R. c. Ghazi, 2020 QCCS 1108
[31] Les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé sont sujettes à la règle générale d’exclusion du ouï-dire. Elles sont en principe inadmissibles puisqu’elles sont considérées comme intéressées et dépourvues de valeur probante[4].
[32] De nombreuses autres raisons justifient la règle de l’exclusion de telles déclarations, y compris :
• le principe voulant qu’un accusé ne devrait pas pouvoir faire des déclarations non solennelles et en forcer l’admission en preuve sans avoir à prêter serment et sans subir de contre-interrogatoire[5];
• le risque de fabrication[6];
• les impératifs d’efficacité du procès[7]; et
• le principe interdisant à une partie de produire une preuve destinée exclusivement à renforcer la crédibilité de ses propres témoins[8].
[33] Il existe cependant plusieurs exceptions à cette règle[9], y compris les exceptions de res gestae et de l’arrêt Edgar[10] qu’invoque M. Ghazi.
Exception de res gestae
[34] Issue de la common law, l’exception traditionnelle de res gestae permet d’introduire en preuve plusieurs types de déclarations extrajudiciaires[11], y compris, en certaines circonstances, les déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé[12].
[35] L’exception de res gestae vise notamment les déclarations spontanées qui font partie intégrante d’un évènement ou qui sont faites sous l’emprise du stress ou de l’émotion en résultant[13].
[36] L’admissibilité de ce type de déclarations est permise si ces déclarations sont contemporaines à l’évènement en cause et qu’elles sont faites dans un contexte où le déclarant a subi une contrainte ou une intensité émotive découlant de l’évènement, ce qui en garantit la fiabilité[14].
[37] L’exigence de la contemporanéité s’apprécie de manière contextuelle. Il n’y a pas de limite temporelle déterminée au-delà de laquelle une déclaration extrajudiciaire spontanée ne peut être admise[15]. Comme le note l’honorable David Watt, la question déterminante consiste plutôt à s’assurer que les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite permettent d’écarter la possibilité que le déclarant ait fabriqué celle-ci :
The degree of proximity required between the event and the statement is problematic. What is required is a realistic, not a metaphysical approach to the transaction. The principal issue is whether the circumstances are such that the possibility of concoction or distortion may be safely disregarded. The circumstances of the statement should be so unusual, startling or dramatic that they dominate the declarant’s thoughts, hence reduce the risk of concoction or distortion.[16]
[soulignement ajouté; italiques dans l’original]
[38] Cela dit, plus le temps entre la déclaration et l’évènement est long, plus la probabilité que l’accusé ait retrouvé son processus de pensée normal — et donc, ait pu concocter une fausse déclaration — s’accroît[17].
[39] La déclaration extrajudiciaire disculpatoire qui remplit les exigences de l’exception de res gestae est en principe admissible sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer la nécessité[18].
[40] Cependant, dans l’arrêt Starr, la Cour suprême reconnaît qu’il se peut que « dans de rares cas, des circonstances particulières fassent en sorte qu’une preuve manifestement visée par une exception par ailleurs valide ne satisfasse […] pas aux exigences de nécessité et de fiabilité de la méthode fondée sur des principes »[19] (aussi appelée « méthode d’analyse raisonnée »[20]). Dans de tels cas, forcément inhabituels, la preuve devrait être écartée. La partie qui conteste l’admissibilité de la preuve visée par une exception traditionnelle à la règle du ouï-dire a le fardeau de démontrer que la preuve doit néanmoins être inadmissible[21].
[41] Ainsi, l’on peut envisager que dans certains cas, la déclaration extrajudiciaire disculpatoire d’un accusé, même si elle répondait aux exigences de l’exception de res gestae, pourrait être exclue s’il était démontré qu’elle n’était pas nécessaire. En l’espèce, la poursuite et les mis en cause n’ont toutefois pas avancé d’arguments en ce sens.
Exception de l’arrêt Edgar
[42] Une autre exception à l’inadmissibilité des déclarations extrajudiciaires disculpatoires d’un accusé a été développée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Edgar[22].
[43] En vertu de cette exception, la déclaration faite spontanément par un accusé lors de son arrestation ou lorsqu’il est confronté pour la première fois à l’accusation qu’on lui reproche — que ce soit par un policier ou par une autre personne[23] — est admissible si celui-ci témoigne et peut être contre-interrogé[24]. La spontanéité constitue une garantie importante de la fiabilité de la déclaration[25].
[44] La déclaration extrajudiciaire de l’accusé n’est pas admise afin de faire preuve de son contenu[26], mais plutôt en vue de démontrer la réaction de l’accusé (son état d’esprit) et la cohérence de cette déclaration avec son témoignage au procès[27]. Une telle déclaration extrajudiciaire est pertinente à la fois pour le verdict et pour évaluer la crédibilité de l’accusé[28]. Pour reprendre les termes du juge Laskin, au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Liard :
[…] The statements are evidence of an accused’s reaction to being accused of a crime and are relevant to show consistency with an accused’s trial testimony. Thus, although not admissible for the truth of their contents, they are relevant to an accused’s credibility and as a piece of circumstantial evidence bearing on an accused’s guilt or innocence. In short, the statements are relevant because an accused’s immediate reaction to an accusation of a crime may be more reliable and more probative than the accused’s testimony given years later in a courtroom. […][29]
[soulignement ajouté; référence omise]
Aucun commentaire:
Publier un commentaire