Rochon c. R., 2011 QCCA 2012 (CanLII)
[15] En d'autres termes, l'inaction n'est pas criminelle.
[16] Dans Dunlop, le juge en chef Dickson écrivait :
L'arrêt qui fait autorité, R. v. Coney, (1881) 8 Q.B. 534, a établi qu'une présence non accidentelle sur les lieux du crime n'équivaut pas à aide et encouragement.
[17] Le juge Dickson enchaînait en citant deux passages des motifs du juge Cave dans l'arrêt Coney, distinguant la participation à un crime du fait d'en être témoin :
[TRADUCTION] Or, la règle générale applicable aux complices est qu'il doit y avoir participation à l'acte et que le témoin d'une félonie, s'il ne prend aucune part à sa perpétration et n'agit pas de concert avec son auteur, n'est pas complice pour la seule raison qu'il n'a pas tenté d'en empêcher la perpétration ou d'arrêter le félon.
et:
…Lorsque la présence est tout à fait accidentelle, elle n'est pas un élément de preuve susceptible d'établir l'aide et l'encouragement. Lorsque, prima facie, la présence n'est pas accidentelle, elle constitue pour le jury un élément de preuve et rien de plus.
[18] En outre, pour que quelqu'un/e engage sa responsabilité criminelle en vertu de l'article 21 (1) (b) C. Cr. en omettant d'agir, la loi doit lui imposer l'obligation préalable d'agir ou de porter secours. La « simple présence passive sur la scène d'un crime au moment de sa commission ne saurait constituer une aide ou un encouragement à moins que la présence n'ait pour but d'aider à la commission de cette infraction ».
[19] C'est du moins en ce sens que se prononce la jurisprudence canadienne dominante en la matière, ainsi que le font voir les arrêts suivants.
[20] R. v. Davy, (2000,C.A. Ont.) :
L'accusée en appelle d'une condamnation pour tentative de meurtre. La preuve contradictoire fait en sorte qu'il est difficile de savoir si l'accusée a également poignardé la victime. Le jugement majoritaire limite clairement la responsabilité aux cas où il existe un devoir d'agir :
It was therefore essential, if the trial judge intended to leave s. 21(1)(b) to the jury, that he make it clear that a mere bystander cannot be a party under s. 21(1)(b) and that presence at the scene cannot found liability under that provision on the basis of an omission unless the accused was under a duty to act. There was no suggestion that the appellant was under such a duty. The possibility that this jury found liability on the basis that the appellant was a party and did so on the basis of an omission is a real one given their reference to "indirect involvement" and "non-intervention of the crime" in their question.
[21] R. v. Portillo, (2003, C.A. Ont.) :
Deux coaccusés portent en appel une condamnation de meurtre au deuxième degré. Une preuve circonstancielle révèle qu'il est possible que l'un ou les deux coaccusés aient assisté au meurtre de la victime, morte étranglée. Les accusés contestent les instructions données au jury en matière d'omission et complicité. À l'unanimité, la Cour est d'avis que les instructions au jury étaient insuffisantes et préjudiciables. Confirmant l'affaire R. v. Davy, la Cour répète qu'on ne peut être complice en raison d'une omission à moins qu'il n'existe un devoir d'agir :
I agree with the appellants' submission that the trial judge's reference to liability based on omissions was inappropriate and potentially prejudicial. There was no basis upon which either appellant could be found to have aided in the homicide by virtue of a mere failure to act. A failure to act by one present at the scene of the crime will not amount to aiding in the crime absent a duty to act and an intention to aid the perpetrator: R. v. Davey 2000 CanLII 16859 (ON CA), (2000), 137 O.A.C. 53 at 59 (C.A.). Although the trial judge did tell the jury that mere presence at the scene does not constitute aiding, it would have been better had he not made any reference to omissions in his instructions on liability under s. 21(1)
[22] R v. Dooley (2009, C.A. Ont.) :
Dans cette affaire, les parents sont trouvés coupables du meurtre au deuxième degré de leur jeune fils. La preuve ne permet pas d'établir lequel des appelants a assené le coup fatal. Un des motifs d'appel porte sur les instructions données au jury sur l'aide et l'encouragement à commettre une infraction. À l'unanimité, la Cour confirme qu'une omission peut faire de quelqu'un un complice s'il existe un devoir légal d'agir :
