lundi 29 juillet 2013

Analyse exhaustive de cas dans lesquels le Cour suprême du Canada a ordonné un arrêt des procédures / Il peut y avoir arrêt des procédures dans les rares cas les plus manifestes

Malic c. R., 2009 QCCM 317 (CanLII)


7 ]        L’honorable juge Doyon, dans R. c. Gorenko, se réfère aux principes établis par la Cour suprême :

«1)     Il n’existe plus de distinction entre la doctrine de l’abus de procédure en Common Law et les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés puisque le droit des individus à un procès équitable et la réputation générale du système de justice pénale sont des préoccupations fondamentales qui sous-tendent à la fois la doctrine de l’abus de procédure reconnue en Common Law et la Charte.  Ainsi, lorsque les tribunaux doivent déterminer si un abus du processus judiciaire est survenu, les analyses effectuées selon la Common Law et en vertu de la Charte se rejoignent;
2)     L’arrêt des procédures est le plus souvent demandé pour corriger l’injustice dont est victime un citoyen en raison de la conduite répréhensible de l’État.  Il existe toutefois une petite « catégorie résiduelle » de cas où une suspension de ce type peut être justifiée.  Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l’équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d’autres droits de nature procédurale, mais envisage plutôt :
« … l’ensemble des circonstances diverses et souvent imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du système judiciaire.»
3)     L’arrêt ou la suspension définitive des procédures constitue une forme de réparation draconienne à un abus de procédure.  Il faut donc réserver cette réparation aux cas les plus graves ou les plus manifestes;

4)     Que le préjudice découlant de l’abus touche l’équité du procès ou porte atteinte à l’intégrité du système de justice, l’arrêt des procédures s’avère approprié seulement lorsque deux critères sont remplis: (1) le préjudice causé par l’abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue; et (2) aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice

5)     Le premier critère est d’une importance capitale.  Il reflète le caractère prospectif de la suspension des procédures comme mode de réparation.  Elle ne corrige pas le préjudice causé, elle vise à empêcher que ne se perpétue une atteinte qui, faute d’intervention, continuera à perturber les parties et la société dans son ensemble à l’avenir.  Lorsqu’il s’agit d’un abus relevant de la catégorie résiduelle, la suspension des procédures ne constitue généralement une réparation appropriée que lorsque l’abus risque de se poursuivre ou de se reproduire.  Ce n’est que dans des cas exceptionnels, très rares, que la conduite reprochée est si grave que le simple fait de poursuivre le procès serait choquant

6)     Dans ce contexte, tout risque d’abus continuant à se manifester au cas de poursuite du procès doit donc être évalué en regard des réparations potentielles moins draconiennes qu’une suspension des procédures.  Une fois établi que l’abus continuera à miner le processus judiciaire et qu’aucune autre réparation que la suspension ne permettrait de corriger le problème, le juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la suspension

7)     S’il reste un degré d’incertitude quant à la possibilité de faire disparaître le préjudice, compte tenu du caractère prospectif du premier critère, le juge peut alors appliquer un troisième critère, celui de l’évaluation comparative des intérêts que servirait la suspension des procédures et l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond. Dans certaines situations, l'intérêt irrésistible de la société à ce qu'il y ait un débat au fond peut amener à conclure que des allégations d'abus de procédure ne justifient pas de suspendre le processus judiciaire.  Eu égard aux faits particuliers des affaires portées devant elle, la Cour suprême a jugé que la révocation de la citoyenneté pour crimes de guerre ainsi que des allégations d'agressions sexuelles de jeunes filles et de femmes vulnérables étaient des cas à l'égard desquels la poursuite du procès n'engendrait pas une apparence d'injustice persistante.»

8 ]        La requête de la défenderesse est fondée sur la catégorie résiduelle reconnue par la Cour suprême.

9 ]        Les principes de la Charte s’appliquent à l’abus de procédure en vertu de la Common law.

11 ]     L’honorable Guy Cournoyer a, dans R. c. Cech, fait une analyse exhaustive de cas dans lesquels le Cour suprême du Canada a ordonné un arrêt des procédures.

