Granger c. Montcalm (Municipalité de), 2016 QCCS 6008
C – L’utilisation de Google Street View et son authentification
[90] L'admissibilité des images tirées de Google Street View, de Google Earth ou d’outils similaires de navigation virtuelle soulève plusieurs questions[50]. La consultation de la jurisprudence laisse paraître des incertitudes quant aux conditions d’utilisation de ces outils[51].
[91] En l'espèce, quatre règles doivent être examinées : 1) les exigences relatives à l'authentification de ce moyen de preuve matérielle de même que les règles suivantes de la procédure pénale accusatoire et contradictoire : 2) la communication de la preuve, 3) le principe de la « preuve complète » et 4) les critères de la contre-preuve.
[92] L’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View présente les attributs de différents moyens traditionnels de preuve matérielle[52].
[93] Il comporte les propriétés et caractéristiques d’une photographie, celle d’une vidéo ou de la visite des lieux[53]. Le visionnement à l'aide de Google Street View constitue l'équivalent moderne d'une visite des lieux.
[94] Lorsque, comme en l’espèce, la preuve concerne un élément essentiel qui influe directement sur l’issue du procès[54], soit le lieu d’installation de la signalisation routière, ce sont les règles de preuve relatives à l’authentification de ce type de preuve matérielle qui s’appliquent à l’utilisation de Google Street View ou à la production d’une image tirée de cet outil de navigation virtuelle et non les règles de la connaissance d’office.
[95] Il faut d’abord distinguer la situation dans le présent dossier de celle analysée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Calvert[55].
[96] Dans cette affaire, la question posée concerne l’utilisation de Google Maps dans un contexte bien différent.
[97] La Cour d’appel de l’Ontario conclut que le juge du procès pouvait prendre connaissance d’office, en utilisant Google Maps, de la distance entre le lieu de l’arrestation de l’accusé et un poste de police pour résoudre la question de savoir si les échantillons d’haleine ont été prélevés dès qu’il a été matériellement possible de le faire.
[98] La Cour d’appel note que la question de la connaissance d’office avait fait l’objet d’un débat devant le tribunal d’instance ce qui constitue un élément crucial, car la question de l’application de la connaissance d’office doit être soulevée durant le procès avec les parties.
[99] En effet, le juge du procès ne peut, pour des raisons d’équité procédurale, consulter une source susceptible de connaissance d’office durant son délibéré sans en aviser les parties[56].
[100] Par contre, l’authentification d’images tirées de Google Street View doit être établie selon les principes décrits par l’auteur Vauclair qui résume ainsi les principes formulés par la Cour suprême dans R. c. Nikolovski[57] :
1235. Il est maintenant acquis que les mêmes règles d’admissibilité régissent la preuve audio, photographique ou vidéo, ces deux dernières étant le prolongement naturel de la preuve audio. Le juge devra tenir un voir-dire pour déterminer si, d’une manière prépondérante, on a démontré (1) que la preuve décrit bien la scène du crime, (2) qu’elle est présentée équitablement et sans intention de tromper, notamment qu’elle n’a pas été retouchée ou modifiée et (3) qu’un témoin peut attester de ces faits sous serment[58].
[…]
[Les appels de notes sont omis]
[101] Watt énonce la règle au sujet de l'admissibilité des photographies en ces termes :
The admissibility of photographs depends upon accuracy, fairness and proper authentication. They must constitute a true representation of what they purport to depict and not be calculated to mislead. They must be verified on oath by the person who took them, or someone in a position to attest to their accuracy.
A photograph is a graphic portrayal of oral testimony. It may be excluded where its probative value is exceeded by its prejudicial effect[59].
[Le soulignement est ajouté]
[102] Il formule celle relative aux enregistrements vidéo de la manière suivante :
The admissibility of videotape is governed by considerations similar to those applicable to photographs and audiotape. It must be authenticated by the operator of the recorder or another who has viewed it and can attest to the time, date, location and circumstances of the recording, as well the accuracy of the picture. The recording may be direct or circumstantial evidence.
The proliferation of enhancement techniques in connection with videotape may create admissibility problems with portions, but not necessarily all of the tape[60].
[Le soulignement est ajouté]
[103] Finalement, il décrit la visite des lieux et souligne qu’il devient essentiel de s’assurer que les lieux visités n’aient pas changés depuis le moment pertinent pour les fins du procès :
A view is an observation made of a person, place, or thing during the course of the trial after the jury has been sworn, but before it has rendered its verdict. Views are authorized by s. 652 of the Criminal Code and may be taken by a judge (in a trial by judge alone) or jury. Views take place in the presence of all the participants, including D, counsel, and the court reporter.
