jeudi 21 juillet 2011

Revue de la jurisprudence par la juge Lori Renée Weitzman concernant la fouille accessoire à l'arrestation

R. c. Bouffard, 2011 QCCQ 8027 (CanLII)

[50] L'article 8 de la Charte protège contre les fouilles abusives. La jurisprudence traitant de cette garantie constitutionnelle met en relief l'équilibre entre le droit de l'individu de ne pas être importuné par l'état et le droit de l'état de s'immiscer dans la vie privée des personnes à des fins légitimes de l'application de la loi et du maintien de la sécurité publique.

[51] Une fouille sans mandat est présumée abusive. Il incombe donc à la Poursuite de réfuter cette présomption par la prépondérance des probabilités.

[52] Selon la Cour suprême dans Collins, «une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive». Alors qu'aucune loi n'autorise précisément la fouille accessoire à l'arrestation, ce pouvoir dévolu de la common law est bien enraciné en droit criminel canadien.

[53] L'étendue de la fouille accessoire à l'arrestation fut analysée par la Cour suprême dans Cloutier c. Langlois, où la Juge L'Heureux-Dubé énonce les balises qui s'imposent :

La fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, telle la découverte d'un objet pouvant menacer la sécurité des policiers, du prévenu ou du public, faciliter l'évasion ou constituer une preuve contre le prévenu. Le but de la fouille ne doit pas être étranger aux fins d'une saine administration de la justice, ce qui serait le cas, par exemple, si la fouille avait pour but d'intimider le prévenu, de le ridiculiser ou d'exercer une contrainte pour lui soutirer des aveux.

[54] Alors que la légalité de la fouille accessoire à l'arrestation ne fait aucun doute, ses paramètres exacts continuent d'être tracés par la Cour suprême, par exemple, dans R. c. Stillman (interdisant le prélèvement de substances corporelles en guise de fouille accessoire à l'arrestation) et dans R. c. Golden (établissant les limites applicables à une fouille à nue accessoire à l'arrestation).

[55] Dans Caslake, la Cour suprême réitère les trois objectifs principaux d'une fouille accessoire à une arrestation (assurer la sécurité des policiers et du public, empêcher la destruction d'éléments de preuve, et découvrir des éléments de preuve). De façon subjective et objective, le but de cette fouille doit être «un objectif valable lié à l'arrestation».

[56] Lorsque le but de la fouille est relié à la découverte ou la préservation d'éléments de preuve, il doit y avoir «des chances raisonnables de trouver des éléments de preuve de l'infraction pour laquelle l'accusé est arrêté».

[57] Lorsque le but de la fouille vise la protection ou la sécurité des policiers ou du public, une question primordiale est de savoir comment circonscrire l'entourage immédiat qui peut validement être fouillé de façon incidente à l'arrestation. La Poursuite cite la décision de la Cour d'appel d'Ontario dans R. c. Rao pour soutenir que la fouille incidente à l'arrestation en l'espèce pouvait légitimement s'étendre jusque dans la chambre de l'accusé:

[58] Selon Martin J.A. dans Rao:

The power to search the person of the arrestee has generally been considered to extend to the premisses where he is arrested and which are under his control (…) Thus, where a person has been arrested in his house, it seems that his house maybe searched for evidence of the crime with which he is charged.

[59] La question en litige dans Rao concernait la constitutionnalité de l'art 10 de la Loi sur les stupéfiants qui permettait une fouille sans mandat dans un endroit autre qu'une maison d'habitation. Le passage cité ci-haut suit l'intitulé traitant des fouilles sans mandats dans des résidences privées. Or, il faut se demander si le droit de fouiller la maison d'une personne arrêtée, basé uniquement sur le pouvoir de fouille accessoire à l'arrestation, peut se justifier, à la lumière de la Charte et de la jurisprudence plus récente.

[60] Dans R c. Wong, la police a fouillé une chambre d'hôtel soupçonnée de servir comme maison de jeu. Le juge Cory (alors à la cour d'appel de l'Ontario) cite le même passage de Rao et s'exprime ainsi:

It has long been recognized that there is a police power to conduct a reasonable search incidental to a lawful arrest. The powers of search include the right to search the person being arrested as well as his immediate surroundings.

