquête préliminaire et produite au procès dans le cadre de la demande présentée en vertu du par. 24(2). Voici l'extrait pertinent du contre‑interrogatoire de l'agent Povarchook:

Avec égards pour l'opinion contraire, je ne peux conclure que cette situation constitue un cas de bonne foi susceptible de réduire la gravité de la violation de l'art. 8 qui s'est produite en l'espèce. (...)


(...) En premier lieu, selon les termes mêmes du juge, la conclusion relative à la bonne foi est équivoque. Le "raccourci" dont il est fait mention dans l'extrait souligné était une perquisition effectuée par une personne qui savait qu'il n'y avait pas de pouvoirs légaux de perquisition. La preuve révèle clairement que les policiers savaient qu'ils n'avaient pas de motifs suffisants soit pour exercer ce pouvoir de perquisition sans mandat décerné en vertu de l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants, soit pour obtenir un mandat de perquisition en vertu du par. 10(2). Tout ce que l'agent a trouvé à répondre à la question concernant une autre source possible d'autorisation légale était "je ne suis pas certain".

En second lieu, même si le juge Cashman a conclu que l'agent a cru honnêtement mais à tort qu'il avait le pouvoir de perquisitionner, j'estime que, dans ces circonstances, celui‑ci ne peut tout simplement pas prétendre qu'il avait mal compris la portée de son autorité. Comme le juge en chef Dickson l'a clairement démontré dans ses motifs en l'espèce, "[n]otre Cour a toujours dit que les droits que la common law reconnaît au détenteur d'un bien de ne pas subir d'intrusion policière ne peuvent être restreints que par des pouvoirs conférés par des dispositions législatives claires" (p. 000). Tout argument contraire est, selon les termes du juge en chef Dickson, "sans fondement". La police est censée être au courant des arrêts Eccles et Colet de notre Cour et de la restriction des pouvoirs policiers qui découle de ces jugements.

Ou bien les policiers savaient que c'était une intrusion, ou bien ils auraient dû le savoir. Dans l'un ou l'autre cas, on ne peut pas dire qu'ils ont agi "de bonne foi", au sens où on l'entend dans la jurisprudence fondée sur le par. 24(2). Pour arriver à cette conclusion, je m'appuie sur l'arrêt R. c. Genest, 1989 CanLII 109 (C.S.C.), [1989] 1 R.C.S. 59, où le juge en chef Dickson, au nom de notre Cour, a jugé que la poursuite ne pouvait pas prétendre que les policiers avaient par inadvertance omis de reconnaître les vices évidents dans un mandat de perquisition. Même en l'absence d'une preuve de mauvaise foi, la gravité de la violation de la Charte dans ce cas était augmentée du fait que "les vices que comportait le mandat de perquisition étaient graves et les policiers auraient dû les remarquer" (je souligne, p. 87); et plus loin: "Ils n'ont pas tenu compte des restrictions bien établies que la common law impose aux pouvoirs de perquisition de la police" (p. 91). Dans ses motifs en l'espèce, le juge en chef Dickson souligne que la Cour d'appel, à l'unanimité, a accepté l'erreur faite par le policier quant à son pouvoir de perquisitionner. Je ne suis pas d'accord. La Cour d'appel a expressément conclu que la conduite de la police équivalait à une intrusion mais que, vu l'ensemble des circonstances, cela ne constituait pas une fouille, une perquisition ou une saisie abusive.

Lorsque la police n'a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d'autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille

R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3

Lorsque la police n'a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d'autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille, et non aller de l'avant et obtenir une preuve d'une manière illégale et inconstitutionnelle. Si elle agit ainsi, la violation de la Charte est beaucoup plus grave qu'elle ne le serait autrement, elle ne l'est pas moins. Toute autre conclusion entraînerait une érosion indirecte mais importante des critères énoncés dans l'arrêt Hunter: La poursuite concéderait volontiers qu'il y a eu violation de l'art. 8 si elle pouvait systématiquement obtenir l'utilisation de la preuve en vertu du par. 24(2) en prétendant que la police n'a pas obtenu de mandat parce qu'elle n'avait pas de motifs raisonnables et probables pour ce faire. L'ironie de ce résultat est évidente. Il ne faut pas oublier que la justification après coup des fouilles et perquisitions par leurs résultats est précisément ce que les critères énoncés dans l'arrêt Hunter visaient à éviter: voir l'arrêt Hunter, précité, le juge Dickson (tel était alors son titre), à la p. 160; et l'arrêt Greffe, précité, le juge Lamer, aux pp. 790 et 798.

Sur le plan de la vie privée, qui est la valeur essentielle protégée par l'art. 8 de la Charte, cette intrusion illégale dans une propriété privée n'est ni anodine ni minime. Même avant l'adoption de la Charte, les particuliers avaient le droit de s'attendre à ce que leur environnement soit protégé contre des fonctionnaires fureteurs, à moins que ceux‑ci ne satisfassent aux conditions requises pour exercer leurs pouvoirs légaux: voir les arrêts Eccles c. Bourque, 1974 CanLII 191 (C.S.C.), [1975] 2 R.C.S. 739; et Colet c. La Reine, 1981 CanLII 11 (C.S.C.), [1981] 1 R.C.S. 2. L'élévation de cette protection au niveau constitutionnel indique son enracinement profond dans notre culture juridique. Dans l'arrêt Dyment, précité, le juge La Forest s'exprime en des termes non équivoques, aux pp. 427 et 428:

Fondée sur l'autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien‑être. Ne serait‑ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l'ordre public. L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique.

Il existe plusieurs circonstances où le ministère public peut démontrer qu’une fouille ou une perquisition sans mandat est raisonnable aux fins de l’article 8

R. c. Nassar, 2009 NBBR 83 (CanLII)

[31] Il existe plusieurs circonstances où le ministère public peut démontrer qu’une fouille ou une perquisition sans mandat est raisonnable aux fins de l’article 8 :

a) Fouille ou perquisition sur consentement : l’accusé doit savoir qu’il a le droit de refuser et comprendre les conséquences du consentement qu’il donne. Si le consentement a été donné par un tiers, la Cour doit déterminer la validité du consentement du tiers et le pouvoir qu’avait celui-ci d’accorder le consentement. Enfin, le consentement d’un tiers est-il un substitut suffisant à l’autorisation judiciaire préalable?

b) Abandon : si l’accusé a abandonné son droit au respect de sa vie privée à l’égard des objets saisis, il n’y a pas eu fouille, perquisition ou saisie des objets abandonnés.

c) Fouille accessoire à l’arrestation : il est clair, en droit qu’il doit y avoir un lien suffisant entre la nature de la fouille et l’infraction qui a entraîné l’arrestation.

d) Fouille accessoire à une détention aux fins d’enquête : il doit y avoir des motifs raisonnables de détenir la personne, et ensuite, la fouille doit avoir uniquement pour but d’assurer la sécurité des agents de police ou du public; on n’a pas un pouvoir illimité de fouiller pour trouver des preuves.

e) Situation d’urgence : les articles 487.11 et 529.3 du Code criminel et le paragraphe 11(7) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoient ce qui suit :

487.11 L’agent de la paix ou le fonctionnaire public nommé ou désigné pour l’application ou l’exécution d’une loi fédérale ou provinciale et chargé notamment de faire observer la présente loi ou toute autre loi fédérale peut, pour l’accomplissement de ses fonctions, exercer, sans mandat, tous les pouvoirs prévus aux paragraphes 487(1) ou 492.1(1) lorsque l’urgence de la situation rend difficilement réalisable l’obtention du mandat, sous réserve que les conditions de délivrance de celui-ci soient réunies.

529.3 (1) L’agent de la paix peut, sans que soit restreint ou limité le pouvoir d’entrer qui lui est conféré en vertu de la présente loi ou d’une autre loi ou d’une règle de droit, pénétrer dans une maison d’habitation pour l’arrestation d’une personne sans être muni du mandat visé aux articles 529 ou 529.1 s’il a des motifs raisonnables de croire que la personne s’y trouve, si les conditions de délivrance du mandat prévu à l’article 529.1 sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a notamment urgence dans les cas où l’agent de la paix, selon le cas :

a) a des motifs raisonnables de soupçonner qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour éviter à une personne des lésions corporelles imminentes ou la mort;

b) a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.