A determination whether to order a view may include consideration of several factors, for example:
i. the importance to an issue to be decided of the information that may be gained by the view;
ii. the extent to which the information has been or could be obtained from other sources, including maps, diagrams, models, photographs, or videotapes; and
iii. the extent to which the place, person, or thing to be viewed has changed in appearance since the material time, and the consequent danger that the view may mislead.
It is unclear whether a view is real evidence, circumstantial in nature, from which the trier of fact may draw its own inferences, or is simply a clarification of the testimony of witnesses[61].
[Le soulignement est ajouté]
[104] Comme on le constate, l’authentification des images tirées de Google Street View s’avère particulièrement cruciale en raison de la possibilité que les lieux représentés aient changé, ce qui, en l’espèce, ne peut être déterminé.
[105] Dans l'affaire U.S. v. Lizarraga-Tirado[62], la Cour d'appel du neuvième circuit des États-Unis se voit confrontée à une question relative à l'admissibilité des données de géolocalisations tirées de Google Earth et utilisées par des policiers lors de leur témoignage.
[106] L'objection formulée dans cette affaire à l'encontre de l'admissibilité de cette preuve concerne la règle relative au ouï-dire et non la question de l'authentification de la preuve. Toutefois, certains commentaires du juge Kozinski se révèlent pertinents à la question soulevée dans le cadre du présent pourvoi. Il écrit :
That's not to say machine statements don't present evidentiary concerns. A machine might malfunction, produce inconsistent results or have been tampered with. But such concerns are addressed by the rules of authentication, not hearsay. Authentication requires the proponent of evidence to show that the evidence “is what the proponent claims it is.” Fed.R.Evid. 901(a). A proponent must show that a machine is reliable and correctly calibrated, and that the data put into the machine (here, the GPS coordinates) is accurate. See Washington, 498 F.3d at 231. A specific subsection of the authentication rule allows for authentication of “a process or system” with evidence “describing [the] process or system and showing that it produces an accurate result.” Fed.R.Evid. 901(b)(9); see also United States v. Espinal–Almeida, 699 F.3d 588 , 612 (1st Cir.2012) (evaluating whether “marked-up maps generated by Google Earth” were properly authenticated). So when faced with an authentication objection, the proponent of Google-Earth-generated evidence would have to establish Google Earth's reliability and accuracy. That burden could be met, for example, with testimony from a Google Earth programmer or a witness who frequently works with and relies on the program. See Charles Alan Wright & Victor James Gold, Federal Practice & Procedure § 7114 (2000). It could also be met through judicial notice of the program's reliability, as the Advisory Committee Notes specifically contemplate. See id.; Fed.R.Evid. 901 n.9.
But defendant didn't raise an authentication objection at trial, nor does he raise one on appeal. He raised only a hearsay objection, and that objection was properly overruled. Because the satellite image and tack-coordinates pair weren't hearsay, their admission also didn't violate the Confrontation Clause. See Washington, 498 F.3d at 231; United States v. Mitchell, 502 F.3d 931, 966 (9th Cir.2007) (“The Confrontation Clause does not apply to non-hearsay....”)[63].
[Le soulignement est ajouté]
[107] Cette décision confirme donc que l’authentification d’une preuve tirée de Google Street View s’avère nécessaire[64].
[108] Par ailleurs, comme l’établit la présente affaire, lorsqu’on utilise cet outil de navigation séance tenante, il s’avère difficile pour le tribunal d’appel de savoir avec précision ce qui a été visionné lors de l’instruction[65]. À défaut de produire des images tirées de cet outil et qui sont identifiées par un témoin sous serment durant un tel visionnement, la tâche du tribunal d’appel peut devenir insurmontable[66].
[109] Or, comme l’explique le juge Proulx dans l’affaire R. c. Dubois[67], le tribunal d’appel doit être en mesure de vérifier la base factuelle qui a mené à la conclusion du premier juge.
[110] En conclusion, lorsque l’établissement d’un fait concerne une question substantielle lors d’un procès, le visionnement ou l’examen d’un lieu à partir de l’outil de navigation Google Street View ou la production d’images tirées de cet outil s’avère possible si cette preuve fait l’objet d’une authentification selon les exigences formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Nikolovski.
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