R. c. St-Jean, 2025 QCCA 178
[33] Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Barros[5], lorsque le poursuivant conteste la décision d’un juge qui impose un verdict d’acquittement, la norme de la décision correcte s’applique et n’appelle aucune déférence envers la décision du juge :
[48] Le juge ne peut imposer un verdict s’il existe un quelconque élément de preuve directe ou circonstancielle admissible qui, s’il était accepté par un jury correctement instruit agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité : R. c. Charemski, 1998 CanLII 819 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 679, par. 1‑4; R. c. Bigras, 2004 CanLII 21267 (C.A. Ont.), par. 10‑17. La question de savoir si le critère juridique est satisfait eu égard aux faits est une question de droit qui ne commande pas, en appel, de déférence envers le juge du procès. Selon l’article 676 du Code criminel, le ministère public peut introduire un recours devant la cour d’appel si une erreur de droit a été commise.
[34] Par ailleurs, le critère qui encadre la décision d’imposer un verdict d’acquittement est le même que celui que doit utiliser le juge présidant une enquête préliminaire :
21 La question que doit se poser le juge présidant l’enquête préliminaire aux termes du par. 548(1) du Code criminel est identique à celle que doit se poser le juge du procès saisi d’une requête de la défense en vue d’obtenir un verdict imposé, savoir « [s]’il existe ou non des éléments de preuve au vu desquels un jury équitable, ayant reçu des directives appropriées, pourrait conclure à la culpabilité » : Shephard, précité, p. 1080; voir également R. c. Monteleone, 1987 CanLII 16 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 154, p. 160. Selon ce critère, le juge présidant l’enquête préliminaire doit renvoyer la personne inculpée pour qu’elle subisse son procès « chaque fois qu’il existe des éléments de preuve admissibles qui pourraient, s’ils étaient crus, entraîner une déclaration de culpabilité » : Shephard, p. 1080.[6]
[35] Je discute de ce critère plus loin, car le juge de l’enquête préliminaire avait renvoyé Messieurs St-Jean et François pour la tenue d’un procès à l’égard d’une accusation de meurtre au premier degré.
[36] La preuve soutenant la conclusion que le meurtre de la victime était prémédité et de propos délibéré était circonstancielle plutôt que directe.
[37] La nature de la preuve a une incidence sur l’évaluation à laquelle procède le juge qui doit trancher une requête pour verdict dirigé d’acquittement. Même si ces principes sont bien connus, je renvoie à la formulation de ceux-ci dans l’arrêt Arcuri :
22 Le critère demeure inchangé qu’il s’agisse d’une preuve directe ou circonstancielle : voir Mezzo c. La Reine, 1986 CanLII 16 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 802, p. 842‑843; Monteleone, précité, p. 161. La nature de la tâche qui incombe au juge varie cependant selon le type de preuve présenté par le ministère public. Lorsque les arguments du ministère public sont fondés entièrement sur une preuve directe, la tâche du juge est claire. Par définition, la seule conclusion à laquelle il faut arriver dans une affaire comme l’espèce, concerne la véracité de la preuve : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence (1998), §8.0 ([TRADUCTION] « [l]a preuve directe est celle qui, si elle était crue, tranche la question en litige »); McCormick on Evidence (5e éd. 1999), p. 641; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), §2.74 (la preuve directe s’entend de la déposition d’un témoin quant au [TRADUCTION] « fait précis qui est au cœur du litige »). Il incombe au jury de dire s’il convient d’accorder foi à la preuve et jusqu’à quel point il faut le faire : voir Shephard, précité, p. 1086‑1087. Donc, si le juge est d’avis que le ministère public a présenté une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction reprochée, son travail s’arrête là. Si une preuve directe est produite à l’égard de tous les éléments de l’infraction, l’accusé doit être renvoyé à procès.
23 La tâche qui incombe au juge devient un peu plus compliquée lorsque le ministère public ne produit pas une preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction. Il s’agit alors de savoir si les autres éléments de l’infraction — soit les éléments à l’égard desquels le ministère public n’a pas présenté de preuve directe — peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle. Pour répondre à cette question, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve, car la preuve circonstancielle est, par définition, caractérisée par un écart inférentiel entre la preuve et les faits à être démontrés — c’est-à-dire un écart inférentiel qui va au‑delà de la question de savoir si la preuve est digne de foi : voir Watt’s Manual of Criminal Evidence, op. cit., §9.01 (la preuve circonstancielle s’entend de [TRADUCTION] « tout élément de preuve, qu’il soit de nature testimoniale ou matérielle, autre que le témoignage d’un témoin oculaire d’un fait important. Il s’agit de tout fait dont l’existence peut permettre au juge des faits d’inférer l’existence d’un fait en cause »); McCormick on Evidence, op. cit., p. 641‑642 ([TRADUCTION] « la preuve circonstancielle [. . .] peut être de nature testimoniale, mais même si les circonstances décrites sont tenues pour vraies, il faut que le raisonnement soit plus poussé afin qu’il puisse mener à la conclusion souhaitée »). Par conséquent, le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse. Cette évaluation est cependant limitée. Le juge ne se demande pas si, personnellement, il aurait conclu à la culpabilité de l’accusé. De même, le juge ne tire aucune inférence de fait, pas plus qu’il apprécie la crédibilité. Le juge se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.
[38] Dans l’ouvrage Watt’s Manual of Criminal Evidence, le juge Watt distille une définition fort utile de la preuve circonstancielle :
Circumstantial evidence is any item of evidence, testimonial or real, other than the testimony of an eyewitness to the material fact. It is any fact from the existence of which the trier of fact may infer the existence of a fact in issue. It is for the trial judge to determine whether circumstantial evidence is relevant.
Where evidence is circumstantial, it is critical to distinguish between inference and speculation. An inference is a deduction of fact that may logically and reasonably be drawn from another fact or group of facts found or otherwise established in the proceedings. There can be no inference without objective facts from which to infer the facts that a party seeks to establish. If there are no positive proven facts from which an inference may be drawn, there can be no inference, only impermissible speculation and conjecture.
In circumstantial evidence cases, three types of argument are made in support of relevance:
i. prospectant;
ii. concomitant; and
iii. retrospectant.
Prospectant use of circumstantial evidence involves an argument that the past or previous occurrence of an act, state of mind, or state of affairs justifies an inference that a subsequent act was done, or a state of mind or affairs existed at the time that is material in the proceedings. Evidence of motive is an example.
Concomitant use of circumstantial evidence involves an argument that circumstances existing contemporaneously with the material transaction render the facts alleged by either of the parties more or less probable. Evidence of possession of the means or skill by which an offence was committed invokes this reasoning.
Retrospectant use of circumstantial evidence invokes reasoning that the subsequent occurrence of an act, state of mind, or state of affairs justifies an inference that the act was done, or state of affairs or mind existed in the past at the material time. Evidence of after-the-fact conduct is representative.[7]
[39] En résumé, la preuve de la commission d’une infraction criminelle et de l’état d’esprit de l’accusé peut être établie par des éléments de preuve circonstancielle portant sur des faits qui précèdent sa commission, qui sont concomitants à celle-ci ou qui lui sont postérieurs.
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