The conduct component that must accompany the culpable mental state is captured by the words "aids" and "abets". Conduct can include omissions. A failure to act where there is a legal duty to do so, what V. Gordon Rose calls "culpable acquiescence", can constitute an act of aiding or abetting: see V. Gordon Rose, Parties to an Offence (Toronto: Carswell Company, 1982), at pp. 18-19; Richard Card, Card, Cross and Jones Criminal Law, 18th ed. (Oxford, U.K.: Oxford University Press, 2008), at p. 760; David Ormerod, Smith and Hogan Criminal Law, 12th ed. (Oxford, U.K.: Oxford University Press, 2008), at p. 190; Brent Fisse, Howard's Criminal Law, 5th ed. (North Ryde, Austl.: Law Book Company, 1990), at pp. 326-27; R. v. Nixon reflex, (1990), 57 C.C.C. (3d) 97 (B.C.C.A.), at p. 114, leave to appeal to S.C.C. refused, [1990] S.C.C.A. No. 316, [1991] 1 S.C.R. xii.
[23] La Cour d'appel entérine les directives au jury du juge de première instance sur l'origine du devoir d'agir en l'espèce :
The trial judge also told the jury that the Crown's case for aiding and abetting rested on the contention that the non-perpetrating parent had failed to perform his or her parental duty to protect Randal from further abuse, and that the failure had helped or encouraged the other parent to continue the abuse, which included the fatal assault.
[24] R. v. Laurencelle, (1999, C.A. C.-B.) :
En première instance, l'accusée est trouvée coupable de séquestration à titre de complice. La victime était détenue chez l'accusée, demeure que cette dernière partageait avec l'un des quatre agresseurs. Le juge de première instance lui reproche d'avoir laissé les agresseurs détenir la victime chez elle, de ne pas avoir quitté sa demeure, et d'avoir aidé la victime à quelques reprises (en lui fournissant de l'eau, et en le déliant pour qu'il puisse fumer):
There was no indication that the accused was aware that the kidnapping and confinement was going to take place, but upon entering her own home some short time after the offence she saw the complainant or the victim bound. She knew what had occurred and unfortunately for her made a wrong decision.
At that point in time she could have left and there would have been no burden on her to do anything else and she could not have become involved in this matter. She did not leave immediately. In fact, she did not leave at all. She stayed. She stayed in the home. She allowed the victim and Bradley McCandless and Biron to remain, which is more than passive acquiescence. She helped in the care of the victim and as I said she allowed her home to be used as a place of confinement, thereby encouraging the other co-accused in their venture.
[25] À l'unanimité, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique statue que l'accusée n'avait aucune obligation de quitter sa demeure. De plus, même si elle exerçait un certain contrôle sur sa maison, il n'était pas raisonnable d'exiger d'elle qu'elle fasse en sorte que les deux agresseurs quittent les lieux. La Cour distingue cette affaire de celles en matière de conduite de véhicule automobile, où le propriétaire du véhicule peut être considéré comme un complice s'il permet que le véhicule soit utilisé de manière illégale :
It is my view, with respect, that the passage which I have quoted from the judge's reasons indicates that she lost sight of the principle that the burden of proving participation was on the Crown. She appears to have imposed a duty on the appellant to leave the house, and perhaps more importantly, she found that the appellant "allowed" McCandless and Biron to remain. In my view, the evidence provides no reasonable basis for finding a duty to leave or for finding that the appellant allowed McCandless and Biron to remain and continue the confinement. The evidence, since it all comes from the victim, is very hazy as to what the appellant's relationship was to the house but, from what little evidence there is, it can be taken that she and Biron were both living there and both, to that extent, had some control over the premises. There is no basis for asserting that the appellant had sole control, and certainly no basis as a matter of common sense for suggesting that she had any effective way of requiring McCandless and Biron to leave. This case is quite different from the various cases which have found that control can lead to a person being found a party by allowing premises or automobiles to be used in an unlawful manner.
