mercredi 9 février 2011

Exposé des principes applicables sur le crime d'assistance au suicide

R. c. Dufour, 2010 QCCA 2413 (CanLII)

[32] Cela dit, les précédents portant sur l'article 241 C.cr. sont peu nombreux. J'en note deux qui me paraissent dignes de mention. Ils convergent vers la conclusion que le crime d'assistance au suicide en est un d'intention spécifique.

[33] Dans R c. Loomes, la Cour d'appel de l'Ontario avait à décider de l'appel interjeté contre un verdict de culpabilité prononcé par un jury à l'égard de deux chefs d'accusation, l'un d'assistance au suicide, comme en l'espèce, et le second d'usage dangereux d'une arme à feu.

[34] En ce qui concerne le premier chef, l'accusé opposait une défense d'ivresse. L'arrêt fait voir que la Cour paraît considérer que pareille défense est ouverte :

4 The principal defence which arose on the evidence was the issue of drunkenness. The defence was that the accused, by reason of his heavy drinking, did not believe that his wife intended to commit suicide, that she was bluffing, and that he did not intend to assist her in committing suicide.

5 This defence, in our opinion, was never clearly put to the jury by the learned trial judge. In his charge to the jury, the trial judge appears to have instructed the jury that the principal issue which they were called upon to decide and which would determine the guilt or innocence of the accused was whether the wife of the accused intended in fact to commit suicide.

6 With respect, he erred in so doing. The defence in this case was not dependent upon the determination of whether the wife intended to commit suicide but rather whether the accused believed that she intended to commit suicide.

7 In dealing with the issue of drunkenness as it related to the charge of aiding the wife of the accused to commit suicide, the trial judge instructed the jury as follows:

" The definition of drunkenness is that you have no capacity at all, and I tell you that is the law in drunkenness; that you cannot form the capacity, the intent, form the intent; you don't have that capacity due to alcohol, so much alcohol that you cannot form the intent." (emphasis added)

8 We are of the opinion that this instruction to the jury was a misdirection. At no place in his address to the jury did the learned trial judge clearly instruct the jury as to the intent which was requisite to constitute the offence, nor did he relate the evidence of drinking to that intent. We are also of the opinion that he erred in failing to instruct the jury as to the burden of proof on the issue of drunkenness, having regard to the evidence of drinking which was before them.

[35] Or, depuis l'arrêt R. c. Beard en 1920, il est acquis qu'une défense de cette nature n'est recevable que dans le cas d'infractions d'intention spécifique. Le juge McIntire le rappelle d'ailleurs clairement dans R. c. Bernard :

63 The present law relating to the drunkenness defence has developed in this Court from the application of principles set out in Director of Public Prosecutions v. Beard, [1920] A.C. 479 (H.L.), discussed and adapted in other United Kingdom cases, including Attorney General for Northern Ireland v. Gallagher, [1961] 3 All E.R. 299 (H.L.), Bratty v. Attorney General for Northern Ireland, [1961] 3 All E.R. 523 (H.L.), and Director of Public Prosecutions v. Majewski, supra. In this Court, the matter has been dealt with in R. v. George, supra, and other cases, but particularly in Leary v. The Queen, supra, where Pigeon J., speaking for the majority of the Court, said, at p. 57, that rape is a crime of general intention as distinguished from specific intention, a crime therefore "in which the defence of drunkenness can have no application". This may be said to have confirmed the law as it stands in Canada on this question and the appellant's principal attack in this Court is upon that decision. It is not necessary for the purposes of this judgment to review in detail the authorities in this Court on the question. It will be sufficient to summarize their effect in the following terms. Drunkenness in a general sense is not a true defence to a criminal act. Where, however, in a case which involves a crime of specific intent, the accused is so affected by intoxication that he lacks the capacity to form the specific intent required to commit the crime charged it may apply. The defence, however, has no application in offences of general intent.

[36] Le second arrêt est celui prononcé par la Cour suprême dans Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général).

