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mercredi 13 août 2025

Ce qu'est un « accusé à haut risque »

Lachance c. R., 2025 QCCA 906 

Lien vers la décision


[18]      Il l’énonce ce ces termes, déjà reproduits plus haut :

Le juge de première instance a-t-il erré en droit en imposant à l’appelant le fardeau de démontrer l’absence de probabilité marquée prévue à l’article 672.64(1)a) C.cr.?

[19]      Cette question, posée en février 2025 dans l’exposé de l’appelant, renvoie à un arrêt récent de la Cour, rendu le 11 décembre précédent, Lebel c. R.[5]Sans infirmer le jugement entrepris, la Cour y exprime des réserves sur la façon dont le juge de première instance – le même qu’ici – s’explique sur la question du fardeau de la preuve. En bref, selon la thèse actuelle de l’appelant, ce que la Cour faisait ressortir dans son arrêt de décembre 2024 (et l’erreur que la Cour reprochait au juge) serait incompatible avec ce que celui-ci écrit dans le dossier en cours.

[22]      En ce qui concerne l’application de l’alinéa 672.64(1)adu Code criminel, le juge énonce initialement le bon test, c’est-à-dire celui de la probabilité marquée. Mais il retient à la fin de ses motifs à ce chapitre qu’il est prématuré de conclure à l’absence de probabilité marquée et que des ajustements médicaux sont encore requis pour réduire davantage le risque. Ce faisant, le juge transfère à l’appelant le fardeau de démontrer l’absence de probabilité marquée, alors que le fardeau de persuasion de la présence d’une probabilité marquée appartient au ministère public, selon la prépondérance des probabilités. Il résulte de cette erreur que la déclaration que l’appelant est un accusé à haut risque ne peut être maintenue en application de l’alinéa 672.64(1)a).

Ce passage s’appuie sur une jurisprudence récente[6] mais solidement motivée.

[23]      Rappelons d’abord que, dans l’arrêt Lebel, la Cour rejette l’appel d’une personne déclarée « accusé à haut risque », confirmant de ce fait le jugement visé par le pourvoi. Elle le fait pour une raison précise : malgré l’erreur qu’elle relève au paragraphe [22] de ses motifs[8], erreur en raison de laquelle il fallait écarter la conclusion du juge, fondée sur l’alinéa 672.64(1)aC.cr., la preuve au dossier permettait de conclure que, conformément à l’alinéa 672.64(1)bC.cr., l’accusé, en raison de la brutalité des faits qui lui étaient reprochés, présentait un risque de préjudice grave – physique ou psychologique – pour une autre personne. C’est précisément ce que relève la Cour dans l’extrait suivant :

[27]      La preuve appuie donc la conclusion selon laquelle il existe un risque réel, plus que minime, considérant particulièrement la brutalité des gestes ayant entraîné le décès de la victime, que s’il est libéré sans aucune contrainte, l’appelant commette de nouveau des actes de violence qui causeront des dommages physiques ou psychologiques graves à d’autres personnes.

[24]      Un raisonnement semblable est-il possible ici?

[25]      Plusieurs facteurs qui ressortent de la preuve consultée ou entendue en première instance convergent dans un même sens. On peut en donner l’énumération suivante :

   L’appelant souffre d’un trouble psychotique primaire s’apparentant à une schizophrénie paranoïde, résistante à la clozapine, le médicament avec lequel on le traite.

   La preuve démontre qu’il entend des voix et qu’elles l’exhortent à commettre des gestes violents.

   Avant l’événement du 7 décembre 2023, il prend soin de modifier une arme à feu qu’il possède pour la rendre plus facilement transportable.

   C’est en raison des exhortations de ces voix que l’appelant cible et blesse la victime de son geste.

   Après son arrestation, l’appelant commet de nouveau certains gestes violents en détention.

   Une fois hospitalisé, il s’en prend à certains autres patients également en détention.

   Même durant ses traitements, il ne démontre pas d’autocritique quant à sa situation psychologique.

   Pour un temps, il attribue son geste à sa consommation antérieure de drogues et il manifeste de la réticence à prendre les médicaments traitant la condition dont il doute être atteint.

[26]      Ces circonstances ne se déclinent pas toutes en vertu l’alinéa 672.64(1)aC.cr. Certaines sont plutôt susceptibles de peser sous l’alinéa 672.64(1)bC.cr. Mais n’insistons pas pour le moment sur cet aspect des choses et revenons plutôt sur les termes dans lesquels le juge s’est exprimé dans le dossier en cours.

[28]      Or, la formulation adoptée par le juge crée une confusion sur le rôle respectif des parties. En effet, il ne s’agit pas pour la poursuite de démontrer l’absence de probabilité marquée que l’accusé ne récidivera pas (pourquoi d’ailleurs s’emploierait-elle à démontrer une telle proposition puisque, au regard de l’article de l’alinéa 672.64(1)aC.cr., cette proposition ne pourrait servir que les intérêts de l’accusé?). Il ne s’agit pas non plus pour l’accusé de démontrer cette même proposition, car cela lui imposerait le fardeau de preuve et de persuasion, hypothèse que rejette la jurisprudence. Il s’agit plutôt pour la poursuite de démontrer pourquoi elle est convaincue (ce qui déjà suppose un fondement rationnel ferme) qu’il existe une probabilité marquée que l’accusé récidivera de manière à mettre en danger la vie ou la sécurité d’une autre personne. L’inversion qui ressort des motifs du juge a précisément l’effet indésirable identifié par la Cour dans l’arrêt Lebel et c’est ce pourquoi elle résulte d’une erreur de droit.

[29]      Mais qu’en est-il de l’alinéa 672.64(1)bC.cr.?

[30]      Face à des preuves contrastées, le juge devait trancher le litige en suivant la voie tracée par les alinéas 672.64(1)a) et 672.64(1)bC.cr. L’arrêt Lafrenière[11] a très bien fait ressortir la différence entre ces dispositions. Le régime instauré par l’article 672.64 C.cr. est un régime d’exception, axé sur la sécurité du public et qui ne doit atteindre qu’un nombre restreint d’individus[12]. Il a le potentiel d’engendrer d’importantes restrictions sur la liberté d’une personne mise en accusation. Aussi importe-t-il qu’il soit appliqué en prêtant une attention particulière aux précisions et aux distinctions qu’il comporte. Cela s’entend notamment de la distinction suivante : Être convaincu, au sens de l’alinéa 672.64(1)aC.cr., de l’existence d’une probabilité marquée de récidive violente n’est pas la même chose qu’être d’avis, au sens de l’alinéa 672.64(1)bC.cr., qu’il existe un risque « réel, non pas hypothétique, plus que minime ou minuscule[13] » d’une violence qui causera des dommages physiques ou psychologiques graves à une autre personne. Cela s’entend aussi d’une autre notion, celle de la « nature si brutale » des gestes incriminés, notion qui connote l’idée d’une rare violence, d’une violence inexplicable, « hors norme, cruelle, sauvage, inhumaine[14] ».

[31]      Ces notions étant clarifiées, se pose ensuite la question de savoir si, en l’occurrence, on pouvait raisonnablement conclure de la preuve que ce degré de brutalité caractérisait le comportement de l’appelant envers sa victime et engendrait le risque visé par l’alinéa 672.64(1)bC.cr.

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