[26] R. v. Nixon, (1990, C.A. C.-B.) :
Dans cette affaire, un policier omet de protéger un détenu qui est agressé par d'autres policiers pendant qu'il est sous sa garde. Il demeure inactif : bien que présent, il n'intervient pas pour faire cesser l'agression. La Cour conclut que ce devoir lui incombait en vertu du Police Act et du Code criminel, ainsi qu'en vertu de la common law :
After concluding that she was satisfied beyond a reasonable doubt that the appellant was present at the time of the assault and knew what happened, the trial judge reasoned that under the Police Act (R.S.B.C. 1979 Chapter 331) and Sections 27 and 37 of the Criminal Code of Canada, the appellant had a duty to protect Jacobsen. By failing to act to prevent the assault on Jacobsen the appellant failed to discharge this duty and, on the basis of this omission, was guilty of aiding and abetting the commission of the assault.
[…]
The appellant is correct in arguing that only in narrow and well-defined circumstances will the law punish an omission to act. (See Glanville Williams, Criminal Law, The General Part, Second Edition (1961) at p. 4 where he quotes from Macaulay):
We must grant impunity to the vast majority of those omissions which a benevolent morality would pronounce reprehensible, and must content ourselves with punishing such omissions only when they are distinguished from the rest by some circumstance which marks them out as peculiarly fit objects of penal legislation.
In my opinion a police officer has a statutory duty to protect a person under his care. If he fails in that duty he may be the object of penal legislation.
[27] La Cour d'appel de Colombie-Britannique cite ensuite plusieurs décisions où un accusé a été trouvé coupable en raison d'une omission alors qu'il lui incombait d'agir positivement en vertu d'un devoir imposé par la loi:
These cases make clear there may be criminal liability for breach of a duty to aid another, and that this principle extends to the situation in which the breach of duty was a failure to protect another from the independent criminal act of a third person. This principle is particularly applicable in the case under appeal. The breach of duty relied upon by the Crown to justify the appellant's conviction was his failure to prevent an assault on Jacobsen by others.
[…]
A failure to act in accordance with a duty to act may be an omission to do something for the purpose of aiding or abetting.
[28] Selon ce courant jurisprudentiel dominant, hormis une obligation d'agir, n'existe plus que la simple présence, laquelle ne peut suffire à rendre une personne complice d'une infraction.
[29] Les tribunaux québécois interprètent différemment la participation criminelle par omission d'agir en vertu de l'article 21 (1) (b) C.cr., insistant sur l'absence de la mention d'un devoir légal d'agir à cet article, alors que les dispositions concernant la négligence criminelle (art. 219 (1b) C.Cr.) y font spécifiquement référence.
[30] La Cour a exprimé, à au moins trois reprises, l'opinion qu'un devoir d'agir n'est pas essentiel pour que l'inaction puisse constituer une participation criminelle au sens de l'article 21 (1) (b) C.cr.
[31] La distinction est d'abord proposée dans R. c. Marc, où l'on peut lire que « Le législateur à l'article 21 ne fait aucunement mention d'un devoir légal ».
[32] Dans R. c. M.D., la distinction se précise :
Le législateur ne fait pas mention, à l'article 21, du manquement d'accomplir un devoir légal, comme il le fait pour l'infraction de négligence criminelle à l'article 219 (1) b) du Code. Nous ne sommes pas dans une situation où un devoir d'agir imposé par une loi peut être créateur de responsabilité criminelle. Cet argument, avancé par le ministère public, est sans mérite.