[61] Dans l'arrêt Stillman, le Juge Cory reprend le même principe :

Le pouvoir d'effectuer une fouille et une saisie accessoire à une arrestation est un prolongement pratique au pouvoir d'effectuer cette arrestation. Il est évident que les policiers doivent être en mesure de se protéger contre toute attaque de l'accusé qui a dissimulé sur lui des armes ou qui en a à sa portée»

[62] Une nuance à la portée de l'énoncé dans dans Rao se dégage de l'opinion exprimée par le juge Doherty dans Golub:

In my opinion, searches of a home as an incident of an arrest, like entries of a home to effect an arrest, are now generally prohibited subject to exceptional circumstances where the law enforcement interest is so compelling that it overrides the individual's right to privacy within the home. After Feeney, the general principles governing the scope of searches as an incident of arrest set down in Cloutier do not control where the place to be searched is a residence. Those principles are still helpful in that they identify relevant considerations. However, those considerations must be looked to, not to balance competing interests, but to determine whether the circumstances are sufficiently exceptional to justify overriding the general prohibition against warrantless searches of the home.

[63] Dans cette affaire, la fouille de la résidence de l'accusé était appropriée et rencontrait les critères d'une fouille accessoire à l'arrestation pour une question de sécurité, compte tenu du souci raisonnable exprimé par les policiers qu'une autre personne armée se trouvait dans la résidence.

[64] La détermination de ce qui englobe l'environnement immédiat de l'accusé sujet à une fouille accessoire à l'arrestation doit se faire selon l'analyse factuelle de chaque cas. Tel que l'explique le juge Lamer dans Caslake:

Étant donné que la fouille accessoire à une arrestation est un pouvoir de common law, il n’y a pas de limites facilement constatables à son étendue. Il appartient donc aux tribunaux de fixer les bornes à l’intérieur desquelles l’État peut poursuivre la réalisation de ses intérêts légitimes, tout en protégeant vigoureusement le droit à la vie privée des particuliers.

(…)

Les questions du délai et de la distance n’empêchent pas automatiquement une fouille d’être accessoire à une arrestation, mais elles peuvent amener la cour à tirer une conclusion défavorable. Cependant, cette conclusion peut être réfutée au moyen d’une explication appropriée

[65] Par conséquent, lorsque la fouille vise le volet sécurité, il s'agira de décider si, de façon subjective et objective, il y avait un souci pour la sécurité des policiers ou pour autrui qui justifiait une fouille sur une distance plus étendue que ce qui est généralement perçu comme étant l'entourage immédiat de la personne arrêtée.

[66] Dans l'évaluation de la légalité de la fouille, il faut permettre une latitude aux policiers qui oeuvrent dans des circonstances parfois imprévisibles et dangereuses. Tel que le dit le juge Doherty dans Golub :

In deciding whether the police were justified in taking steps to ensure their safety, the realities of the arrest situation must be acknowledged. Often, and this case is a good example, the atmosphere at the scene of an arrest is a volatile one and the police must expect the unexpected. The price paid if inadequate measures are taken to secure the scene of an arrest can be very high indeed. Just as it is wrong to engage in ex post facto justifications of police conduct, it is equally wrong to ignore the realities of the situations in which police officers must make these decisions.

[67] Cependant, tel qu'énoncée par la Juge L'Heureux-Dubé dans Cloutier :

Même si la common law donne aux policiers les pouvoirs nécessaires pour l'application efficace et sécuritaire de la loi, elle ne leur permet pas de se placer au-dessus de la loi et d'user de leur pouvoir pour opprimer les citoyens. La protection de la vie privée et des libertés individuelles prend ici toute sa dimension

[68] Le raisonnement proposé ici par la Poursuite mènerait à un résultat qui ne pourrait cadrer avec les valeurs enchâssées dans la Charte et reflétées dans la jurisprudence constante en matière de fouille abusive. Plus spécifiquement, il n'est pas concevable que malgré la protection de l'article 8 de la Charte il suffirait de procéder à une arrestation légale d'un citoyen dans son domicile pour pouvoir fouiller l'entièreté de sa demeure sans autorisation judiciaire préalable et sans motifs raisonnables et probables.

[69] Par ailleurs, lorsque la Cour suprême dans R. c. Fenney conclut qu'un mandat est requis pour effectuer une arrestation dans un domicile, le juge Sopinka précise que l'on ne saurait autoriser une perquisition sans mandat dans une maison d’habitation dès qu'elle est assortie d’une arrestation légale: «Pareille conclusion est nettement contraire à l’arrêt Hunter où il a été décidé que les perquisitions sans mandat sont abusives à première vue».

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