11(7) L’agent de la paix peut exercer sans mandat les pouvoirs visés aux paragraphes (1), (5) ou (6) lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies.

f) Objets bien en vue : dans de tels cas, un agent a le droit de saisir des objets sans mandat lorsqu’ils sont bien en vue. Toutefois, il faut que l’agent agisse légalement, qu’il ait fait la découverte par inadvertance et que les objets soient nettement incriminants à première vue. Dans l’arrêt R. c. Sanchez-Ruiz (1991), 121 R.N.‑B. (2e) 106 (C.A.), la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a tenu les propos suivants, au paragraphe 28 :

[28] La doctrine des choses bien en vue permet, dans des limites rigoureuses, la présentation en preuve d’objets obtenus sans mandat de perquisition. En un sens, c’est une exception à la règle prescrivant le mandat de perquisition. Dans R. c. Belliveau and Losier (1986), 75 R.N.‑B. (2e) 18; 188 A.P.R. 18, la Cour a eu l’occasion d’examiner l’application de la doctrine en question. À la page 35, le juge en chef Stratton a exposé trois exigences auxquelles doit satisfaire la fouille sans mandat pour que la doctrine puisse être invoquée:

Premièrement, il faut que l’agent de police effectue légalement une « intrusion initiale » ou autrement qu’il soit à bon droit dans une position à partir de laquelle il peut regarder un endroit en particulier. Deuxièmement, l’agent doit découvrir « par inadvertance » des éléments de preuve incriminants, ce qui veut dire qu’il ne doit pas « connaître d’avance le lieu où se trouvent certains éléments de preuve et avoir l’intention de les saisir », en se servant de la doctrine des choses bien en vue comme prétexte seulement. Finalement, il faut que ce soit « immédiatement évident » pour la police que les objets en vue peuvent constituer la preuve d’un acte criminel ou de la contrebande, ou être autrement susceptibles de saisie. Ayant satisfait à ces exigences, lorsque des agents de police sont engagés légitimement dans une activité dans un endroit particulier et qu’ils perçoivent un objet suspect, ils peuvent le saisir immédiatement.

Lorsque le délinquant enfreint sans excuse raisonnable une condition de son ordonnance de sursis à l’emprisonnement, il devrait y avoir présomption qu’il doit alors purger le reste de sa peine en prison

R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61

38 Le caractère punitif de l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis devrait également se refléter dans le traitement des manquements aux conditions dont elle est assortie. Comme je l’ai mentionné précédemment, la peine maximale infligée en cas de manquement aux conditions d’une ordonnance de probation est susceptible d’être plus sévère qu’en cas de manquement aux conditions d’une ordonnance de sursis à l’emprisonnement. En pratique, toutefois, les manquements aux conditions d’une telle ordonnance peuvent être punis plus sévèrement que les manquements à une ordonnance de probation. Sans me prononcer sur la constitutionnalité des dispositions concernées, je remarque que, selon le par. 742.6(9), le manquement à une ordonnance de sursis à l’emprisonnement ne doit être prouvé que suivant la prépondérance des probabilités, alors que le manquement à une ordonnance de probation doit être prouvé hors de tout doute raisonnable.

39 Remarque plus importante, lorsque le délinquant enfreint sans excuse raisonnable une condition de son ordonnance de sursis à l’emprisonnement, il devrait y avoir présomption qu’il doit alors purger le reste de sa peine en prison. Cette menace constante d’incarcération est de nature à inciter le délinquant à respecter les conditions qui lui ont été imposées: voir R. c. Brady 1998 ABCA 7 (CanLII), (1998), 121 C.C.C. (3d) 504 (C.A. Alb.); J. V. Roberts, «Conditional Sentencing: Sword of Damocles or Pandora’s Box?» (1997), 2 Rev. can. D.P. 183. Elle contribue en outre à distinguer l’emprisonnement avec sursis de la probation en rendant plus sévères les conséquences d’un manquement aux conditions d’une ordonnance de sursis à l’emprisonnement.

Ce que peut constituer une excuse raisonnable relativement à l'infraction de fournir un échantillon d'haleine

R. c. Bolduc, 2000 CanLII 5820 (QC C.Q.)

Ainsi, la Cour d'appel dans l'arrêt Aubut semble avoir adopté cette définition. Par ailleurs, l’Honorable juge L. Coté de la Cour supérieure était d'avis que suite à l'arrêt Nadeau :

« Les tribunaux ont été peu enclins à définir de façon précise l'excuse raisonnable. Comme le mentionnait le juge Hart dans l'arrêt Phinney ( (1980) 49 CCC 2d 81, p. 101) : « In my opinion, it would be dangerous for the Courts to try to enunciate an all inclusive meaning to the expression "reasonable excuse" because there are always factual situations arising that are novel and do not fit into static categories. This is the approach that most of the Court decisions have been taking and the results have been confined to the individual factual situations in the various cases ».

Il s’avère donc aussi approprié de l'humble avis du soussigné, d’examiner chaque cas et ses particularités.

Les Tribunaux ont considéré que, dans les circonstances propres à chaque cas, ont constitué une excuse raisonnable des problèmes de santé sérieux, des difficultés pulmonaires, cardiaques, le diabète, des blessures sérieuses. Aussi, l'état d'ébriété avancé au point que l'accusé était physiquement incapable de souffler dans l'appareil a été considéré une excuse raisonnable. Ont aussi été considérés l'hyper ventilation , le souffle court causé par l'asthme, le comportement d'un policier suscitant une perte de confiance,l'extrême nervosité, le manque d'air causé par une crise de panique, un rhume de cerveau

Ne constituent pas, par ailleurs, une preuve contraire un acquittement à l'accusation de conduite avec facultés affaiblies ni l'absence de preuve de garde et contrôle du véhicule, ni la crainte subjective du manque de fiabilité de l'appareil de détection ou de l'alcootest.

Par ailleurs, le tribunal est d’avis que dans certaines circonstances, un important taux de nervosité peut constituer une excuse raisonnable. Il faut nécessairement examiner chacun des cas. Certes, il se pourrait qu’un agent de la paix, conclut du comportement nerveux d’un individu, un refus ou un défaut d’obtempérer à un ordre alors qu’en fait, sa nervosité reliée à d’autres facteurs puissent l’empêcher comme tel d’y obtempérer malgré la volonté de le faire. Dans cette situation, l’important taux de nervosité ne doit pas être examiné seulement en considération de la possibilité qu’il constitue une excuse raisonnable mais aussi en regard de l’ensemble de la preuve, comme une manifestation d’une incapacité à réussir à exhaler suffisamment d’air. Le tribunal réitère cependant que le présent cas en est un d’espèce devant être examiné à la lumière des circonstances spécifiques.

L'infraction de refus de fournir un échantillon d'haleine est commise dès que la personne détenue refuse ou fait défaut d'obtempérer - Exemples jurisprudentiels de refus

R. c. Bolduc, 2000 CanLII 5820 (QC C.Q.)

Au niveau de l'intention, l'infraction est commise dès que la personne détenue refuse ou fait défaut d'obtempérer. Un changement de volonté de l'accusé sera cependant considéré s'il est manifesté dans la même séquence d'événements et dans un délai raisonnable eu égard aux circonstances et aux explications données. Le refus doit donc être spécifique, définitif et délibéré.

L'intention de refuser ou de faire défaut d’obtempérer à l’ordre peut être prouvée par sa manifestation directe ou par preuve circonstancielle. Il a été considéré qu'une personne fait défaut d'obtempérer lorsqu'elle consomme des pastilles alcoolisées, de la gomme, malgré des indications contraires; lorsqu'elle exige la présence ou fait plusieurs appels à des gens autres que des avocats;lorsqu'elle simule de souffler dans l'appareil alors que manifestement elle ne le fait pas.