-      «La destruction délibérée d’éléments de preuve qui aurait dû être communiquée à l’accusé;
-      Lorsque l’Accusé devait subir un quatrième procès à l’égard d’une accusation de meurtre;
-      Lorsque des fugitifs ont contesté avec succès leur extradition en raison de déclarations faites par le juge et le procureur américains chargés de l’affaire aux États-Unis. Le juge du procès américain a dit, en fixant la peine d’un des coaccusés, qu’il imposerait la peine d’emprisonnement la plus sévère aux fugitifs qui refusaient de collaborer et le procureur de la poursuite aux États-Unis a laissé entendre, dans une entrevue télévisée, que les fugitifs qui refusaient de collaborer feraient l’objet d’un viol homosexuel en prison;
-      Lorsqu’un prévenu avait été détenu plus de vingt-quatre heures avant sa comparution contrairement à l’article 503 du Code criminel;
-      Lorsque la violation du devoir de communication de la preuve aurait entraîné la tenue d’un troisième procès à l’égard de laquelle d’une infraction pour laquelle l’accusé avait purgé la peine;
-      La tenue d’un procès pour homicide involontaire coupable près de 34 années après les événements alors que des éléments de la preuve ont disparu;
-      L’accusé devait subir un troisième procès relativement à une accusation de meurtre;
-      Un sous-procureur général adjoint au ministère de la Justice a communiqué avec le juge en chef de la Cour fédérale pour tenter d’accélérer l’audition des dossiers mettant en cause des criminel de guerre;
-      Une communication inappropriée entre les avocats de la poursuite et le juge coordonnateur de la Cour du Québec avait eu lieu sans la connaissance des avocats de la défense;
-      Un procureur de la poursuite et un policier avaient un questionnaire demandant aux candidats jurés dans l’affaire Latimer quelle était leur opinion sur un certain nombre de questions, dont la religion, l’avortement et l’euthanasie;
-      S’il y a eu un délai de 30 mois dans le traitement d’une plainte de harcèlement sexuel déposée auprès de la commission des droits de la personne;
-      Les policiers avaient violé le droit à l’avocat du suspect et avaient dénigré le travail de ce dernier;
-      L’omission par le ministère public de se conformer intégralement à l’ordonnance de divulgation d’un juge a été considérée par certains juges de la majorité inappropriée et inopportune alors que d’autres y ont vu un comportement extrêmement arrogant et tout à fait répréhensible;
-      La recherche d’un juge accommodant était outrageante et la communication par la police du nom d’un accusé comme suspect bien avant le dépôt de toute accusation était inappropriée;
-      Le juge du procès avait téléphoné en privé à un haut fonctionnaire du bureau du procureur général pour demander le retrait du substitut du procureur général en charge du dossier, sans quoi il prendrait des mesures «pour arriver à cette fin»;
-      Si le devoir de loyauté d’un avocat à l’égard de son client était en cause;
-      En raison du caractère prématuré de l’impact de la destruction de notes d’entrevues sur l’équité d’une audition relative à un certificat de sécurité;»

12 ]     La défense supporte le fardeau de preuve selon la prépondérance des probabilités

22 ]     Le professeur Kent Roach, dans Constitutional Remedies in Canada, conclut qu’il peut y avoir arrêt des procédures dans les rares cas les plus manifestes.

«The Court in Canada (Minister of Citizen and Immigration) v. Tobiass did contemplate the possibility that a particularly egregious abuse could in and of itself justify a stay. It refers to "exceptional" and "relatively very rare" cases "in which the past misconduct is so egregious that the mere fact of going forward in the light of it will be offensive". An "exceedingly serious abuse" could produce a situation where "public confidence in the administration of justice could be so undermined that the mere act of carrying forward in the light of it would constitute a new and ongoing abuse sufficient to warrant a stay of proceedings". It is not, however, readily what act of abuse will in and of itself ever be sufficient to warrant a stay. In Tobiass, ex parte conversations between a senior justice official and the Chief Justice of the Federal Court about a case where not serious enough. In R. v. Curragh Inc., a trial judge’s ex parte conversations with a senior member of the Attorney General’s department during a trial to secure the removal of a prosecutor were not serious enough. In R. v. Latimer, ex parte police and prosecutorial interviews with prospective jurors, rightly denounced by the court as "a flagrant abuse of process and interference with the administration of justice", were again not serious enough to justify a stay. In R. v. Regan, the Supreme Court indicated that Crown comments about judge shopping, premature and public announcement that a prominent accused was being investigated and loss of prosecutorial objectivity from extensive prosecutorial interviews with the complainants did not warrant a stay of proceedings given the abuse would not be perpetuated by the trial and the social interest in allowing claims of sexual assault to be heard. This conduct has now joined various forms of improper ex parte communications between government officials and judges in Tobiass and Curragh and ex parte police and prosecutorial interviews with prospective jurors in Latimer that will not warrant a stay. These four cases suggest that the category of residual abuse of process when a fair trial is still possible is a very limited one. They challenge the dissenters comments in Regan that the reference to the rarity of such stays should be "not because of judicial fiat to limit numbers but because the system works".

Given the above decisions, it is difficult to imagine non-continuing misconduct that will warrant a stay of proceedings in order to protect judicial integrity. In Tobiass, the Court speculated that enduring trauma to the accused or the planting of evidence might be sufficient. The former example may be a case in which a fair trial would not longer be possible while the latter could in many instances be cured by the lesser alternative remedy of excluding the unreliable evidence. Police conduct resulting in entrapment the deliberate destruction of files by a rape crisis centre, and cases that were tainted by racial profiling might be added to the list in the interest of stare decisis. Nevertheless, these abuses in themselves do not seem as grave as those in CurraghLatimer and Tobiass. Moreover, both Mack and Carosella can be interpreted as cases where a subsequent trial would aggravate the prejudice caused by police creation of a crime and the destruction of evidence and as such be distinguished form cases involving no-continuing misconduct. In short, it is difficult to imagine realistic scenarios where non-continuing abuses will now merit stays of proceedings.»

«L’analyse des décisions de la Cour suprême fait ressortir que l’arrêt des procédures est véritablement réservé à une catégorie rarissime de situation.»

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