jeudi 28 avril 2011

Les éléments constitutifs de l'infraction grave de vivre des produits de la prostitution d’une personne âgée de moins de dix-huit ans et la revue du droit applicable

Pointejour-Salomon c. R., 2011 QCCA 771 (CanLII)

[51] Cette infraction est punissable d'un emprisonnement minimal de cinq ans si les éléments suivants sont établis :

- L'accusé vit entièrement ou en partie des produits de la prostitution d'une autre personne;

- Cette personne a moins de dix-huit ans;

- L'accusé aide, encourage ou force cette personne à s'adonner ou à se livrer à la prostitution avec une personne en particulier ou d'une manière générale, ou lui conseille de le faire aux fins de profit;

- Il use de violence envers cette personne, l'intimide ou la contraint, ou tente ou menace de le faire;

- Il a l'intention et la connaissance requises par les différents éléments constitutifs de l'infraction.

[53] Dans R. v. Grilo, la juge Arbour (alors juge à la Cour d'appel de l'Ontario) analyse l’objet de l’al. 212(1)j) C.cr. et ses éléments essentiels, notamment l'élément d'exploitation ou de parasitisme. Elle écrit ce qui suit:

The parasitic aspect of the relationship contains, in my view, an element of exploitation which is essential to the concept of living on the avails of prostitution. For example, when a prostitute financially supports a disabled parent or a dependent child, she clearly provides an unreciprocated benefit to the recipient. However, in light of her legal or moral obligations towards her parent or child, the recipient does not commit an offence by accepting that support. The prostitute does not give money to the dependent parent or child because she is a prostitute but because, like everybody else, she has personal needs and obligations. The true parasite whom s. 212(1)(j) seeks to punish is someone the prostitute is not otherwise legally or morally obliged to support. Being a prostitute is not an offence, nor is marrying or living with a prostitute. A person may choose to marry or live with a prostitute without incurring criminal responsibility as a result of the financial benefits likely to be derived from the pooling of resources and the sharing of expenses or other benefits which would normally accrue to all persons in similar situations.

Prostitutes are under no special restrictions as to the disposition they may wish to make of their income. A woman may agree to be supported financially by a man, in whole or in part, and vice versa. That option becomes unavailable, however, if the provider is a prostitute and the relationship is parasitic in nature. This, in my respectful opinion, is the only extent to which Parliament has interfered with the disposition of the earnings of a prostitute.

The true scope of s. 212(1)(j) is thus not completely divorced from its original link with vagrancy. Properly understood in that fashion, s. 212(1)(j) is also more easily distinguishable from s. 212(1)(h), the classic pimping section, which, in essence, prohibits controlling for gain. Living on the avails is directed at the idle parasite who reaps the benefits of prostitution without any legal or moral claim to support from the person who happens to be a prostitute.

[54] Dans R. c. Downey, le juge Cory adopte l’approche du juge Arbour et il décrit l'objectif visé par l'al. 212(1)j) C.cr. (auparavant l'al. 195(1)j) C.cr.) en ces termes:

On peut constater que la majorité des infractions mentionnées à l'art. 195 visent le proxénète qui entraîne ou encourage une personne à s'adonner à la prostitution ou la harcèle à cette fin. L'alinéa 195(1)j) vise particulièrement ceux qui ont un intérêt financier dans les revenus d'un prostitué. On estime à juste titre, je crois, que la cible visée par l'al. 195(1)j) est celui qui vit en parasite du revenu d'un prostitué, celui qu'on appelle communément et fort à propos le souteneur. Voir R. c. Grilo reflex, (1991), 64 C.C.C. (3d) 53 (C.A. Ont.); R. c. Celebrity Enterprises Ltd. (1977), 41 C.C.C. (2d) 540 (C.A.C.-B.); et Shaw c. Director of Public Prosecutions (1961), 45 Cr. App. R. 113 (H.L.).

[55] Finalement, même si elle était appelée à interpréter l’alinéa 212(1)h) C.cr., il est utile de référer à ce que cette Cour écrivait dans R. c. Perreault :

L'élément contrôle réfère à un comportement envahissant, à une emprise laissant peu de choix à la personne contrôlée. Ce comportement inclut par conséquent des actes de direction et d'influence. Il y a exercice de direction sur les mouvements d'une personne lorsque des règles ou des comportements sont imposés. L'exercice de direction n'exclut pas que la personne dirigée dispose de latitude ou d'une marge d'initiative. L'exercice d'influence inclut des comportements moins contraignants. Sera considérée comme une influence, toute action exercée sur une personne en vue d'aider, encourager ou forcer à s'adonner à la prostitution.

[56] Un autre élément essentiel de l'infraction mérite qu'on s'y attarde. La peine prévue au paragraphe 212(2.1) exige la preuve de l'utilisation par le souteneur de violence, d'intimidation ou de contrainte envers la personne âgée de moins de dix-huit ans.

[57] La question qui se pose est de savoir si la poursuite devait établir un lien entre une conduite de ce type et la prostitution par la plaignante. À mon avis, elle n'a pas un tel fardeau.

[58] Je partage l'opinion émise par les auteurs Manning, Mewett et Sankoff selon lesquels la preuve d'un lien entre une telle conduite et le fait pour la plaignante de se livrer à la prostitution n'est pas nécessaire en autant qu'il existe une certaine concomitance entre ces éléments :

One issue that has arisen under this section is whether the Crown must establish that the violence, intimidation or coercion related specifically to the young person's involvement in prostitution. There have been differing views expressed on this point, but the preferable approach is not to require such proof. First, the statute does not seem to require it. More importantly, with young women of a vulnerable age, it will often be impossible to dissociate the violence, coercion or intimidation generally from the parasitic relationship that exists. While there should be some concurrence between the two elements (e.g., a person who hits someone a year before the prostitution begins would not necessarily come within the subsection), there is no good reason to require proof of a specific purpose for the violence, coercion and intimidation.

[59] Cette interprétation est d'ailleurs compatible avec la description que donne le juge Lamer de la relation de dépendance entre le souteneur et la prostituée dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.) :

Très souvent, ce sont les jeunes que les souteneurs préfèrent parce qu'ils rapportent plus d'argent et sont plus faciles à contrôler. Cette situation conduit en fin de compte à une relation de dépendance qui est souvent renforcée quand le souteneur encourage la toxicomanie pour exercer un contrôle. Dans ce processus, le contrôle du souteneur sur la prostituée est tel que la violence physique et la brutalité ne sont pas rares. En résumé, la prostitution devient une activité qui avilit la dignité personnelle de la prostituée et permet aux souteneurs et aux clients d'exploiter la position désavantagée de la femme dans notre société.

[61] La preuve doit être évaluée dans cette perspective. À la lumière des commentaires du juge Cory dans Downey, il faut conclure que les éléments retenus par le juge d'instance démontrent tous les éléments essentiels exigés par le paragraphe 212(2.1) C.cr. et ses conclusions de fait justifient amplement le verdict de culpabilité à l’égard du chef 1, mais aussi à l'égard des chefs 3 et 4, et elles sont fondées sur la preuve.

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