Dans chacun des cas, les circonstances des agissements allégués comme étant un refus ou un défaut d’obtempérer seront déterminantes. Ainsi dans l'affaire Lessard où l'accusé a tenté de souffler à cinq reprises, qu'il soufflait suffisamment longtemps pour que la lumière test soit en fonction mais insuffisamment longtemps pour permettre une analyse; où l'accusé était coopératif, la Cour Supérieure a considéré qu'était une erreur en droit l'omission du Tribunal de s'interroger si l'accusé avait une intention véritable de s'esquiver en regard de la sommation du policier.

Lorsque des tentatives de se soumettre à la sommation de donner l'échantillon d'haleine requis sont faites et que l'accusé semble, à priori, obtempérer à la demande de l'agent de la paix, la poursuite devra prouver que les agents de la paix ont redonné les explications adéquates pour favoriser la réussite des tests, que celles-ci ont semblé être comprises de l'accusée mais aussi que les agents de la paix ont vérifié que l'embout était fonctionnel, qu'il n'était pas obstrué et que l'appareil était en état de fonctionnement, soit qu'il pouvait réagir à une quantité appropriée d'air insufflé. Cependant dans un cas où un individu cherche manifestement à éluder l'ordre du policier, la poursuite ne sera pas tenue de faire la preuve de la vérification du passage de l'air insufflé dans l'embout et de l'appareil.

Lorsque le défaut ou le refus d'obtempérer est démontré hors de tout doute raisonnable, l'accusé peut alors invoquer et prouver, par prépondérance de preuve, une excuse raisonnable. Le caractère raisonnable de l'excuse doit être apprécié suivant un critère objectif et non suivant la sincérité apparente de celui qui fournit l'excuse

La Cour suprême dans R.c Taraschuk a indiqué que les décisions dans Nadeau, Nichols et Yuzicappi étaient bien fondées en droit. Or dans l'arrêt Nadeau, les trois juges écrivent des motifs; l'un est dissident. Les deux juges qui concourent le font essentiellement sur le fait que ne constitue pas une excuse raisonnable le fait qu'un individu invoque qu'il ne conduisait pas ou n'avait pas le contrôle d'un véhicule dans le laps de temps prévu par la loi précédant l'interception

Ce que doit prouver la poursuite pour obtenir une condamnation à l’infraction de refus

R. c. Bolduc, 2000 CanLII 5820 (QC C.Q.)

Pour obtenir une condamnation à l’infraction de refus, le procureur de la poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l'accusé fait défaut ou refuse d'obtempérer à l'ordre qui lui est sommé de se soumettre soit au test de détection approuvé soit de se soumettre à un alcootest approuvé.

La poursuite doit mettre en preuve que l'agent de la paix avait, soit les raisons de soupçonner la présence d'alcool, soit encore des motifs raisonnables de croire qu'une infraction en relation avec l’alcool et la conduite ou la garde d’un véhicule a été commise, au cours des trois heures précédant l'interception, selon que le refus concerne un ordre de se soumettre à l'appareil de détection ou à l'alcootest.

La poursuite doit mettre en preuve que l'agent de la paix a sommé l'ordre de fournir l'échantillon d'haleine requis et qu'il l'a fait suivant les dispositions du Code Criminel, soit que l'individu s'y soumette immédiatement dans le cas du test de détection ou «immédiatement ou dès que possible» dans le cas des tests d'alcoolémie.

La poursuite doit démontrer qu'elle a procédé dans le respect des droits constitutionnels de la personne interpellée selon qu'est en cause une sommation à l'égard d'un test de détection ou de l'alcootest.

Elle doit, enfin, démontrer hors de tout doute raisonnable le refus ou le défaut d'obtempérer. Elle doit, pour ce faire, prouver hors de tout doute raisonnable l'actus reus ainsi que l'intention.

Au niveau de l'intention, l'infraction est commise dès que la personne détenue refuse ou fait défaut d'obtempérer. Un changement de volonté de l'accusé sera cependant considéré s'il est manifesté dans la même séquence d'événements et dans un délai raisonnable eu égard aux circonstances et aux explications données. Le refus doit donc être spécifique, définitif et délibéré.

L’incapacité réelle de payer une amende n’est pas un motif valable d’emprisonnement

R. c. Wu, 2003 CSC 73, [2003] 3 R.C.S. 530

L’emprisonnement à défaut de paiement a pour objectif d’inciter fortement les délinquants qui en ont les moyens à acquitter leurs amendes. L’incapacité réelle de payer une amende n’est pas un motif valable d’emprisonnement. L’emprisonnement avec sursis demeure une forme d’emprisonnement. Aux termes du par. 734.7(1), un mandat d’incarcération ne peut être décerné que si le ministère public peut établir que le délinquant a, « sans excuse raisonnable, refusé de payer l’amende ».

Si le délinquant n’a pas les moyens de payer l’amende immédiatement, le tribunal doit lui accorder un délai raisonnable pour l’acquitter. Le délinquant peut aussi être admissible à un programme provincial facultatif de paiement d’une amende lui permettant de s’acquitter de l’amende « en tout ou en partie par acquisition de crédits au titre de travaux réalisés, sur une période maximale de deux ans » (art. 736). En cas de défaut, le ministère public dispose d’un certain nombre de recours civils : il peut notamment suspendre tout document — licence ou permis — jusqu’au paiement intégral de l’amende ou inscrire le produit de l’amende impayée auprès des tribunaux civils. L’incarcération pour défaut de paiement est une option qui comporte d’importantes restrictions. Le défaut de paiement d’une amende n’est pas punissable par l’incarcération à moins que les autres mesures prévues par la loi — notamment la suspension des licences et les recours civils — ne soient pas justifiées dans les circonstances (al. 734.7(1)(b)), ou que le délinquant ait, sans excuse raisonnable, refusé de payer l’amende ou de s’en acquitter en application de l’art. 736 (al. 734.7(1)(b)). Lorsque l’excuse raisonnable invoquée par le délinquant pour justifier son défaut de payer l’amende est son indigence, le tribunal ne peut pas l’incarcérer en application de l’al. 734.7(1)(b).

63 Si on acceptait que la pauvreté permette à elle seule au tribunal qui envisage l’incarcération de conclure que les méthodes de recouvrement autres que l’emprisonnement ne sont « pas justifiée[s] », la condition exprimée par les termes « sans excuse raisonnable » à l’al. 734.7(1)b) n’accorderait aucune protection aux personnes pauvres. Or, c’est le recours trop fréquent à l’incarcération des personnes pauvres pour amendes impayées qui a motivé en grande partie les réformes apportées en 1996 au régime de détermination de la peine.

64 L’emploi du mot « refu[s] » à l’al. 734.7(1)b) indique que le législateur s’attendait à ce que la situation particulière du délinquant lui permette d’exercer un choix. En l’espèce, du moins à la date de la détermination de la peine, l’intimé n’avait nullement le choix.

Un juge peut prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine

R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206

[44] Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l’esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

jeudi 19 août 2010

Les conditions de retrait d’un plaidoyer de culpabilité

Nersysyan c. R., 2005 QCCA 606 (CanLII)

Lien vers la décision[6] Le requérant a le fardeau de démontrer les motifs sérieux et valables justifiant la radiation de son plaidoyer de culpabilité. Le facteur primordial à considérer est le déni de justice. Dans ce contexte, il incombe à l’appelant d’établir qu’il avait des moyens de défense valables et non futiles à présenter. Il ne suffit pas de spéculer sur l’issue du procès qui a été évité. Or, dans le présent cas, l’appelant se contente d’une dénégation générale des actes qu’on lui reproche;

[7] Par ailleurs, l’insatisfaction subséquente devant la « manière dont les choses ont tourné » ou devant la peine infligée ne suffit pas pour obtenir la radiation du plaidoyer lorsque celui-ci demeure un geste éclairé et volontaire quant à l’ensemble des circonstances entourant les infractions reprochées et le procès lui-même;

[9] La Cour fait siens les commentaires de la Cour d’appel de l’Alberta dans R. c. Hunt :


18. It is clear that the consequence of deportation was not anticipated by anyone at the time the guilty plea was accepted and a conviction entered.