[33] Dans l'affaire R. c. Michaud, la Cour ajoute ceci :
La référence à une omission d'avoir accompli un devoir auquel, suivant le juge, l'appelant était légalement tenu constituait une erreur. D'une part, il y a manifestement eu confusion puisque, par cette directive, le juge a importé, dans la définition du meurtre, une notion (l'omission de faire quelque chose qu'il est de son devoir d'accomplir) qui, vu l'alinéa b) de l'article 219(1) C.cr., s'applique à la négligence criminelle, non au meurtre. D'autre part, si c'est l'alinéa b) de l'article 21(1) C.cr. qui est en cause, l'omission peut porter sur quelque chose qu'il n'est pas nécessairement du devoir de l'accusé d'accomplir; il est essentiel de rappeler aux jurés que, non seulement l'aide par omission doit avoir été démontrée, mais également que l'accusé avait, ce faisant, l'intention spécifique d'aider son complice à commettre le meurtre.
[34] En premier lieu, je ne crois pas que ces arrêts démontrent nécessairement l'existence d'un clivage entre le courant jurisprudentiel exposé préalablement et les positions exprimées par la Cour. Il faut porter attention à la nature de l'infraction reprochée dans chaque cas sous étude.
[36] Traditionnellement, la common law ne cherche pas à punir les omissions, mais seulement les actes positifs pouvant nuire aux autres. Il n'est habituellement pas souhaitable de criminaliser les omissions, car cela reviendrait à imposer à un tiers témoin d'un crime l'obligation d'intervenir, ce qui restreindrait indûment la liberté individuelle dans une société qui se veut libre :
Second is a concern that criminalizing omissions has the effect of forcing people to engage in particular conduct, and this is not something the law does lightly. As Simester and Brookbanks have noted:
We value living in a society where citizens are respected as individuals—where they are free to live their own lives to act or intervene. The prohibition of omissions is far more intrusive upon individual's autonomy and freedom than is the prohibition of acts, which is why the systematic imposition of (criminal or civil) liability for failures to act is to be resisted.
[37] C'est pourquoi, en common law, on ne peut être coupable d'une omission en l'absence d'un devoir d'agir:
The common law has enforced the notion that omissions should not be punishable for centuries. For this reason, it remains correct to state as a general principle that an omission is not culpable unless it is specifically rendered liable either by the imposition of some sort of duty to act, or through the wording of a particular statutory provision. While the duties that exist cannot be classified quite so precisely, omissions tend to be punishable only where there is some form of obligation to act because of the nature of the relationship between the accused and the person at risk from an omission, or because of acts already performed by the accused that require him or her to account for future omissions.
[…]
The conclusion one can take from this is that the inclusion of the term "or omits to do anything" does not change the basics of the law of omissions. In other words, the accused will only be liable for such an omission as a party where he or she is under some type of duty to act, and the appropriate mens rea, discussed below, is present.
[38] Cette position est celle généralement retenue par les auteurs canadiens, dont Alan D. Gold :
A person is a party to a crime as an aider if that person: does (or in the case of a legal duty, omits to do) something that helps the (or a) principal to commit the offence (the fault requirement).
[39] L'auteur Kent Roach opine lui aussi qu'il n'est pas souhaitable de criminaliser la simple omission d'agir, en l'absence d'un devoir d'agir :
One possible exception to the trend to wide definitions of the criminal act is the traditional reluctance to use failure to act as an actus reus. Traditionally, the criminal law has prohibited harmful conduct; it has not required socially desirable conduct. An omission or failure to act will generally only form the actus reus of a criminal offence when an individual has a specific duty to act.
[…]
The position that mere presence and passive acquiescence in a crime is not sufficient to make a person an aider or abettor mirrors the criminal law's traditional reluctance to penalize omissions. As with omissions, however, courts recognize exceptions to this principle in cases where the person who stands by is under a specific legal duty to act.
[41] En effet, ce qu'il faut surtout souligner, quant à la participation à un crime au sens de l'article 21(1)(b) C.Cr., c'est qu'il incombe à la poursuite de prouver au-delà de tout doute raisonnable la mens rea requise, soit l'intention d'accomplir ou d'omettre d'accomplir quelque chose en vue d'aider la commission de l'infraction.
[42] En d'autres termes, une personne qui assiste passivement à la commission d'un crime, même si elle est en position d'agir pour en empêcher la commission, ne devient pas pour autant responsable de ce crime. Il faut que la preuve démontre que son défaut d'agir avait pour but d'aider le contrevenant à commettre son crime.
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