[37] Expliquant les distinctions à faire entre les soins palliatifs, d'une part, et l'aide au suicide, d'autre part, le juge Sopinka, au nom de la majorité, s'exprime ainsi :

172 The fact that doctors may deliver palliative care to terminally ill patients without fear of sanction, it is argued, attenuates to an even greater degree any legitimate distinction which can be drawn between assisted suicide and what are currently acceptable forms of medical treatment. The administration of drugs designed for pain control in dosages which the physician knows will hasten death constitutes active contribution to death by any standard. However, the distinction drawn here is one based upon intention — in the case of palliative care the intention is to ease pain, which has the effect of hastening death, while in the case of assisted suicide, the intention is undeniably to cause death. The Law Reform Commission, although it recommended the continued criminal prohibition of both euthanasia and assisted suicide, stated, at p. 70 of the Working Paper, that a doctor should never refuse palliative care to a terminally ill person only because it may hasten death. In my view, distinctions based upon intent are important, and in fact form the basis of our criminal law. While factually the distinction may, at times, be difficult to draw, legally it is clear. The fact that in some cases, the third party will, under the guise of palliative care, commit euthanasia or assist in suicide and go unsanctioned due to the difficulty of proof cannot be said to render the existence of the prohibition fundamentally unjust.

[38] La teneur de ces propos me paraît inconciliable avec la proposition du ministère public selon laquelle le crime d'assistance au suicide en serait un d'intention générale.

[39] Je conclus donc à la nécessité pour la poursuite d'établir l'intention coupable pour prétendre à un verdict de culpabilité dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'article 241 C.cr.

[40] La défense offerte visait précisément à combattre cet élément d'intention coupable en faisant valoir que Stéphan Dufour n'avait jamais voulu aider Chantal à se suicider. D'une part, en raison de son handicap intellectuel, il n'avait pu se soustraire à la pression morale qui lui commandait de poser un geste susceptible de servir à la réalisation du suicide. D'autre part, parce qu'il aimait profondément son oncle, il souhaitait que le dessein de mettre fin à ses jours ne se réalise jamais et il pressait Chantal de ne pas en faire usage.

[41] Dans R. c. Leblanc, notre cour a reconnu la pertinence en défense d'une preuve de désordre mental dans le cas d'accusation de crimes nécessitant l'existence d'une intention spécifique :

Depuis plus de vingt ans, une jurisprudence constante a consacré le principe que la preuve d'une maladie mentale qui ne satisfait pas aux critères du paragraphe 2 de l'article 16 C.Cr. peut néanmoins justifier un verdict réduit d'homicide involontaire coupable à une accusation de meurtre. Ce sont les arrêts : (références omises)

[…]

Essentiellement, l'on peut retenir de ces arrêts qu'en matière de meurtre, la preuve d'une anomalie mentale qui ne correspond pas à la définition légale de l'article 16 peut cependant permettre de conclure que l'intention spécifique de tuer est néanmoins affectée, ce qui permettrait de réduire l'accusation à celle d'homicide involontaire coupable.

D'ailleurs, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt MacDonald, rendu en 1977, a reconnu la pertinence d'une preuve médicale non pas pour établir la défense d'aliénation mentale mais uniquement pour nier l'intention spécifique.

[…]

De l'ensemble des arrêts que j'ai cités, se dégage donc la conclusion que la condition mentale du sujet ne se soulève pas uniquement dans le cas d'une défense d'aliénation mentale. La question de la capacité de former l'intention criminelle (pertinente à la défense de l'aliénation mentale) se distingue de la question de l'existence même de l'intention criminelle qui demeure toujours en litige.

[42] Elle a réaffirmé cette position dans Laflamme c. R.:

Il s'agissait d'une défense fondée sur l'inexistence de l'intention criminelle. Dans l'état actuel de la jurisprudence, il paraît admis que dans le cas des infractions comportant une intention spécifique, la preuve qu'une personne est affectée d'un désordre mental qui n'a pas le caractère de gravité pouvant donner ouverture à une défense d'aliénation mentale peut néanmoins permettre une atténuation de la responsabilité pénale dans la mesure où cette maladie empêche la formation de l'intention spécifique requise.

[43] En marge de la portée de ces arrêts, je précise que le crime d'assistance au suicide, à la différence du meurtre, ne comporte pas d'infraction incluse ne requérant qu'une intention générale. Ainsi, dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'article 241 C.cr., une absence de mens rea emporte donc un verdict d'acquittement et non une simple atténuation de responsabilité pénale.

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