19. We are of the view that this «consequence» does not invalidate the guilty plea nor, in the circumstances of this case, result in a miscarriage of justice. We are mindful of this Court’s decision R. c. Slobodan (1993), 135 A.R. 181 (C.A.) where it was held that an unanticipated mandatory five year licence suspension, in addition to the sentence imposed for dangerous driving causing bodily harm, namely a fine or $2,000.00 and a one year driving prohibition, did not «translate into a legal consequence» which entitled the appellant to change her guilty plea.

20. Although leave to reconsider the correctness of Slobodan was granted to the appellant, we do not find it necessary to decide that issue in order to dispose of this case.

21. We decide, that where there has been an unequivocal free and voluntary admission of the facts constituting the offence, not disputed on appeal, that an unexpected legal consequence such as occurred here is not such as to allow the withdrawal of the plea of guilty. In R. c. Hoang 2003 ABCA 251 (CanLII), [2003] A.J. No. 1555, 2003 ABCA 251, this Court stated at paragraph 36 that:

The requirement that the accused understand the nature and consequences of a guilty plea is not a requirement to canvass every conceivable consequence which may result of may be forgone. Such a requirement be a practical impossibility.

L'état du droit sur les requêtes en retrait du plaidoyer de culpabilité

Bergeron c. R., 2005 QCCA 266 (CanLII)

[2] Suivant l’article 606(1.1) du Code criminel et l’interprétation qui en a été donnée par la Cour suprême dans les affaires R. c. Lyons, 1987 CanLII 25 (C.S.C.), [1987] 2 R.C.S. 309., R. c. Taillefer et R. c. Duguay 2003 CSC 70 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 307., un plaidoyer de culpabilité, pour être valide, doit être volontaire, non équivoque et donné en toute connaissance de cause. Le juge doit être convaincu de l’existence de ces caractéristiques.

[3] De plus, le prévenu doit bien saisir la nature de l’infraction qui lui est reprochée, être conscient qu’il en admet les éléments essentiels et comprendre les conséquences de sa décision (Béliveau P. et Vauclair M., Traité général de preuve et de procédures pénales, p. 697).

*** La Cour d'appel a réitéré ce principe dans l'arrêt Partridge c. R., 2010 QCCA 354 (CanLII) ***

mercredi 18 août 2010

L’actus reus et la mens rea de l’infraction de trafic

R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565

25 (...) Leur mobile n’a aucune importance parce que, bien que le mobile puisse être pertinent à certaines fins, c’est l’intention, et non le mobile, qui constitue l’élément d’une infraction de mens rea complète: voir Lewis c. La Reine, 1979 CanLII 19 (C.S.C.), [1979] 2 R.C.S. 821, à la p. 831. L’actus reus de l’infraction de trafic consiste à faire une offre, et s’il s’accompagne de l’intention de le faire, la mens rea requise est établie: voir R. c. Mancuso reflex, (1989), 51 C.C.C. (3d) 380 (C.A. Qué.), à la p. 390, autorisation d’appel refusée, [1990] 2 R.C.S. viii. Il n’est pas nécessaire de prouver à la fois l’intention de faire l’offre de vente et l’intention de mener l’offre à terme: R. c. Mamchur, reflex, [1978] 4 W.W.R. 481 (C.A. Sask.). Voir également, p. ex., R. c. Sherman (1977), 36 C.C.C. (2d) 207 (C.A.C.‑B.), à la p. 208, confirmant une déclaration de culpabilité dans un cas où la preuve indiquait que l’accusé avait offert de vendre de l’héroïne à une personne qu’il savait être un agent d’infiltration en vue de le «rouler» et de ne pas réaliser la vente. L’arrêt Sherman a été suivi par la suite sur cette question dans Mancuso, précité, aux pp. 389 et 390, qui a rejeté l’argumentation de l’accusé selon laquelle il n’avait pas réellement l’intention de vendre des stupéfiants à un indicateur de police, mais qu’il espérait plutôt lui voler son argent.

Rien dans la loi n’oblige le juge de première instance à demander et à obtenir un rapport présentenciel

Nguyen c. R., 2010 QCCA 1053 (CanLII)

[9] Comme l’a déjà indiqué la Cour, « rien dans la loi n’oblige le juge de première instance à demander et à obtenir un rapport présentenciel ». Il était donc loisible au Juge d’accepter ou de refuser la demande de l’Appelante. Son refus ne saurait constituer en soi une erreur de droit, comme le prétend l’Appelante. La question est plutôt de déterminer si le Juge, dans l’exercice de sa discrétion, aurait commis une erreur révisable.

[12] Certes il n’est pas facile de sonder les reins et les cœurs; ceux et celles qui en font profession et peuvent y consacrer le temps requis sont d’une aide précieuse pour les tribunaux, mais ceux-ci doivent faire des choix. Depuis l’étude ci-dessus citée, de 1981, l’expérience a montré que les rapports présentenciels sont plus indiqués dans certains cas que dans d’autres. Sans oublier que les ressources sont limitées et ont besoin de délai.

[13] Le Code criminel ne précise pas les critères qui doivent guider le juge à qui une demande de rapport présentenciel est adressée.

[15] L’Appelante réplique que l’article 721 C.cr. édicte qu’un rapport est possible « lorsque l’accusé plaide coupable » et encore, ajoute la disposition, « ou est reconnu coupable d’une infraction ».

[16] Le Juge a-t-il occulté cette dernière possibilité? Non. Son propos est plus nuancé. Il ne décrète pas une règle de refus si l’accusé plaide non coupable. Il exprime plutôt une règle d’expérience qu’à son avis l’exercice n’est pas « très utile » en pareil cas. C’est un avis partagé par d’autres juges qui oeuvrent quotidiennement en première ligne.

[17] Le Juge n’en fait pas état, mais ce n’est un secret pour personne que les agents de probation reçoivent de nombreuses demandes de rapport et que, dans les cas d’une personne en liberté comme l’Appelante, un délai de trois à quatre mois est fréquent, parfois c’est même plus. En jaugeant l’utilité du rapport demandé, nul doute que le Juge avait aussi à l’esprit ces contraintes.

[20] Il est vrai que le dossier contient peu d’information sur l’Appelante, sur les motifs de son implication et l’étendue de sa responsabilité dans cette exploitation de cannabis, et, pour l’avenir, sur sa volonté de s’amender, sur le risque de récidive qu’elle représente et, de manière générale, sur son sens des responsabilités vis-à-vis de la société.

[21] On sait peu de choses de l’Appelante. Mais c’est à elle qu’il appartenait de faire connaître au Juge tous les faits pertinents, ou tout au moins tous les facteurs atténuants, avant le prononcé de la sentence.

[23] C’est à l’avocat de l’accusée trouvée coupable de faire état de tous les faits pertinents, des circonstances de l’affaire, de la situation personnelle de sa cliente, etc. En l’espèce il aurait pu élaborer sur la situation familiale de l’Appelante et le sort de ses enfants advenant son incarcération. La plupart du temps il suffit à l’avocat de présenter les faits sans qu’une preuve formelle soit requise.

mardi 17 août 2010

Mandats de perquisition — Entrée par la force et sans s’annoncer par l’escouade tactique de la police dans la résidence de l’accusé, sans être munis d’une copie du mandat de perquisition lors de leur entrée dans la résidence

R. c. Cornell, 2010 CSC 31 (CanLII)

La seule question en litige est celle de savoir si la présente perquisition, qui était autorisée par la loi, a été effectuée ou non de manière abusive. Sauf en cas d’urgence, les policiers doivent s’annoncer avant d’entrer de force dans une maison d’habitation. Normalement, ils doivent : (1) donner avis de leur présence en frappant ou en sonnant à la porte; (2) donner avis de leur autorité, en s’identifiant comme policiers chargés d’appliquer la loi; (3) donner avis du but de leur visite, en énonçant un motif légitime d’entrer. Même si le principe voulant que les policiers frappent à la porte et annonce leur présence n’est pas absolu, s’ils décident d’y déroger, les policiers doivent expliquer pourquoi ils jugent nécessaire de le faire. En cas de contestation, le ministère public doit produire des éléments de preuve propres à étayer la conclusion que les policiers avaient des motifs raisonnables de craindre pour leur sécurité ou pour celle des occupants de la maison ou de penser que des éléments de preuve risquaient de disparaître. Les policiers doivent pouvoir jouir d’une certaine latitude en ce qui concerne la manière dont ils décident de pénétrer dans un lieu et, pour être évaluer, leur décision doit être jugée en fonction de ce qu’ils savaient ou de ce qu’ils auraient raisonnablement dû savoir à l’époque. La juridiction d’appel qui procède au contrôle judiciaire doit faire preuve d’une grande retenue envers l’appréciation que le juge du procès a faite de la preuve et des conclusions de fait.

Le fait que les membres de l’escouade tactique n’avaient pas de copie du mandat sur eux lorsqu’ils sont entrés n’a pas rendu la perquisition abusive. Le par. 29(1) du Code criminel a pour objet de permettre à l’occupant des lieux visés par la perquisition d’être mis au courant des motifs de la perquisition, d’évaluer sa position sur le plan juridique et de savoir que la perquisition semble être autorisée, de sorte qu’il devienne inutile d’y résister par la force. On répond pleinement à ces objectifs lorsqu’on insiste pour dire que le mandat se trouve en la possession d’au moins une des personnes faisant partie de l’équipe chargée d’exécuter le mandat. Bien que je croie qu’il soit préférable qu’un des agents faisant partie du premier groupe à se présenter à la porte ait une copie du mandat sur lui, les policiers étaient munis du mandat parce que l’enquêteur principal chargé de la perquisition en avait une copie en sa possession et pouvait la produire sur‑le‑champ. En l’espèce, rien ne permet de penser que quelqu’un a demandé à voir le mandat.

lundi 16 août 2010

Les dossiers d’hôpitaux rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent

Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608

Les dossiers d’hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigés au jour le jour par quelqu’un qui a une connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve, comme preuve prima facie des faits qu’ils relatent. Cela ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l’exactitude de ces dossiers ou des écritures, si elle veut le faire. Dans cette affaire, si l’intimé avait voulu contester l’exactitude des notes des infirmières, ces dernières étaient présentes en Cour et disponibles pour témoigner à la demande de l’intimé.

vendredi 13 août 2010

Les principes concernant l’exception raisonnée à la règle du ouï-dire et son fondement succinctement repris par la Cour d’appel de Colombie‑Britannique

R. v. Post, 2007 BCCA 123 (CanLII)

[47] The Court restates much of what is now well settled law:

1. A hearsay statement is an out-of-court statement adduced to prove the truth of its contents, in the absence of a contemporaneous opportunity to cross-examine the declarant.

2. Hearsay evidence is presumptively inadmissible.

3. It is inadmissible because generally it is not possible to test the reliability of a hearsay statement.

4. A hearsay statement may be admitted for its truth if it is shown to be both necessary and reliable.

5. Its reliability must be sufficient to overcome the dangers arising from the difficulties of testing it.

6. The onus of establishing, on a balance of probability, both necessity and reliability is on the person who seeks to adduce the evidence.

7. The overarching principle is trial fairness which embraces not only the rights of the accused, but broader societal concerns including truth as the goal of the trial process.

8. There are two main ways of establishing reliability. The first is that because of the circumstances in which the statement was made, there is no real concern about the statement’s truth. This approach is embodied in traditional exceptions to the rule against hearsay such as dying declarations, spontaneous utterances, and statements against pecuniary interest.

9. The second way of establishing reliability is because the statement’s truth and accuracy can be sufficiently tested. The optimal means of testing reliability is to have the declarant state the evidence in court, under oath, and subject to contemporaneous cross-examination. In some cases where the optimal means are unavailable, it will still be possible to sufficiently test the truth and accuracy of the evidence because of the presence of adequate substitutes, including (a) an oath or its equivalent; (b) an opportunity to observe the statement being made (e.g. a video); and (c) the opportunity to cross-examine the declarant on his or her earlier statement.

10. Trial fairness requires consideration of factors beyond necessity and reliability. Even if those two factors are met, the trial judge has a discretion to exclude hearsay evidence where its probative value is outweighed by its prejudicial effect.

11. The trial judge must also be satisfied on a balance of probabilities that the statement was not the product of coercion of any form, whether involving threats, promises, excessively leading questions by the investigator or other person in a position of authority, or other forms of investigatory misconduct.

12. There is a distinction between threshold reliability (i.e. reliability sufficient to be admissible) which is a legal question for the judge; and ultimate reliability, which is a question for the trier of fact.

En matière de suggestions communes, il ressort de la jurisprudence que le juge doit suivre trois règles avant de pouvoir s'en écarter - Revue de la jurisprudence et de la doctrine par la Cour d'appel sur cette question

Bergeron c. R., 2010 QCCA 1205 (CanLII)

[18] En matière de suggestions communes, il ressort de la jurisprudence que le juge doit suivre trois règles avant de pouvoir s'en écarter :

i. Il doit s'assurer auprès de l'accusé que son plaidoyer de culpabilité est volontaire et sans équivoque;

ii. Il doit faire savoir aux avocats la réticence qu'il éprouve envers la suggestion soumise et permettre à ceux-ci d'y répondre;

iii. Il doit finalement être d'avis que la sentence suggérée est déraisonnable ou qu'elle déconsidérerait l'administration de la justice.

[19] En l'espèce, la juge de première instance a suivi les deux premières règles. Ce que l'appelant lui reproche, c'est d'avoir estimé que la suggestion commune, en ce qui concerne le fait de purger dans la collectivité la peine de prison de deux ans moins un jour, était déraisonnable.

[20] L'arrêt Verdi-Douglas nous donne un bon aperçu de l'importance des suggestions communes et des principes qui doivent guider les juges :

38. I think it important to emphasize that the joint submission in this case was the object of lengthy and detailed negotiations over a considerable period of time by experienced and conscientious counsel on both sides, with the participation of the police officers in charge of the investigation, and clearly contingent on a plea of guilty by the appellant.

[…]

42. Canadian appellate courts have expressed in different ways the standard for determining when trial judges may properly reject joint submissions on sentence accompanied by negotiated admissions of guilt.

43. Whatever the language used, the standard is meant to be an exacting one. Appellate courts, increasingly in recent years, have stated time and again that trial judges should not reject jointly proposed sentences unless they are "unreasonable", "contrary to the public interest", "unfit", or "would bring the administration of justice into disrepute".

[…]

51. In my view, a reasonable joint submission cannot be said to "bring the administration of justice into disrepute". An unreasonable joint submission, on the other hand, is surely "contrary to the public interest". Accordingly, though it is purposively framed in striking and evocative terms, I do not believe that the Ontario standard departs substantially from the test of reasonableness articulated by other courts, including our own. Their shared conceptual foundation is that the interests of justice are well served by the acceptance of a joint submission on sentence accompanied by a negotiated plea of guilty - provided, of course, that the sentence jointly proposed falls within the acceptable range and the plea is warranted by the facts admitted.

52. Moreover, I agree with the Martin Report, cited earlier, that the reasonableness of a sentence must necessarily be evaluated in the light of the evidence, submissions and reports placed on the record before the sentencing judge (subject, of course, to amplification of that record on appeal in accordance with the applicable statutory provisions and the governing case law). I believe as well that sentencing judges are bound to ensure, by putting the appropriate questions directly to the accused, that the negotiated guilty plea is voluntary and unambiguous. A full record in both respects will be essential to meaningful appellate review in those cases, fortunately rare, where an appeal is found to be warranted.

[21] Notre Cour considère également qu'il incombe aux avocats de démontrer le bien-fondé de leur suggestion:

[7] Il faut prendre en compte qu'il appartient aux avocats de fournir au juge suffisamment de détails permettant de justifier leur suggestion. En l'espèce les raisons données sont minimales et n'ont certainement pas convaincu le juge de se rallier à la suggestion.

[22] Finalement, dans l'arrêt Poulin c. R., il est noté l'importance des suggestions communes dans le processus judiciaire, ainsi que l'obligation du juge de prendre en considération l'expérience des avocats en présence et le temps qu'ils ont mis à négocier l'entente commune:

[39] Commentant l’état de la jurisprudence, Pierre Béliveau et Martin Vauclair écrivent dans Traité général de preuve et procédure pénales, 16e éd., Éd. Yvon Blais, 2009, à la page 782 :

1955. La jurisprudence récente s’est montrée de plus en plus exigeante à cet égard, allant jusqu’à une quasi-reconnaissance juridique de cette pratique. D’ailleurs, dans l’arrêt Cerasuolo, la Cour d’appel de l’Ontario a pris acte que la négociation de plaidoyer est une démarche qui amène l’accusé à renoncer à son droit à un procès par jury et à la présomption d’innocence. Le juge Finlayson a qualifié de louable cette initiative qui réduit la durée du processus judiciaire. La défense doit donc avoir l’assurance que le juge y donnera suite dans la plupart des cas. Il a précisé que cette approche n’interfère pas avec l’indépendance judiciaire si le juge explique qu’il suivra la recommandation commune si elle ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et qu’elle ne déconsidère pas l’administration de la justice. Dans l’arrêt Druken, la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador est allée jusqu’à reconnaître qu’il est normal que la peine retenue soit, tout en étant un minimum acceptable, plus clémente que celle normalement attribuée, afin qu’elle constitue une légitime incitation de plaidoyer de culpabilité de l’accusé.

[40] François Dadour dans De la détermination de la peine : principes et applications, Lexis Nexis, 2007, à la page 38, souligne l’importance de certains facteurs qui militent contre un rejet d’une suggestion commune :

Le fait que la suggestion commune soit présentée par des avocats d’expérience est également un facteur qui doit être pris en compte. Il en va de même quant au fait que les négociations entre les parties aient été longues et détaillées. Un facteur qui apparaît essentiel à la juste considération des suggestions communes de la part du juge d’instance est que les parties ont une connaissance plus exhaustive des faits et des circonstances de l’accusé que ne peut en avoir le juge

jeudi 12 août 2010

Il est interdit d'imposer une sentence plus sévère que de raison pour la simple raison que quelqu'un insiste pour avoir son procès

R. c. Raposo, 2003 CanLII 11473 (QC C.S.)

[11] Il ne faut pas crier au scandale parce que la poursuite cherche à obtenir des plaidoyers de culpabilité. L'outil de play bargaining est nécessaire à l'administration de la justice et si, tous les accusés plaidaient non coupables, le système serait bloqué au bout de quelques semaines. Donc, vu dans le cas qui nous occupe, soit les Bandidos ou les Hells, il y a eu une multitude d'accusés et d'accusations qui ont créé un engorgement des cours, il est normal, que les procureurs de la Couronne cherchent à obtenir des plaidoyers de culpabilité. C'est évident que lorsqu'un accusé plaide coupable, il peut s'attendre à une sentence moindre que s'il plaide non coupable parce que le plaidoyer de culpabilité comporte un aveu de remord, de regret et évite des coûts financiers et humains à la société, c'est souvent le premier pas d'une réhabilitation.

[12] Mais la ligne de démarcation est très mince. S'il est permis d'imposer une sentence moindre et mitigée à une personne qui plaide coupable et qui évite un procès, en même temps, il est interdit d'imposer une sentence plus sévère que de raison pour la simple raison que quelqu'un insiste pour avoir son procès.

[13] Donc, il est évident que la position de la Couronne, s'il y a procès, peut être différente de l'offre qui a été faite à monsieur et ceci peut se comprendre pour les motifs que je viens d'expliquer.

Quand la Cour supérieure peut intervenir dans les cas de révision de mise en liberté sous caution

R. c. Bouffard, 2003 CanLII 20074 (QC C.S.)

[14] À moins qu'elle n'entende de nouvelles preuves, la Cour supérieure ne peut substituer sa propre discrétion à celle du premier juge, sauf s'il en vient à la conclusion que ce dernier a excédé sa juridiction, fait une erreur de droit ou commis une erreur grave dans l'appréciation des faits.

[15] Dans l'affaire Perlini c. la Reine, l'Honorable juge Pierre Béliveau était d'avis que l'impossibilité de se rallier, en son âme et conscience, à la décision de première instance, même si elle n'est pas déraisonnable, constitue aussi un motif de révision.

[16] Au sujet du second motif de détention, le juge Antonio Lamer, autrefois à la Cour suprême du Canada, disait dans l'affaire Morales c. R.:

"La mise en liberté sous caution n'est pas refusée à toutes les personnes qui risquent de commettre une infraction ou de nuire à l'administration de la justice si elles sont mises en liberté. Elle n'est refusée que s'il y a une probabilité marquée que le prévenu commettra une infraction criminelle ou nuira à l'administration de la justice et seulement si cette probabilité marquée compromet la protection ou la sécurité du public".

mercredi 11 août 2010

Une violation de l'article 503 Ccr, à savoir que l'accusé doit conmparaître dans les 24 heures, n'entraîne pas nécessairement un arrêt des procédures

Ayotte c. R., 2009 QCCA 1975 (CanLII)

[19] Dans l'arrêt Regan, la Cour suprême souligne que la suspension des procédures constitue la forme de réparation qui présente le caractère le plus draconien. Il s'agit de l'« ultime réparation »; cette forme de réparation est réservée aux « cas les plus manifestes » d'abus de procédure judiciaire (paragr. 53).

[20] La suspension des procédures s'avère appropriée uniquement lorsque deux critères sont remplis : « (1) le préjudice causé par l'abus sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue » et « (2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice » (paragr. 54).

[21] La Cour rappelle ensuite l'importance capitale du premier critère, ajoutant que ce critère vise à la fois les cas qui touchent l'équité du procès et ceux, beaucoup moins nombreux, qui minent la justice fondamentale du système (paragr. 55).

[22] La Cour ajoute que, s'il subsiste un degré d'incertitude quant à savoir si l'abus est suffisamment grave pour justifier l'arrêt des procédures, le juge appliquera un troisième critère, celui qui consiste à mettre en balance les intérêts que servirait la suspension des procédures et l'intérêt qui représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond (paragr. 57).

[24] Le juge constate tout d'abord que le fait que l'appelant a été détenu illégalement et arbitrairement pendant quelques heures n'aura pas d'impact sur l'équité de son procès; il conclut ensuite au caractère ponctuel et conjoncturel de la violation et donc, à l'absence d'une atteinte à l'intégrité du système de justice.

[25] En somme, selon le juge de première instance, les droits de l'appelant aux termes du paragraphe 503(1) C.cr. ont été violés en raison de la négligence et du laxisme – mais sans mauvaise foi de leur part – des policiers et des agents des Services correctionnels qui en avaient la charge à compter de son arrestation; la violation ne présente donc pas le caractère systémique qui aurait permis de conclure à l'érosion du système de justice et donc, à la nécessité d'un message clair à l'intention de ceux et celles qui en ont la responsabilité.

[27] Ceci étant, je reconnais que, sur le plan de la logique formelle, l'appelant a raison de dire que l'analyse visant à déterminer si l'arrêt des procédures constitue la réparation appropriée doit commencer par un examen du premier critère. En effet, il est plus logique d'identifier la nature du préjudice (individuel ou collectif) et d'en bien mesurer l'ampleur et les conséquences avant de décider si une autre réparation que l'arrêt des procédures peut faire disparaître « ce préjudice ». L'erreur du premier juge, si tant est qu'il s'agisse d'une erreur, est ici sans conséquence. Il me semble clair qu'il s'est posé les bonnes questions, et dans le bon ordre, dans son examen de la réparation appropriée et que la façon choisie par lui pour exprimer par la suite son raisonnement, oralement, est sans conséquence (R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 5, paragr. 7).

[28] L'argument voulant qu'en l'absence de toute explication justifiant la violation du droit de l'appelant de comparaître « sans retard injustifié » après son arrestation ou, à tout le moins, dans un délai maximal de 24 heures, le juge de première instance ne pouvait conclure que la situation à l'origine de la violation était ponctuelle, ne peut être retenu.

[29] D'une part, il appartient à l'accusé de faire la preuve que la violation dont il est victime touche à l'équité de son procès ou mine l'intégrité du système de justice.

[30] D'autre part, l'argument concerne l'appréciation de la preuve; or, après avoir entendu les policiers témoigner, le juge de première instance a conclu que la situation de l'appelant était ponctuelle et conjoncturelle, attribuable certes à leur laxisme et à leur négligence, mais sans mauvaise foi de leur part.

[31] L'argument voulant que la détention prolongée de l'appelant ait porté atteinte à l'équité des procédures menées contre lui en raison de la déclaration incriminante qu'il a alors faite ne peut pas être retenu.

[32] D'une part, l'argument est nouveau, il n'a jamais été soulevé devant le juge de première instance.

[33] D'autre part, la déclaration a été produite de consentement au procès (et de nouveau, quelques mois plus tard, lors de l'audience relative à la détermination de la peine), l'appelant en reconnaissant chaque fois le caractère libre et volontaire.

[34] Enfin, selon les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Regan, la décision d'arrêter les procédures ou de les laisser se poursuivre en dépit de la violation de l'un ou l'autre des droits constitutionnels de l'accusé relève du pouvoir discrétionnaire du juge au procès et ne devrait être modifiée que si elle est fondée sur des considérations erronées en droit ou si elle est erronée au point de créer une injustice (paragr. 117-118). Ce n'est pas le cas ici.

*** Voir au même effet Malhi c. R., 2006 QCCA 338 (CanLII) ***

Dans le cadre de la détermination de la peine, l'absence de remords est un élément neutre qui ne doit aucunement entraîner une peine plus sévère que celle qui serait autrement appropriée

Gavin c. R., 2009 QCCA 1 (CanLII)

[25] S'il est reconnu que les remords constituent un facteur atténuant qui, tout comme le plaidoyer de culpabilité, peut justifier une peine plus clémente, l'absence de remords est une question plus épineuse. L'auteur François Dadour écrit, dans De la détermination de la peine : principes et applications, LexisNexis Canada Inc., Markham, 2007,à la page 102 :

Si les remords et les regrets du contrevenant sont clairement un facteur atténuant, cela ne signifiera pas nécessairement que leur absence sera un facteur aggravant. Bien que l'on retrouve, dans la jurisprudence, diverses conclusions à l'effet que le contrevenant n'affiche aucun remords, il demeure généralement reconnu que l'absence de remords simpliciter n'est pas nécessairement un facteur aggravant.

[26] La plupart des auteurs et la jurisprudence majoritaire de cette Cour considèrent que l'absence de remords ne peut constituer, en soi, un facteur aggravant pouvant justifier une peine plus sévère. L'on peut consulter à cet égard, entre autres,(références omises). D'autres cours d'appel ont exprimé un avis similaire : (références omises). Il faut toutefois souligner que d'autres arrêts concluent différemment : (références omises).

[27] En réalité, quoique l'absence de remords puisse être retenue contre un accusé qui recherche une peine plus clémente ou une peine avec sursis : R. c. R.N.S., 2000 CSC 7 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 149; R. c. Deragon, REJB 2003-48226 (C.A.); R. c. Beaudry, précité, notamment parce que cela peut démontrer qu'il y a peu d'espoir de réhabilitation et donc laisser subsister un risque de récidive : R. c. Maheu, 1997 CanLII 10356 (QC C.A.), [1997] R.J.Q. 410 (C.A.), un tribunal ne peut reprocher à un accusé d'avoir exigé la tenue d'un procès ou de continuer à nier sa culpabilité, et encore moins lorsqu'un appel du verdict a été interjeté : (références omises).

[28] Il faut également mentionner que la manière de conduire la défense n'est généralement pas pertinente à la détermination de la peine et ne peut constituer une circonstance aggravante pouvant autoriser une peine plus sévère que celle qui est autrement appropriée, qu'il s'agisse de menaces proférées à des témoins de la poursuite [(références omises).

[29] Force est donc de conclure que, même si certains arrêts retiennent l'absence de remords à titre de circonstance aggravante, la tendance majoritaire consiste à la considérer comme un élément neutre qui ne doit aucunement entraîner une peine plus sévère que celle qui serait autrement appropriée. De même, la mauvaise conduite de la défense ne saurait justifier une peine plus sévère puisque cela consisterait à punir l'accusé pour une infraction dont il n'a pas été reconnu coupable. Comme l'écrit le juge Rowles, dans R. v. Zeek, précité :

[22] It is well settled that the misconduct of an accused at trial cannot be treated as an aggravating factor attracting an additional sentence. That follows from the basic proposition that an accused person should not be sentenced for a crime with which he has not been charged and convicted.

[30] C'est également l'opinion exprimée par le juge Beauregard dans R. c. Beauchamp, précité :

[97] […] En effet, même si le juge jouit d'un pouvoir discrétionnaire pour compter en double le temps de la détention provisoire, je suis d'avis que le moyen utilisé par le juge fait que, comme en l'espèce, l'accusé est puni, non pas pour le crime qu'il a commis, mais pour le crime qu'il a commis et sa conduite abusive lors de l'instruction. Désirant contester en appel la conclusion du juge selon laquelle il se serait mal comporté lors de l'instruction, l'accusé ne pourrait exercer son droit d'appel qu'à l'intérieur d'un pourvoi contre la sentence. Cette façon de faire compliquerait la situation tant pour l'accusé que pour la Cour d'appel, laquelle, à l'intérieur d'un pourvoi contre une sentence, serait appelée à déterminer la «culpabilité» de la conduite répréhensible alléguée par le juge.

Les facteurs atténuants ne peuvent atténuer l'importance et la gravité des gestes posés. Il faut se demander s'ils peuvent atténuer la peine

Roy c. R., 2010 QCCA 16 (CanLII)

[49] Par conséquent, selon le juge, les facteurs atténuants, qu'il a pourtant retenus, n'atténuent aucunement la gravité des gestes et, malgré leur nombre et leur importance, ils ne font pas le poids face à la violence exercée par l'appelant. Ce faisant, le juge de première instance punit uniquement le crime en ne tenant pas compte des caractéristiques de l'appelant et commet, à mon avis, les erreurs suivantes : une erreur de droit, en n'individualisant pas la peine (art. 718.1 et 718.2 (a) C.cr.), et une erreur de principe en omettant de considérer véritablement un facteur pertinent (les facteurs atténuants) et en insistant indûment sur d'autres facteurs, c'est-à-dire les circonstances de la perpétration de l'infraction et les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[52] Il est vrai que ces facteurs atténuants ne peuvent atténuer l'importance et la gravité des gestes posés : ce qui est fait est fait. Mais là n'est pas la question. Il faut plutôt se demander s'ils peuvent atténuer la peine. Implicitement, le juge répond non. J'estime qu'il devait davantage en tenir compte et leur accorder un poids plus élevé, sinon cela équivaudrait, ici, à nier leur existence. (...)

mardi 10 août 2010

Le moment de l'infraction est-il un élément essentiel de l'infraction devant être spécifié dans le chef d'accusation?

R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 30

À mon avis, les conclusions suivantes ressortent de la jurisprudence et de la doctrine:

1.Bien que le moment de l'infraction doive être précisé dans une dénonciation pour donner à un accusé des renseignements raisonnables sur les accusations portées contre lui et lui permettre de présenter une défense pleine et entière et d'avoir un procès équitable, le moment exact n'a pas à être précisé. Toutefois, les circonstances individuelles d'une affaire donnée peuvent rendre nécessaire une plus grande précision quant au moment de l'infraction, par exemple, s'il n'y a peu d'autres informations factuelles qui permettraient d'identifier l'acte reproché.

2.Si le moment précisé dans la dénonciation ne correspond pas à la preuve et que la date de l'infraction ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction ou un élément crucial pour la défense, la divergence n'est pas importante et la dénonciation ne doit pas être annulée.

3.Si la preuve est contradictoire quant au moment de l'infraction ou que la date de l'infraction ne peut être établie avec précision, il n'est pas nécessaire d'annuler la dénonciation et une déclaration de culpabilité peut être prononcée, pourvu que le moment de l'infraction ne soit pas un élément essentiel de l'infraction ou un élément crucial pour la défense.

4.Si le moment de l'infraction ne peut être déterminé et qu'il constitue un élément essentiel de l'infraction ou un élément crucial pour la défense, une déclaration de culpabilité ne peut être maintenue.

lundi 9 août 2010

Exemple jurisprudentiel où la présomption de garde et contrôle prévue à l'article 258 (1)a) a été réfutée par l'accusé qui a démontré par prépondérance de preuve son absence d'intention de mettre le véhicule en mouvement

R. c. Farcy, 2010 QCCQ 5764 (CanLII)

[13] Après avoir observé l'accusée lors de son témoignage, le Tribunal estime que cette dernière s'est déchargée de son fardeau de repousser par la balance des probabilités la présomption prévue à l'article 258 (1)a) du Code criminel. En effet, le Tribunal croit l'accusée lorsqu'elle affirme qu'elle n'avait pas l'intention de conduire le véhicule à moteur puisqu'elle se trouvait chez elle et qu'elle ne connaît personne à Victoriaville. D'ailleurs, cette preuve n'est pas contredite.

[14] Quant à l'élément de garde ou de contrôle d'un véhicule à moteur, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas dans la présente cause de risque réaliste que l'accusée mette le véhicule en mouvement de telle sorte qu'il puisse devenir dangereux. En ce sens, le Tribunal conclut que sa défense soulève un doute raisonnable.

[15] Dans l'arrêt Olivier, la Cour d'appel dit ceci:

« Même si, en toute théorie, l'intimé aurait pu, avant de s'endormir ou en se réveillant, décider plus ou moins consciemment de faire rouler la voiture, le juge Caron pouvait, sans commettre une erreur de droit, conclure qu'en réalité, dans l'espèce en cause, « il n'y avait aucun risque que l'intimé mette la voiture en marche ». La proposition de l'appelante suivant laquelle le fait pour un conducteur d'être assis derrière le volant d'une voiture, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que ce conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolue: dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c'est le cas, mais, devant un jeu de circonstances donné, le tribunal pourra, sans errer en droit, conclure que ce n'est pas le cas. »

[16] Plusieurs décisions comportant des faits similaires à ceux que l'on retrouve en l'espèce ont été rendues postérieurement à cet arrêt de la Cour d'appel. Dans l'ensemble, ces autorités reconnaissent la nécessité pour la poursuite de démontrer un risque réaliste que le véhicule soit mis en mouvement de façon à constituer un danger pour le public et non un risque purement théorique.

[17] Ainsi, dans l'arrêt Decker, l'accusé avait l'habitude de garer sa voiture chez un ami, de se rendre en taxi au centre-ville de St-John puis de revenir en taxi passer la nuit chez ce même ami pour finalement retourner chez lui le lendemain. La nuit en question, au retour de sa sortie au centre-ville de St-John, son ami est absent de telle sorte qu'il ne peut entrer dans sa résidence. Il démarre le moteur de sa voiture avec un démarreur à distance sachant que celui-ci fonctionnera environ quinze minutes, met les clés dans le dispositif d'allumage sans tourner celle-ci à la position marche, met le frein à main et tente de joindre son ami. Après trois appels infructueux, il se couche sur le siège avant et s'endort. Il est en état d'ébriété avancé. Les policiers le trouvent ainsi dans sa voiture, le moteur étant toujours en marche.

[18] La Cour d'appel de Terre-Neuve a conclu que l'accusé n'avait pas l'intention de conduire le véhicule et qu'il n'y avait aucun risque que celui-ci soit mis en mouvement. La permission d'en appeler de cette décision fut refusée par la Cour suprême.

[19] Dans l'arrêt Marcotte, l'accusé revient chez lui alors qu'il est en état d'ébriété. Sa conjointe lui intime l'ordre, comme elle l'avait déjà fait dans le passé, d'aller dormir dans son automobile pour retrouver sa sobriété et ensuite retourner à son domicile. L'accusé se couche sur la banquette avant et quelque temps après, il fait démarrer son véhicule pour ne pas avoir froid. La Cour supérieure a prononcé un acquittement annulant ainsi le verdict de culpabilité prononcé en première instance.

[20] Au paragraphe 16, le juge Béliveau dit ceci :

« En fait, si on devait conclure que l'appelant avait la garde et le contrôle de son véhicule dans la présente affaire, cela impliquerait qu'il en serait ainsi à toutes les fois qu'un accusé est sur la banquette avant d'une automobile et qu'il en a allumé le contact, sans examiner davantage les circonstances. Cela serait contraire à l'enseignement de notre Cour d'appel. »

[21] Dans la décision R c. Beaupré, l'accusée gare en pleine nuit son véhicule non loin d'un centre de thérapie dans le but d'y être admise en cure fermée le lendemain matin. Elle consomme des boissons alcooliques puis s'endort au volant de sa voiture. Les clés sont dans le dispositif d'allumage. C'est dans cette position que les policiers la trouvent quelques heures plus tard. Après avoir constaté que l'accusée avait l'intention bien arrêtée d'être admise le lendemain en thérapie, le tribunal a conclu qu'elle avait repoussé la présomption prévue à l'article 258(1)a) et que la poursuite ne s'était pas déchargée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable qu'elle avait la garde ou le contrôle du véhicule à moteur.

[22] Le Tribunal estime que l’attitude de l'accusée de même que l'intervention des policiers durant la soirée démontrent que cette dernière s’est servie de son automobile dans le but de se réfugier puisqu'elle avait été expulsée de sa résidence et que si le moteur était en marche, c'est qu’elle voulait se réchauffer. Il n'y avait aucun risque qu'elle mette le véhicule en mouvement. Dans les circonstances, la situation n'était pas susceptible de devenir dangereuse.

[23] De plus, il faut rappeler que l'accusée n'a pas conduit sa voiture au préalable, ce qui aurait pu évidemment démontrer un élément de contrôle ou une intention quelconque de mettre éventuellement le véhicule en mouvement.

[24] Également, l'accusée, à la différence de plusieurs décisions rendues en pareille matière, était chez elle. Elle ne pouvait aller nulle part ailleurs. Sa version selon laquelle elle ne projetait pas de partir pour Drummondville en pleine nuit est crédible. Du reste, s'il faut reconnaître qu'il y avait un risque qu'elle change d'idée à ce sujet, celui-ci est très hypothétique.

[25] Par surcroît, pour mettre le véhicule en mouvement, l'accusée devait désengager le frein à main et réussir à sortir de l'abri d'auto sans être vue par Labonté dont elle se cachait. Il n'est pas contredit qu'elle avait des raisons de le craindre ce soir-là compte tenu de la violence dont elle a été victime par le passé.

[26] Enfin, si l'accusée avait voulu quitter les lieux avec la voiture, elle l'aurait sûrement fait avant de s'endormir. De toute évidence, elle ne savait pas que Labonté l'avait vue et encore moins que ce dernier avait contacté les policiers. Elle se croyait en sécurité dans sa voiture. Elle ne représentait pas un danger pour le public.

[27] Conséquemment, le Tribunal estime que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusée.